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    Exclusif-Alafé raconte ses 45 jours en prison : DST, nationalité ivoirienne, Gbagbo, Soro, RDR,etc…

    Exclusif-Alafé raconte ses 45 jours en prison : DST, nationalité ivoirienne, Gbagbo, Soro, RDR,etc…
    Publié le
    Par
    Charles Kouassi
    Lecture 24 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Alors que le journaliste et écrivain ivoirien Alafé Wakili fait quelques fois l’objet d’écrits tendancieux et instrumentalisés,  au sujet de son emprisonnement en 2008 pour faux et usage de faux , nous publions des extraits de cette affaire longuement évoquée par lui dans son livre « Notre Histoire avec Laurent Gbagbo », France en 2013, aux éditions L’harmattan. Intéressant à lire !

    « Bacongo Cissé avait été très attentif et attentionné à mon égard. Il fut un bon ami et un grand frère bienveillant. Jusqu’à ce jour, malgré certains désaccords, il continue de m’appeler président. Pour lui, je suis et reste le vrai président de l’UNJCI.

    Quand je suis allé le voir avant la prison pour l’informer de ma candidature, il m’a promis son soutien et a décrété que j’étais déjà élu. A compter de ce jour, il décida de m’appeler président. Ce qu’il n’a pas cessé de faire jusqu’à ce jour.

    A ma sortie de prison, il semblait s’être donné pour objectif de m’avoir comme une recrue pour le RDR. C’était pour lui, une démarche plus fraternelle que politique. Toutefois, je ne voulais pas donner raison à mes détracteurs du camp Gbagbo, ni aux détracteurs du RDR, qui auraient pu dire que c’est là encore, la preuve que c’était un parti d’étranger. Ils auraient tenu là, la preuve de ce que c’est le président du Rdr, qui me finançait pour briguer la présidence de l’Unjci.

    Je décide alors de me consacrer à la sortie de mon roman « Instants de vies». Pour moi, ce serait un moment de repositionnement, une revanche, un signal que je ne me tairais pas face aux menaces, que je ne laisserai personne me faire taire.

    En Mars 2009, moins de trois mois après la prison, je mets une dizaine de pancartes dans la ville d’Abidjan, pour signer mon retour dans la République grâce à mon livre. Lors du lancement, pas moins de quatre ministres sont présents à l’hôtel Sofitel, au cours d’une cérémonie placée sous le parrainage du Premier ministre Guillaume Soro.

    Quelques jours plus tôt, le Premier ministre m’a reçu. Le néo ex-prisonnier que je suis se souvenait en ce moment de la phrase de Laurent Gbagbo : «on peut quitter la prison pour le palais présidentiel et le palais présidentiel pour la prison».

    J’entrais à nouveau dans la République. J’étais réhabilité à moitié. A moitié seulement puisque pendait que je tournais, j’étais toujours un sans papier ou plutôt, je tournais encore avec mes supposés faux papiers.

    La confiscation et la destruction de mes documents administratifs avaient été ordonnées par la justice, alors qu’on me les avait rendus, comme si on voulait me piéger et m’entraîner dans le terrain de la récidive.

    Au niveau du tribunal civil à Agboville, j’avais engagé une procédure en reconnaissance de paternité. Mon père biologique m’avait rebaptisé BADRA ALI BAKAYOKO ALAFE.

    La police et la gendarmerie locales sont sollicitées. L’enquête est longue. La procédure est compliquée. Papa Bakayoko a été entendu. Les policiers et les gendarmes chargés de l’enquête sur place à Agboville ne sont pas franchement convaincus de ce que je suis effectivement le fils de Papa Bakayoko. Quelques témoins rencontrés, des amis d’enfance, restent évasifs. Ils ont dû mal à témoigner de choses qu’ils ignorent, bien entendu.

    Je reçois des appels anonymes et des menaces : «Mais pourquoi tu veux devenir forcément ivoirien, ou bien pourquoi tu ne fais pas une demande de naturalisation. Gbagbo t’a gracié, il ne te refusera pas la naturalisation qu’il accorde à tous ceux qui demandent. Il suffit de demander. »  

    Les procureurs chargés du dossier à Agboville ne veulent pas entendre parler de la reconnaissance en paternité. L’affaire traîne, traîne, traîne. Pendant ce temps, un grand soin a été mis à remplir mon casier judicaire avec ma condamnation. Je sors à peine de prison, que l’idée me vient à l’esprit d’établir un extrait de casier judiciaire. Le premier volet est déjà rempli et le tribunal surveille de près le numéro de registre où est marqué mon extrait de naissance.

    En principe, le test ADN n’est pas obligatoire, ni même autorisé dans la reconnaissance en paternité en Côte d’Ivoire. Pourtant un magistrat compatissant me conseille de faire un relevé de sang et de donner les résultats d’un test ADN au tribunal. Selon lui, seul cet élément versé au dossier permettrait que je puisse m’appeler BADRA ALI ALAFE BAKAYOKO.

    J’avais décidé de ne pas présenter de demande de naturalisation, comme certains le souhaitaient. Papa ne m’a rien demandé, n’a rien voulu m’imposer mais il était prêt à tout, si je lui posais un problème. Il me rapportait alors les démarches qu’il faisait pour obtenir la naturalisation d’un citoyen du Niger résidant en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années. Ce schéma était pour moi,  un piège et ne m’intéressait pas.

    Aujourd’hui encore j’espère pouvoir porter un jour le nom Bakayoko pour honorer ce père et cet homme valeureux, qu’on m’avait obligé à faire venir faire des aveux et témoigner en ma faveur . Quelle indignité, quelle méchanceté ! C’était trop fort !

    Pour Papa Bakayoko, et pour l’honneur de Maman Abissatou,  pour Papa Amaho Moustapha, je voulais faire ce combat, le relancer jusqu’au bout.  Mais les forces m’en manquaient. C’était difficile d’avoir à répondre à ces Ivoiriens qui disaient : mais pourquoi tu as honte d’être nigérian et pourquoi tu veux devenir à tout prix ivoirien. Ce commissaire zélé des RG m’avait déjà dit cela lors de l’enquête. Et pourtant ce n’était pas cela le problème !

    Dans certains pays, on rend les choses plus faciles aux étrangers pour devenir des nationaux. Je n’étais pas un ivoirien à 100 pour cent. Oui ma mère est originaire du Nigeria. J’assume cela. Je ne renie pas le père qui m’a porté à bout de bras, avant que Papa Bakayoko intervienne dans ma vie. Sorti de prison, j’utilisais mes anciens papiers. Je vivais dans une situation précaire.

    N’être pas Ivoirien, pour ne pouvoir rien revendiquer est un moyen sûr d’avoir la paix en Côte d’Ivoire. Au cours de mes différents voyages, je me suis rendu compte de ce que j’avais fait l’objet d’une mise en observation à l’aéroport d’Abidjan, parce que Laurent Gbagbo et les enquêteurs  avaient sérieusement cru, quand l’ordre fut donné de m’arrêter, et que Désiré Tagro s’y opposait,que je comptais fuir la Côte d’Ivoire. Après ma sortie de prison, la demande de mise en observation ne sera pas levée.

    Chaque fois que je pars de Côte d’Ivoire et chaque fois que j’y rentre, l’ordinateur se plante au niveau de mon nom. Un jour, un agent de police qui m’a reconnu, a mis le cachet et m’a laissé passer pour me permettre de gagner du temps, avant d’enregistrer les données. Mais trente minutes plus tard, alors que je suis en salle VIP pour un voyage effectué en classe affaires, il vient à moi pour me dire de revenir au poste de contrôle. Je souris.

    Comme la première fois, je suis obligé de donner des coups de fil, de faire appeler Commissaire Goulehi, le directeur des Renseignements généraux. Au retour d’un précédent voyage, le patron des RG  avait souhaité que je passe le voir, pour qu’il lève la mise en observation. A mon retour, je suis passé à son bureau sans avoir pu le rencontrer. J’ai fait déposer  un exemplaire de mon roman « Instants de vies ».

    La mise en observation n’a cependant pas été levée, me créant des désagréments à l’aéroport, à l’aller comme au retour, à plusieurs reprises.

    Pour mes deux derniers voyages avant la crise postélectorale, dont un à Paris, et l’autre lors de mon voyage de noces à Dakar, je ne subirais plus ces tracasseries, parce qu’à un des mes retours ; à la suite du commissaire Touré de l’aéroport qui a été toujours disponible pour m’aider à donner les coups de fil, et obtenir les autorisations nécessaires pour me laisser partir ou rentrer un de ses adjoints prendra sur lui, de mettre fin à cette situation, puisqu’il voyait bien qu’il s’agissait d’une négligence, d’autant que cette mise en observation, qui datait de plus de six mois, ne m’avait jamais empêché de voyager effectivement.

    Il a donné l’ordre d’annuler la décision, et dès le lendemain, il est allé, prendre lui-même une notification pour régulariser la levée de la demande de mise en observation.

    Aujourd’hui, à nouveau titulaire de papiers d’identité ivoirien, je me souviens encore de cette pensée d’un Ivoirien, rencontré à New York, quand je rentrais des conventions démocrates et républicaines américaines, en Septembre 2008. Lui, il était un bété, et travaillait à l’aéroport à New York. Il était peut-être même de nationalité américaine malgré son nom et origine. Toutefois, cela ne l’a pas empêché de dire « Alafé, c’est quel nom ça, est-ce vraiment ivoirien?»

    Comme si un Américain pouvait lui-mêmel’interpeler sur son nom bété, par rapport à sa nationalité américaine. Quand mes problèmes ont commencé et que j’ai été mis en prison, les soutiens n’ont pas manqué. Papa était monté au créneau.

    Pour manifester et exprimer clairement son mécontentement, il a tenu à venir me voir régulièrement en prison. Papa était même prêt à  faire cela durant les 18 mois, si je devais passer tout cette période en prison. Cette posture gênait fort autour du FPI. Elle était perçue comme une défiance.

    De nombreuses personnes souhaitaient qu’il me laisse tomber, et m’abandonne seul en prison. Comme si Affi N’guessan,  des leaders de haut niveau, ainsi que des cadres de tout bord,  ne partaient pas voir en prison les détenus de la filière café-cacao.

    En prison je partagerai un peu de proximité avec  certains détenus du café cacao, notamment Lucien Tapé Doh que je connaissais avant. Dès le premier jour, lorsqu’il me souhaite bonne arrivée, Tapé Doh Lucien affirme que je ne vais pas durer, puisque mon dossier est politique.

    J’étais en train de préparer mon appel avec mon avocat quand me parvinrent des informations persistantes laissant entendre que la peine ne pourrait pas être réduite. Les rumeurs ajoutaient même que les juges pourraient avoir la main plus lourde, car il n’était pas question que le pouvoir soit désavoué. La bataille d’opinion avait été gagnée par moi lors du procès.

    J’avais réuni quatre avocats et non des moindres : Maître Viera, Maître Gohibi, Maitre Aka et le cabinet Kossougro. Le premier avait été contacté par moi-même, le second était venu de lui-même par amitié, le troisième avait été commis par une amie. Le cabinet Kossougro avait été commis par l’Unjci.

    Les trois premiers ont pris acte de la procédure de flagrant délit, pour laquelle j’ai donné mon accord, car je voulais un procès rapide, espérant m’en sortir avec le témoignage de mon père biologique. Cependant le cabinet Kossougro avait voulu envoyer l’affaire en cabinet, et obtenir au bout d’une dizaine ou vingtaine de jours, une mise en liberté provisoire, en attendant un non lieu, ou un classement sans suite de l’affaire.

    Quand l’équipe Kossougro arrive, l’ambiance n’est pas très bonne. Autour de moi, tout le monde estimait qu’il fallait désormais se méfier de ce qui venait de l’UNJCI. Pour cette raison, on est passé à coté de cette stratégie. Plus tard, Maître Kossougro, qui espérait me blanchir et me laver de tout soupçon, hésitera avant d’appuyer ma demande de grâce introduite auprès du Président de la République. Une grâce me rendait libre certes, mais ne réglait pas le fond du problème.

    Lui, il voulait régler la question dans le fond. Pour m’avoir connu une dizaine d’années plus tôt, alors que j’avais écris des articles sur ses activités,  quand j’étais à la Nouvelle République et au Réveil Hebdo, l’avocat s’était pris d’affection pour moi et souhaitait régler au mieux cette affaire.

    Il tenait toujours à une liberté anticipée, pour faire un procès en appel. A cause des rumeurs de sanctions plus lourdes en cas d’appel, j’étais de moins en moins enclin à pencher en faveur de cette procédure qui pouvait prendre plusieurs mois.

    Tout paraissait incertain malgré l’optimisme de maître Kossougro à son retour de Yamoussoukro, où il avait eu une rencontre avec le Président de la République, en compagnie du procureur de la République sur plusieurs dossiers, notamment la grève des avocats et mon dossier. Quand il me fait le point, mon avocat est optimiste.

    Selon lui, le président de la République lui a dit qu’il a bien fait de s’occuper du dossier, l’a encouragé à suivre les voies de recours nécessaires pour régler au mieux cette affaire. Puisque cela a été dit en présence du procureur  Tchimou Raymond, Maître Kossougro estimait que le dossier serait réglé, qu’il s’agissait d’une simple affaire de procédure. Il tenait à sa stratégie : interjeter appel et obtenir une mise en liberté anticipée en attendant que le dossier soit vidé et évoqué dans le fond, pour que je sois blanchi.

    J’étais partant pour cette option, lorsqu’un Dimanche, trois semaines après mon incarcération, je reçois ce message d’un ami : «Jean-Baptiste Akrou a parlé avec le Président. Il m’a ensuite appelé. Il demande que tu fasses une demande de grâce. Le Président va signer et te libérer avant les fêtes. ». Fallait-il croire ? L’ami n’était pas un farceur. Je savais également que de nombreuses démarches avaient été entreprises.

    L’Unjci jouait quoi qu’on dise sa partition. Gervais Coulibaly, Blé Goudé et d’autres avaient été contactés par mes collaborateurs. Tout le monde répondait qu’il fallait laisser passer la tempête, ajoutant qu’il était clair que je ne resterais pas longtemps en prison. Mais quelques autres personnes faisaient savoir que Laurent Gbagbo était avare en grâces, et qu’il serait impossible que je sorte.

    La veille même de ma sortie de prison, alertés par la rumeur de ma probable libération, des durs du régime Gbagbo avaient affirmé que cela n’était pas possible. C’est que Papa avait fait le choix de la discrétion.

    Dans l’affaire, il aura pour alliés, Tyeoulou Félix et le ministre de la Justice, Mamadou Koné, deux hommes pour  qui, il avait de l’estime et de l’amitié. Quand je lui parle de la grâce, Papa  n’est pas chaud. Il pense comme Maître qu’en appel, les choses peuvent évoluer. Quand je lui fais part de mes réserves, il finit par accepter de porter la lettre de demande de grâce à Laurent Gbagbo. Il ne me fait pas comme d’autres, le reproche de capituler et de passer aux aveux.

    Qu’ai-je dit dans ma lettre de demande de grâce, dont il me semble n’avoir même pas pu garder une copie identique ? Papa n’avait pas le cœur (ni le  temps) à faire une photocopie d’un tel document. J’apprendrai plus tard que des sorbonnards se vantaient d’avoir une copie de ma demande de clémence qui était, selon eux, signe de déculottée, la preuve de mon renoncement au combat et de mon aveu de culpabilité.

