La Côte d’Ivoire avait signé, en 2019, des contrats avec l’italien Eni et le français Total, pour l’exploration de quatre blocs pétroliers correspondant à un investissement de 156 millions d’euros. Considérée jusqu’à présent comme un modeste producteur d’hydrocarbures, la Côte d’Ivoire a annoncé mercredi 1er septembre 2021 la « découverte majeure » de pétrole et de gaz naturel au large de ses côtes lors d’un forage exploratoire effectué par le géant italien des hydrocarbures Eni. Les puits de forage sont essentiellement offshores. Cette importante découverte permettrait à la Côte d’Ivoire de rejoindre le groupe des pays africains producteurs de pétrole de de gaz. Les chiffres sont certes encourageants, mais, selon les experts du secteur, il faut attendre de nouvelles analyses pour connaître l’étendue précise du gisement et les possibilités techniques d’exploitation et de mise en production.
Cette découverte est d’abord une bonne nouvelle
L’Afrique compte une quinzaine de pays producteurs de pétrole. Les plus importants sont le Nigeria (3.2% de la production mondiale), l’Algérie (2.2%), la Libye (2.1%), l’Angola (1.6%), l’Egypte (0.9%), la Guinée Equatoriale (0.5%), le Soudan (0.5%), le Gabon (0.3%), le Congo Brazzaville (0.3%), le Tchad (0.2%). le Cameroun (0.1%) la Tunisie (0.1%), Plus récemment, le Ghana et le Mali ont rejoint le groupe des pays africains producteurs de pétrole. Les réserves pétrolières de l’Afrique représentent moins de 10% des réserves mondiales et la production 12% de la production mondiale. En ce qui concerne le gaz, seuls quatre pays africains sont considérés comme de réels producteurs : l’Egypte (1,3%), le Nigeria (0,8%), la Libye (0,4%) et, le plus important, l’Algérie qui est le quatrième producteur mondial de gaz (3,2%). La Côte d’Ivoire rejoindrait ainsi le groupe des pays africains producteurs de pétrole et de gaz qui comptent dans l’économie mondiale. La production de pétrole et de gaz lui permettrait d’avancer plus vite sur le chemin de l’émergence avec l’augmentation de ses recettes d’exportation, ce qui, mécaniquement, doit se traduire par la consolidation de son économie et l’amélioration de ses indices indicateurs de développement humain (santé, éducation, etc.).
Une mauvaise nouvelle, car il existe une malédiction pétrolière
Il existe, et les pays africains producteurs de pétrole le montre, une véritable malédiction des ressources pétrolières, comme de toutes les recettes qui proviennent essentiellement des richesses naturelles (gaz, or, diamant, etc.). Les deux causes principales de cette malédiction sont : 1) les mécanismes de connivence entre le monde de la politique et celui des affaires, ce qui aggrave le phénomène de corruption et multiplie les risques des guerres prédatrices 2) le piège que représente une économie de la rente fondé sur la croyance que les revenus du pétrole ou du gaz sont inépuisables et qu’il n’est pas nécessaire de diversifier l’économie ou de préserver un secteur traditionnel comme l’agriculture. Un seul exemple : le Soudan a vu ses exportations agricoles, remplacées aujourd’hui par le pétrole, passer de 90% du PIB en 1990 à moins de 5% aujourd’hui.
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Un constat s’impose : les pays africains producteurs de pétrole figurent encore parmi les pays les plus pauvres de la planète en raison de deux effets pervers : le secteur du pétrole draine vers lui une grande partie des investissements et de la main-d’œuvre au détriment des autres secteurs de l’économie. Les Etats africains producteurs de pétrole, comme le Gabon, le Congo Brazzaville, l’Angola ou la Guinée Equatoriale, se sont contentés de percevoir les importantes recettes d’exportation de l’or noir, la croissance nationale n’étant soutenue que par la manne pétrolière. Les autres secteurs de l’économie dépendent des aides directes ou indirectes de l’Etat. Une rente comme la rente pétrolière, en dehors des phénomènes de corruption et de dérive bureaucratique de l’administration, produit les effets négatifs suivants : renforcement du poids de l’Etat à travers des entreprises publiques en situation de monopoles (capitalisme d’Etat), incapacité à diversifier l’économie, renoncement à l’innovation et à l’esprit d’entreprise. S’ajoute aussi une croissance qui n’est jamais inclusive avec une mauvaise redistribution des richesses. S’ajoute enfin l’instabilité chronique des prix des matières premières.
Les pays africains producteurs de pétrole et de gaz restent des pays pauvres avec des activités économiques insuffisamment diversifiées. Les revenus pétroliers ont non seulement dissimulé l’absence d’une véritable création de richesse, mais ils ont entraîné la réduction de la part des activités traditionnelles dans le PIB national. Or, la rente pétrolière est limitée dans le temps, non renouvelable. De plus, la rente pétrolière a conduit les Etats africains à s’endetter afin de lancer d’importants programmes de dépenses publiques sans recourir à des politiques fiscales ou monétaires adaptées. Des emplois non productifs ont été créés dans les grandes entreprises publiques déficitaires et les administrations, les deux principaux pourvoyeurs d’emplois en Afrique francophone.
Eviter en Côte d’Ivoire les erreurs du passé
Depuis 2011 et l’élection d’Alassane Ouattara, la gouvernance a changé en Côte d’Ivoire. L’Etat, s’il veut assumer ses fonctions régaliennes (l’accès à l’eau et à l’électricité, la sécurité, l’enseignement, la santé, la justice, les infrastructures routières, etc.), doit accroître ses recettes fiscales et créer un climat favorable au développement du secteur privé. L’utilisation plus efficace des ressources pétrolières et gazières par l’Etat ivoirien suppose deux choses : une grande transparence dans la gestion de cette manne et son utilisation, la volonté de poursuivre la diversification de l’économie et le développement de l’esprit entrepreneurial des nouvelles générations. Le pétrole ne porte pas en lui les germes de la malédiction, car seuls les Etats sont responsables de la gestion des richesses naturelles. Les populations ivoiriennes ne devront pas être écartées des richesses que procurent le pétrole et le gaz. L’Etat devra mesurer les risques conjoncturels (chute des cours des matières premières) et le risque environnemental. La Côte d’Ivoire saura-t-elle conjurer la malédiction des richesses naturelles en relevant le défi de la gestion et du partage équitable de la rente pétrolière et gazière ?
Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank Afrique & Partage –
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains