Invité à la deuxième édition du forum de la diaspora qui s’est tenu les 22 et 23 mai 2017 à Abidjan, j’avais décidé de prolonger mon séjour jusqu’au lundi 5 juin afin de mieux apprécier les réalités du pays. Cela faisait cinq mois que je n’y étais pas retourné (depuis les législatives 2016); cinq mois marqués par des remous sociaux et militaires : de la première mutinerie de janvier à la dernière de mai en passant par les manifestations des fonctionnaires et des souscripteurs de l’agrobusiness.
Également cinq mois d’accidents meurtriers, de bavure de la gendarmerie et enfin cinq mois de retour des investisseurs, des ivoiriens de la diaspora et surtout de cohabitation entre les populations ennemies d’hier. De tous ces évènements, trois ont retenu mon attention : la mutinerie ; les bavures des forces de l’ordre et enfin la cohabitation.
Cinq mois que des soldats en armes menacent le régime du président Ouattara sous prétexte que ce dernier leur doit 12 millions Fcfa de prime de guerre. À Abidjan, le commentaire est unanime : « Quand on promet, il faut honorer » et un ami d’ironiser « c’est une affaire de famille, donc des enfants qui réclament leur part d’héritage à leur papa. Ce qui n’intéresse pas le reste de la population. C’est entre eux, nous on ne met pas notre bouche dedans ! ».
Et pian, les jeunes gens ont fini par obtenir gain de cause. 10 millions déjà décaissés. Il reste 2 millions et ce sera pour très bientôt. Ce qui va définitivement mettre fin à cette affaire de prime. Ouff ! Et ce n’est pas l’affaire des caches d’armes chez un proche de Guillaume Soro qui va raviser la psychose de la terreur.
S’agissant des bavures des forces de l’ordre, l’on se demande si le ministre Hamed Bakayoko est encore écouté…Maintes fois, il l’a répété : « Ne retournezpas vos armes contre la population ». Malheureusement, le 27 mai dernier, alors qu’ils étaient immobilisés, 5 agents de la société de pompe funèbre, Sipofu sont abattus à bout portant par des gendarmes qui les ont confondus à des braqueurs..même là encore, impossible d’évoquer la thèse de la légitime défense, vu qu’on pouvait les maitriser et les conduire au poste de brigade afin de les mettre à la disposition de la justice.
« En Côte d’Ivoire, finalement on ne sait plus qui tue et à qui faire confiance » s’est demandé Marie Téhé commerçante à Yopougon. C’est dans ce quartier que j’ai passé tout mon séjour et en faisant le tour, j’ai le constat suivant : pendant la guerre postélectorale, des quartiers étaient vidés de leurs habitants..Des cours et maisons étaient pillés…Des voisins se sont entretués ou se sont dénoncés auprès des hommes en armes qui n’hésitaient pas à passer à l’acte.
Aujourd’hui, tout cela semble être derrière. Les populations dans les cours communes se sont reconstituées, les voisins-ennemis d’hier ont appris à nouveau à se parler, et à manger dans les mêmes assiettes. Dans le gbaka, le bus ou le taxi wôrô, guéré, dioula, bété se côtoient et parlent du passé comme si de rien n’était. Yopougon a retrouvé sa joie : même si intérieurement, il est difficile d’oublier, de tout oublier , le sentiment du pardon et la volonté ( ou l’obligation) de vivre ensemble sont visibles et palpables .
Philippe KOUHON