    Quelques autres téméraires, se basant sur le fait que je n’ai passé que quarante cinq jours en prison, (comme si c’était normal de passer un seul jour en prison), oseront dire que j’étais en deal avec Laurent Gbagbo, qui m’aurait  utilisé  pour effrayer les étrangers. Ceux qui aiment jouer les gens tout sachant, donneront la preuve du deal : une Audi Q7 que j’ai acquise deux jours après ma sortie, après la vente pendant que j’étais en prison de mon véhicule de marque Infiniti.

    Je suis sorti de prison un Jeudi nuit, et dès Samedi après-midi, j’étais dans le nouveau command car, qui à l’époque, coûtait environ 50 millions de FCFA. Pour les aggraves affaires, c’est Laurent Gbagbo qui m’avait remis cet argent pour me dédommager. Que n’ai-je pas entendu !

    La vérité est simple : j’avais un fournisseur libanais qui me faisait des facilités de paiement. J’avais des amis, des lecteurs et des fans qui avaient le souci de m’aider à soigner mon image, et qui, après m’avoir facilité l’acquisition d’une Infiniti, ont accédé à mon nouveau caprice d’ex-prisonnier : rouler dans une Q7 comme le Président Alassane Ouattara à l’époque, comme Nady Bamba. Ainsi sortit la 8484 !

    Papa sait mieux plaider la cause des autres plus que la sienne propre. Quand il aborde Laurent Gbagbo, il ne remue pas le couteau dans la plaie. Il se contente de prendre acte du fait accompli : «Je comprends la logique de la raison d’Etat. Elle est implacable. Mais cette même logique a placé en tes mains, la possibilité de réparer les torts avec le droit de faire grâce. Alors je te confie le dossier de ce garçon. Il te sollicite».

    «Mais qu’il fasse une demande de grâce », lance aussitôt Laurent Gbagbo, comme s’il voulait se débarrasser de Papa. La lettre est prête, Papa la tend aussitôt au Président de la République. Laurent Gbagbo, prend son temps pour la lire en entier. Quand il finit, il ajoute : « il manque la lettre de désistement de l’appel. Tu apportes tout ça, et on va voir Tyeoulou pour préparer le décret. »

    Papa ne se le fait dire deux fois. Il s’apprête à dire merci à Laurent Gbagbo, quand son ami se lance dans des explications sur l’affaire, sur l’expulsion que j’ai ratée car un avion était prêt pour m’envoyer au Nigéria. Il révèle avoir suivi lui-même le dossier de bout en bout « Frère, c’était mon dossier », dit-il avec jubilation, comme pour désarmer la colère de Papa contre Simone Gbagbo.

    Le Président Laurent Gbagbo l’informe au passage, que n’eut été l’âge avancé de Papa Bakayoko, celui-ci aurait été mis immédiatement sur le champ aux arrêts pour faux témoignage !

    En vérité, le témoignage inattendu de mon père biologique avait dérouté le plan de liquidation médiatique, qui avait été mis en place, contre moi. La colère et la surprise suscitées par ce témoignage poignant récusé par l’enquête policière, au lieu de faire reculer, n’ont hélas fait qu’accroître mon tort et ma sanction.

    La raison d’Etat ne renoncera pas. Elle ne recule pas, même dans la bêtise. On le verra deux années plus tard, lors de la crise postélectorale !

    L’affaire prendra encore près d’une semaine entre l’avocat qu’il fallait trouver pour déposer mon désistement d’appel, le parquet général, qui devait donner le document de non-appel, le projet de décret à présenter à la signature. Le Mercredi 18 Décembre, le décret est signé dans l’après-midi.

    La même nuit, Tyeoulou Félix fait parvenir une copie à Papa, qui me joint vers 22 heures, pour demander que j’envoie quelqu’un chez lui à 6 heures du matin sans me dire de quoi il s’agit. La nuit, je n’ai pas dormi et j’ai passé le temps à imaginer toutes les hypothèses possibles.

