Alors que l’année 2022 vient de s’achever, arrêtons nous un instant sur une importante infrastructure inaugurée le 26 Novembre dernier, le second terminal à conteneur du port d’Abidjan. Si l’éclat de la cérémonie d’inauguration n’a pas égalé celle du troisième pont par exemple, il faut noter cependant que l’infrastructure a nécessité un investissement de 596 milliards de FCFA, soit le second investissement le plus important effectué en Côte d’ivoire sur une infrastructure, derrière le métro (environ 1 115 milliards de FCFA).
Avec ce nouveau terminal, couplé à l’élargissement et l’approfondissement du canal de Vridi, le Port d’Abidjan accentue son avance en termes d’infrastructures, et de capacité de traitement du trafic de conteneurs, qui passe de 1 000 000 à 2 500 000 de conteneurs par an. Ainsi, le 06 Novembre 2022, deux semaines avant son inauguration, ce terminal recevait le MSC Aliya, le plus grand porte-conteneur à accoster à Abidjan à ce jour ( un navire transportant 14 300 conteneurs de vingt pieds ). Le port d’Abidjan peut désormais accueillir des porte-conteneurs de 15 000 conteneurs de vingt pieds ( contre 5 000 auparavant ), avec 15 jours en moins en termes de délais de transit. Tout cela fera-t-il pour autant de lui le premier port pour le trafic de conteneurs de la côte Ouest Africaine ?
Leader dans le trafic global de marchandises dans la sous région, le port d’Abidjan est pourtant largement distancé sur le segment du trafic des conteneurs par le port de Lomé, cinquième port Africain et surtout premier port d’Afrique sub saharienne sur ce segment. On peut s’étonner que le Togo qui est une toute petite économie en Afrique ( 39ème PIB sur 54 Etats ), abrite un port qui soit le premier d’Afrique sub saharienne en termes du trafic de conteneurs, et le cinquième en Afrique derrière Alexandrie en Egypte, Durban en Afsud, Port Saïd en Egypte, et Tanger Med au Maroc, selon un classement établi en 2019. Les données n’ont pas vraiment changé en 2021.
La raison est simple. La Mediterranean Shipping Company ( MSC ), concessionnaire du Port de Lomé et troisième armateur mondial, a fait de ce Port son « hub régional unique ». Concrètement, tous les navires de MSC en provenance d’Asie débarquent leur cargaison dans le port de Lomé. Ces conteneurs sont ensuite acheminés par la route vers leur destination finale, ou sont transbordés sur d’autres navires qui vont longer la côte et faire escale dans les différents ports pour les livrer. Cette méthode permet aux navires en provenance d’Asie de gagner du temps en évitant les multiples escales. Le port de Lomé est ainsi devenu un “centre d’éclatement” du trafic de conteneurs pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Il concentre tout le trafic à destination de ces deux sous-régions, devenant ainsi un centre majeur du transit de conteneurs en Afrique. On retrouve cette même configuration avec le port de Singapour en Asie.
Un problème se pose aujourd’hui. Le groupe Bolloré vient de céder tous les ports dont il avait la concession en Afrique ( dont celui d’Abidjan ), à MSC pour 5,7 milliards d’euros. La question est de savoir si le port de Lomé sera toujours le « hub régional unique », ou le port d’Abidjan va-t-il assumer désormais cette fonction vu ses installations désormais plus grandes ? Les experts maritimes sont unanimes à dire qu’entre Abidjan et Lomé, MSC devra faire un choix, choix auquel les deux Etats seront certainement vigilants. Bolloré avait fait du Port d’Abidjan sa place forte. Des tensions risquent de surgir si les autorités ivoiriennes se rendent compte que le port d’Abidjan est géré comme une « annexe » du port de Lomé.
Bolloré Africa Logistics a traité directement avec MSC. Les différents gouvernements n’ont pas été associés. Ils ont été mis devant le fait accompli, et n’ont pas eu accès au document final qui a sanctionné la transaction entre les deux groupes. Pour la Côte d’Ivoire, le port le plus important, c’est l’ex-Président Français Nicolas Sarkozy qui a été dépêché à Abidjan pour faire passer la pilule aux autorités. Certes à ce stade, les relations sont excellentes entre la Côte d’Ivoire et MSC, qui signalons-le, a la concession du port de San Pedro depuis 2008. Le contrat de concession vient d’être reconduit pour 15 autres années, soit jusqu’en 2038.
Pourtant des frictions ne sont pas à écarter entre MSC et l’Etat Ivoirien. Rappelons le conflit toujours pendant devant les juridictions internationales, entre Dubaï Port World ( DP World) et le gouvernement djiboutien au sujet du port de doraleh à Djibouti. DP World avait obtenu la concession de ce port en 2006 pour une durée de 50 ans. Mais en 2014, l’ Etat Djiboutien dénonçait l’accord et résilait la concession, pour plus tard l’attribuer aux Chinois de China Merchants. Pour faire simple, le gouvernement djiboutien s’est tourné vers d’autres partenaires qui ont proposé « mieux» . Un tel scénario n’est pas à exclure entre l’Etat ivoirien et MSC. Les contrats de concession ne sont pas écrits dans le marbre.
Les autorités ivoiriennes vont certainement réagir si le Port d’Abidjan venait à être utilisé comme une « simple extension » du port de Lomé. Dans l’actuel Plan National de Développement togolais, toute une partie de la stratégie est réservée au port de Lomé, qui est vue comme le fer de lance des activités dans le pays. C’est dire que les autorités de ce pays sont pleinement conscientes de l’enjeu. Nul doute que la question sera suivie de très près par les deux gouvernements. Pour l’instant, MSC parle d’une « ligne directe Africa Express » avec une « escale immédiate » à Abidjan, ce qui signifie que Lomé demeure son hub. C’est un feuilleton qu’on devra suivre en 2023.
Bonne année à tous.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales
