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Chronique du Lundi – géopolitique du monde d’après : Ou se situera l’Afrique dans ce monde d’après

Chronique du Lundi – géopolitique du monde d’après : Ou se situera l’Afrique dans ce monde d’après
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Christian Gambotti
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Le monde d’après est le monde qui surgira après la guerre en Ukraine. Ce monde d’après se dessine depuis la Chute du Mur de Berlin, l’effondrement du communisme et la disparition de l’URSS. L’Occident a cru que les Etats et les peuples de la planète entière n’auraient plus, comme seuls objectifs, que leur propre perfectionnement démocratique et leur développement économique (thèse de Francis Fukuyama). Huntington et Barber ont, très tôt, démontré que nous entrions dans des guerres civilisationnelles avec l’affrontement de blocs ennemis. Où se situera l’Afrique dans cette nouvelle « Guerre froide » ?

La thèse de Francis Fukuyama

Francis Fukuyama est connu pour sa thèse sur la fin de l’Histoire. Il est moins connu pour être un néo-conservateur, ancien conseiller de Reagan. Dans les années 1980, il soutient l’envoi d’armes par les Américains aux djihadistes afghans, alors en guerre contre l’URSS. Son idée est d’affaiblir les soviétiques pour créer le « siècle américain ».  Après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du communisme, s’éloignant des néo-conservateurs, il met en avant l’importance du soft power américain pour conquérir le monde. L’idée d’un « siècle américain » fondé sur le soft power le conduit à développer l’idée de la « fin de l’histoire ». L’effondrement du communisme instaure une ère nouvelle qui se caractérise par la fin des guerres idéologiques. Son article publié en juillet 1989, The End of History ?, repris dans la revue française Commentaire (N° 47, automne 1989), donnera naissance à l’idéologie de la mondialisation heureuse qui se construit sur les valeurs de l’Occident.

Huntington et Barber : l’ère des guerres civilisationnelles

Deux livres-clefs qui permettent de comprendre le monde d’après sont publiés en 1996 et 2001.

● 1996, Samuel Huntington – Aveuglé par le triomphe de l’économie marchande à l’échelle de la planète, l’Occident croit qu’il n’existe que trois valeurs : la respectabilité démocratique, le contrat commercial et le développement économique. Ces trois valeurs, portées par un soft power efficace et une économie mondialisée, sont détournées vers l’hégémonie de l’Occident. Samuel Huntington publie, en 1996, un livre remarquable, « Le Choc des Civilisations ». Esprit visionnaire, il décrit le monde d’après, affirmant qu’il faut désormais penser les conflits en termes non plus idéologiques mais culturels : « Dans ce monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l’humanité et la source principale de conflit sont culturelles. Les États-nations resteront les acteurs les plus puissants sur la scène internationale, mais les conflits centraux de la politique globale opposeront des nations et des groupes relevant de civilisations différentes. Le choc des civilisations dominera la politique à l’échelle planétaire.» Le seul moyen pour éviter les guerres est que les puissances dominantes de chaque respectent le périmètre des zones d’influence et qu’elles s’interdisent d’intervenir à l’extérieur de leur zone civilisationnelle. Joe Biden, qui n’a pas lu ou qui n’a pas compris Huntington, vient de déclarer : « C’est le moment où les choses changent. Il y a un nouvel ordre mondial et nous devons le diriger. » Erreur d’analyse. Il existe d’autres mondes que le monde occidental : le monde russe, le monde chinois, le monde musulman avec d’autres valeurs que celle de l’« Occident collectif ».

● 2001, Benjamin R. Barber. Barber publie son livre « Djihad versus Mcworld – Mondialisation et intégrisme contre la démocratie » en mai 2001. Dans L’Expansion, Gérard Moatti écrivait : « Les oppositions idéologiques qui ont marqué la guerre froide, dit Barber, n’ont fait que masquer pendant quelques décennies un clivage beaucoup plus profond, et qui réapparaît aujourd’hui avec violence, entre universalisme et particularisme. La première tendance, baptisée “McWorld”, recouvre à la fois l’uniformisation des modes de vie (McDo, Coca-Cola, la “culture rock”, etc.), la transmission universelle et instantanée des messages (Internet), la globalisation de l’économie. La seconde, désignée sous le nom de “Djihad”, n’est pas représentée seulement par l’intégrisme islamique, mais par « l’ensemble des forces qui œuvrent à un renforcement des particularismes ethniques, religieux ou culturels ». Le procès de Djihad étant plus facile à instruire (terrorisme, purification ethnique, mafia…), Barber insiste surtout sur celui de McWorld. (…) Tout en se combattant, McWorld et Djihad se renforcent mutuellement: les intégristes de tout bord ont beau jeu de dénoncer le matérialisme ou la dépravation colportés par McWorld, tandis que ce dernier justifie son influence envahissante comme une forme de lutte contre l’obscurantisme et le repli sur soi. A tort, car la puissance de McWorld n’est au service d’aucune valeur autre que la recherche du profit: contrairement aux illusions qui ont suivi la fin de la guerre froide, dit Barber, la conversion de beaucoup de pays à l’économie de marché n’est nullement un gage de progrès vers la démocratie. » Cette analyse de Gérard Moatti montre que chaque bloc est tourné vers l’hégémonie, l’Occident se parant des vertus universalistes de progrès économique et de démocratie.

Où se situe l’Afrique?

Dans ce monde d’après, les dernières frontières de l’Occident en Afrique sont contestées par la Russie, la Chine et les djihadistes. Les thématiques de la démocratie et de la globalisation économique sont des valeurs occidentales que ne reconnaissent pas les ennemis de l’Occident. Le vote a l’ONU pour la condamnation des actions de la Russie en Ukraine, le 2 mars 2022, est venu confirmer l’existence d’un monde d’après dans lequel l’Afrique choisit de défendre ses intérêts. Face aux pays de l’Occident qui ont parlé d’une seule voix et ont condamné à l’unanimité la Russie, la plupart des pays africains ont adopté une position neutre. Des coups d’Etat militaires qui contestent l’Occident reçoivent l’appui des opinions publics et les investissements de la Chine  montrent le l’Afrique s’installent sur une trajectoire  qui la conduit à sortir de la tutelle du monde occidental. Dans la compétition que se livrent les grandes puissances pour avoir accès aux ressources de l’Afrique, l’Occident perd des points. L’abstention de 16 pays africains à l’ONU, dont le Sénégal, lors du vote condamnant la Russie, montre que l’Afrique se réserve pour le monde d’après, qui sera différent de celui que nous avons connu.

Christian Gambotti

Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique 

Contact : cg@afriquepartage.org

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