    Avant 8 heures du matin, Joël Touré était aux portes de la Maca. Avec une copie du décret de grâce. Vers neuf heures, avant de se rendre à Abuja pour une réunion, Laurent Gbagbo appelle Papa pour lui dire bonjour et le rassurer : «frère, j’ai signé le décret du petit. A mon retour d’Abuja, tu passes me voir pour qu’on parle». Tout le monde est soulagé.

    Moi je resterai en prison jusque la nuit, puisque le décret n’a pas été transmis à temps aux greffes de la Maca. Quand aux environs de 18h30, Papa apprend que je ne suis pas encore sorti, et quand je lui fais savoir que ça pourrait finalement être le lendemain, il appelle le ministre de la Justice. Papa ne veut pas que je passe une nuit de plus en cet  endroit de triste mémoire.

    Dans les minutes qui suivent, il me laisse entendre que je partirai la nuit, et que Mamadou Koné, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, est en train de donner des instructions. Des gardes pénitentiaires à qui,j’avais parlé de mon décret dans la journée, venaient eux aussi aux nouvelles.

    Un peu avant 20 heures, des instructions parvenues au directeur de la prison Yao Kouassi, que je rencontrerai deux ans plus tard à Dakar, à l’Ile de Gorée lors de mon voyage de noces, sont transmises enfin aux greffes de la prison. L’agent Vincent Kouadio s’active et prépare les documents de sortie. Les portes des cellules étaient déjà fermées, et nous étions en train de jouer aux jeux de dames, quand on me fit appel pour m’annoncer ma sortie.

    Je rentre en cellule pour faire mes bagages tandis que Lucien Tapé Doh me conseille d’attendre plutôt le matin, car la nuit on ne se sait pas qui peut tenter de me faire quelque chose. Pourtant le désir de partir était plus fort. Je dis alors au revoir aux uns et aux autres qui sont présents, et laisse presque tout sur place. Depuis cette date, je ne suis plus jamais retourné à la Maca.

    C’est un cortège d’amis qui vient me chercher : Jean-Baptiste Golly, Eric Didia après avoir annoncé en exclusivité dans son émission Happy People à la radio Abidjan 1, la nouvelle, Touré Joël, Hamilton Boigny, Moussa Traoré, futur président de l’UNJCI et bien d’autres. Une dizaine de voitures.

    Je reçois de nombreux coups de fil, de la part des premiers qui apprennent la nouvelle, et qui tentent de me persuader du rôle qu’ils ont joué. D’autres assurent que c’est plutôt dans quelques heures, que je sors de prison, ignorant que j’étais déjà en route pour mon domicile.

    La première destination, c’est chez Papa. Il le mérite. Il faut passer chez lui, pour recevoir les bénédictions. C’est l’émotion, les embrassades. Papa rappelle qu’il n’a pas souvent beaucoup pleuré dans sa longue vie au cours de laquelle, il a connu pourtant des vertes et des pas mures. Il confie que mon sort l’avait tellement marqué qu’il a passé des jours sans manger, qu’il a passé des jours à pleurer. Il me dit que l’épreuve est terminée.

    Il remercie tous ceux qui m’ont aidé à tenir le coup et ajoute que le combat doit continuer. Il ajoute que tous ceux qui m’ont fait ce mal, qui m’ont humilié, connaîtraient un sort plus douloureux. En prison, lors de sa première visite, il avait déjà fait cette révélation. « Une fois au village, mon oncle m’avait donné quelque chose à mâcher et m’avait dit que tout ce que je dirai, se réalisera. Et ce jour là, je t’ai dit que ceux qui t’ont mis en prison, iront en prison comme toi, et, que leur souffrance sera pire… »

    45 jours de prison et maintenant j’étais libre ! Tout avait failli basculer. La crise de la quarantaine aidant, étant attaché à la Côte d’Ivoire, n’ayant pas d’autres points de chute,n’en déplaise à bien d’ivoiritaires, j’ai encore résisté cette fois à l’exil, comme après le putsch de 1999. J’avais des visas valides pour les USA, pour Londres et pour Paris.

    Mais partir ne m’avait pas longtemps effleuré l’esprit. J’estimais que ce serait encore renoncer, et laisser le terrain à mes détracteurs. Pour moi, il fallait rester sur place pour poursuivre le combat et pour imposer ma vision des choses, dans la dignité et dans l’honneur.

    Je me sentais libre. Je ne me sentais pas compromis. J’estimais ne rien devoir à personne, à part Papa, mes amis et mes proches. Je refusais d’en vouloir à Laurent Gbagbo, puisque, j’estimais que même si c’est sous son régime que j’avais été en prison, c’est bien lui qui m’en avait sorti. Je préférais oublier l’acte négatif, pour ne retenir que le geste positif posé, même si je savais que je n’étais pas encore aux bouts de mes peines.

    Aujourd’hui encore, j’ai toujours une pensée pour cette magistrate qui avait promis qu’elle me ferait libérer si l’affaire passait chez elle un Mercredi. Cette magistrate avait-elle fait savoir ses intentions ? Toujours est-il que c’est un Vendredi que j’ai été jugé par une autre magistrate. Le procureur était très remonté, et avait été sans appel. Les juges ont été sévères dans le verdict.

    Comment ne pas penser à cet autre juge qui était venu me saluer au parquet, qui était prêt à sacrifier sa carrière pour prononcer ma relaxe. L’appareil judiciaire n’est pas entièrement miné et corrompu. Des Camille Hoguié existent ! Il y’a des gens lucides. Des hommes et des femmes qui refusent de faire le sale boulot, des gens qui acceptent de jouer leur rôle de conseiller auprès du Roi.

    Papa était allé voir le procureur Tchimou pour plaider ma cause. C’est un procureur totalement remonté qu’il croise. Il était très remonté contre moi, alors qu’il ne me connaît même pas. Il prétendait ne pas me connaître,  et se demandait de quel village d’Agboville, je venais.

    Ce procureur me reprochait ma prétention à devenir président de l’UNJCI alors que je ne suis, selon lui, pas Ivoirien, et que j’ai trois extraits de naissances. Papa avait trouvé inutile de tenter de le convaincre car il savait qu’un procureur est lié à l’exécutif, et ne peut pas être indépendant des instructions reçues. Mais quand en plus, il devient militant et zélé….

    Lors de la crise postélectorale, Papa est resté fidèle jusqu’au bout à son ami Laurent Gbagbo. Pourtant un an et demi avant l’élection présidentielle, j’avais attiré son attention sur la possibilité d’une victoire d’Alassane Ouattara.  En Avril 2009, quatre mois après ma sortie de prison, à la suite de plusieurs échanges et contacts, je me convaincs qu’Alassane Ouattara pourrait remporter l’élection présidentielle à venir, surtout à cause des sondages qui le plaçaient en 3ème position.

    Au fond, donner Alassane Ouattara derrière Henri Konan Bédié me paraissait inexact. Le Pdci avait certes un bon vivier de cadres, mais il ne semblait pas disposer du bon candidat pour mobiliser et dynamiser la jeunesse.

    Concernant le rang de Laurent Gbagbo en première position, j’étais plus ou moins d’accord. Je ne soupçonnais pas les sondeurs de manipulation. En réalité, ce sont les sondés eux-mêmes, qui refusaient de dire la vérité, en particulier les électeurs d’Alassane Ouattara.

    Ils avaient peur que la perspective d’une victoire indiscutable et certaine de leur leader, rende les choses plus difficiles et pousse les adversaires dans leurs derniers retranchements. A la suite de mes échanges, j’ai  rédigé un mémo à l’attention de Papa qui l’a endossé. Il a récrit le texte pour le remettre main à main au Président Laurent Gbagbo »

    NB : Papa dans le livre c’est feu Ben Soumahoro. Paix à son âme.

    Extraits de « Notre Histoire avec Laurent Gbagbo », L’Harmattan , France 2013

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