De l’autodidacte à l’artiste-musicien aux 45 albums, en passant par les applaudissements à tout rompre de ses fanatiques, Anoman Brouh Félix n’oubliera pas de sitôt ces mots élogieux du président de la République d’alors, Laurent Gbagbo et nous sommes en 2008 à Assinie Mafia : « Si je n’étais pas président de la République je n’aurais jamais eu l’occasion de serrer la main de cet immense artiste » ; lesquels propos résument mieux la carrière de l’artiste.
Ce n’est pas pour rien que Zacharie Akafou écrit à son sujet : « puisant sa source dans l’akô, une danse akyé des temps anciens, rythmée par les sons de tambours et clochers mêlés aux sons de bouteille, la musique d’Anoman Brouh Félix, entre tradition et modernité, a su produire une rythmique nouvelle dont l’originalité n’a pas tardé à séduire des milliers de mélomanes dans toute la Côte d’Ivoire ».
Pour les contemporains des années 60, qui ne se souvient-il pas des monuments de la musique Akyé comme, Abenan Louis de l’orchestre “Super Disco”? De feu Okoi Seka Athanase, le fondateur de l’orchestre “Les Grands Colombia” d’Adzopé ? Du célèbre regretté Anouman Brouh Félix » ?
Anoman Brouh Félix. Un nom, une époque et surtout une musique. En toute sincérité, plus qu’une biographie, j’ai lu un livre d’histoire sur la chanson ivoirienne et précisément Akyé. Je pèse mes mots. Je ne connaissais l’artiste que de nom. Comment lire une œuvre sur un artiste et en faire un résumé tout en ayant jamais entendu initialement un soupçon de sa chanson ? Cette honte, je l’ai subie. J’ai cherché et trouvé une chanson de l’icône. J’ai enfin entendu la voix d’Anoman Brouh Félix, à travers la chanson “Hankoileu” que je ne compte même pas partager avec vous. De toutes les façons, cela ne vous dira rien, “Génération coupé-décalé” que vous êtes pour la majorité. (Rires)
“ANOMAN BROUH FELIX, ITINERAIRE D’UN MUSICIEN DE LÉGENDE” est le récit de la vie d’un artiste ivoirien, précisément AKYÉ (Attié) qui n’était en rien prédestiné à la chanson. Mais, à force de persévérance, il y est parvenu. Né en février 1935 à Adzopé, à 11 ans, il perd ses deux géniteurs. Il arrête l’école cette même année 1946 en classe de CP2.
Le désormais nouveau pensionnaire de l’école de la vie est accueilli par son oncle maternel. Auprès de ce dernier, il écume pendant les clairs de lune, les espaces de chants. Au cours des jeux avec ses amis, il imite déjà les guitaristes. Il a un mal de gorge qui vient se dresser comme le troisième obstacle dans sa vie, qui devrait le maintenir dans le statu quo, après le décès de ses parents et son abandon de l’école.
Anoman Brouh Félix apprit à tisser les, “papots”, (vannes) pour joindre les deux bouts. Gagnoa l’accueillit en 1954. Auprès d’un autre oncle, maître-tailleur, le jeune Anoman Brouh Félix devint apprenti-tailleur et partage son temps entre la couture et la musique. Entre temps, il avait reçu en cadeau, un banjo, l’ancêtre de la guitare.
Jusqu’en 1959 avant de quitter Gagnoa, l’idée de devenir artiste et de vivre de cet art était déjà ancrée en lui, puisqu’il avait intégré un groupe musical dans cette ville, auprès duquel il a affûté ses armes de futur grand musicien. Sur un coup de tête, il arrive à Abidjan en 1959 sans le moindre sou. Anoman Brouh Félix forme son groupe musical “Ivoiris Band” composé de huit musiciens dont un certain Oka Seka Athanase, père biologique Monique Seka. Commence alors une vie d’artiste jonchée de hauts et de bas, qui le conduira en France.
Dans les années 60, il était impossible de trouver en Côte d’Ivoire un artiste comme Anoman Brouh Félix avec autant de génie. S’il est vrai qu’à ses débuts, il imitait des Ghanéens, des Nigérians et des Français, force est de reconnaître que son répertoire est essentiellement puisé des tréfonds de la tradition akyé. Ses thématiques de prédilection : la joie de vivre, la jalousie, les règlements de compte, la trahison, la méchanceté, la sorcellerie, la mort. Anoman Brouh Félix a apporté cette réflexion qui invite à la méditation à travers ses textes et avec lesquels, il fallait comprendre les choses à un niveau très élevé, voire philosophique.
Il décède le 02 octobre 2021. Du haut de ses 86 piges, Anouman Brouh Félix vivait une retraite mitigée chez lui à Adzopé avec un AVC qui l’a rendu moins lucide et un quotidien de plus en plus difficile. Cette vie qu’il a tant aimée et chantée, il ne la célébrera plus à partir de ce 02 octobre 2021. Peut-être que ses contemporains le feront à sa place ? N’est-ce pas, en partie, cette célébration qui a conduit DJO Papi à créer le “Festy Akyé” ? En partie, pourquoi pas, puisqu’ « un artiste ne meurt jamais » comme le dit l’adage ?
Anoman Brouh Félix, “Itinéraire d’un musicien de légende” Zacharia Akafou. Editions Eburnie 2019.
Coolbee Ouattara
