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Chronique du lundi – l’escargot géant de Côte D’Ivoire : un écosystème en plein développement du marché local à l’exportation

Chronique du lundi – l’escargot géant de Côte D’Ivoire : un écosystème en plein développement du marché local à l’exportation
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Christian Gambotti
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La Côte d’Ivoire, comme de nombreux pays africains, dispose de richesses naturelles abondantes, minières ou agricoles. Les matières premières brutes sont exportées. Largement documentées, ces exportations créent des conditions propices à la corruption et aux gaspillages. S’ajoute un effet négatif de croissance, la création des chaînes de valeurs et de la richesse se faisant à l’extérieur du pays au détriment des États, privés de recettes fiscales, et des populations, notamment les petits producteurs privés de revenus décents. Pour sortir de la malédiction des matières premières brutes, minières, agricoles ou fossiles, la Côte d’Ivoire construit, avec une certaine réussite, des processus de diversification de son économie, que ce soit pour exploiter les richesses de son sous-sol ou celles de son sol. 

La malédiction des richesses du sous-sol – Les richesses de son sous-sol permettent à la Côte d’Ivoire de diversifier une économie principalement dominée par l’agriculture. Elle exploite déjà les matières premières minières : or, diamant, manganèse, fer, nickel, bauxite, cuivre, coltan. Le pays s’est d’ailleurs doté, depuis 2014,  d’un Code minier parmi les plus attractifs du monde. Les ressources ivoiriennes en pétrole (méga-gisement Baleine) et gaz naturel ont conduit la société italienne ENI à investir 10 milliards de dollars pour construire les infrastructures qui vont permettre d’exploiter et transporter les énergies fossiles. À qui profite l’exploitation du sous-sol ivoirien ? Cette exploitation risque de profiter aux sociétés internationales et aux grandes puissances. Au Gabon, un géant mondial exploite le manganèse. Ce qui se passe en République Démocratique du Congo montre que des puissances étrangères ont la mainmise sur les richesses du sous-sol congolais. Décider à relancer l’agriculture dans son pays à des fins de sécurité alimentaire, Félix Tshisekedi, le président congolais, a appelé à une revanche du sol sur le sous-sol. Mais, il existe aussi une malédiction des matières premières agricoles

La malédiction des matières premières agricoles – La Côte d’Ivoire est riche aussi de ses matières premières agricoles : cacao, café, anacarde, hévéa, etc. Pour Justin Koffi NGoran, Directeur de l’ARRE, « il existe, pour les pays émergents, une double malédiction des matières premières agricoles. Première malédiction : elles font l’objet de spéculations mondiales en lien avec les incertitudes de production et la volatilité des prix, ce qui entraîne des risques et des incertitudes. Deuxième malédiction : elles sont massivement exportées, la rente de la transformation étant captée par les grandes multinationales étrangères. L’exportation des matières premières brutes agricoles a un effet négatif sur la croissance. Pour pallier cette double malédiction, la Côte d’Ivoire a choisi : a) d’organiser ces produits, depuis l’achat bord-champs jusqu’à l’exportation, autour d’autorités de régulation comme l’ARRE b)  de transformer localement les matières premières agricoles brutes. En 2022, le taux de transformation locale de l’anacarde était de 22 %. Nous voulons arriver à transformer localement 50 % des produits de la filière anacarde. »

La mise en valeur d’un produit traditionnel : l’escargot géant de Côte d’Ivoire

Pour sortir de la malédiction des matières premières brutes, l’un des moyens les plus efficaces qui permettent d’accéder à l’emploi et obtenir des revenus décents, est l’existence de coopératives agricoles, notamment pour la production, l’exploitation et la commercialisation du beurre de karité, et les fermes d’élevage, le dernier exemple, avec des résultats encourageants, étant les fermes d’élevage d’escargots géants qui connaissent une progression fulgurante. Traditionnellement, les escargots géants comestibles constituent une viande de brousse très prisée dans certains pays subsahariens gros consommateurs de ce produit qui provient de cueillettes sauvages. La cueillette, la déforestation, les pesticides et le changement climatique menacent les cheptels sauvages, ce qui explique que, depuis cinq ans, nombreux sont les Ivoiriennes et les Ivoiriens qui se lancent dans l’élevage d’escargots géants. L’élevage, qui nécessite peu d’investissements, attire de plus en plus de jeunes entrepreneurs. Après des résultats contradictoires et de mauvaises performances, les fermes d’élevage obtiennent un produit comparable, gabarit et goût, à l’escargot sauvage. Aujourd’hui, la production d’escargots géants d’élevage, uniquement destiné au marché local, atteint les 250 tonnes par mois, contre 25 tonnes par an il y a 5 ans. Il existe aujourd’hui quelque 1 500 fermes d’élevage, réunies en une cinquantaine de coopératives, dans tout le sud humide de la Côte d’Ivoire. Le gouvernement encourage l’élevage, car le développement de l’écosystème permettra de créer des emplois et transformer un produit traditionnel, consommé localement par la classe moyenne ivoirienne, en un produit de luxe destiné à l’exportation. Selon Bernus Bleu, ingénieur de formation et directeur de Côte d’Ivoire Expertise Escargots (CIEE), « l’élevage résout le problème de la disparition de l’escargot rouge, car l’élevage permet d’avoir du produit toute l’année ». Les coopératives appliquent les mêmes standards d’élevage, avec l’objectif de bénéficier d’un label ivoirien, afin d’accéder au marché européen, alors que, pour l’instant, le produit est uniquement exporté dans la sous-région. 

Le potentiel d’une filière

Cette filière présente un énorme potentiel, car rien ne se perd : la bave d’escargot, mélangée à de l’huile de coco, du colorant vert et du parfum, est utilisée dans l’industrie des cosmétiques pour la fabrication de savons, pommades et gels douches. A Azaguié, dans les locaux de la CIEE, un petit atelier permet à quatre femmes, malgré un matériel rudimentaire, de produire, chaque semaine, en moyenne, 5.000 savons et 5 000 flacons de gel. Nelly Blonn la cheffe d’atelier, possède les éléments de langage de l’industrie cosmétique, lorsqu’elle affirme : « la bave d’escargot hydrate la peau, en enlève les impuretés et empêche son vieillissement », un argument fort pour des consommatrices quand on sait que les peaux noires ou métissées sont réputées sèches ou déshydratées, ce qui crée un sentiment d’inconfort. La poudre de la coquille est aussi utilisée dans l’industrie cosmétique ; son utilisation se prolonge dans la pharmacopée et l’alimentation animale.

Une filière créatrice d’emplois : au bout de six ans d’existence, selon les chiffres de son Directeur, Bernus Bleu, la CIEE, emploie 75 salariés, possède 50 fermes d’élevage, des unités de production et forme, chaque mois, 200 personnes qu’elle aide dans leur installation. On compte, actuellement, dans la filière, 25 000 producteurs. L’objectif est d’atteindre dans un avenir proche les 100 000.

Les leçons à retenir

Première leçon – Parmi les risques que courent les pays du Sud, figure la marginalisation économique de pans entiers des populations, notamment les femmes et les jeunes générations, que ce soit dans les zones urbaines ou rurales. Disposant d’une taille critique pour favoriser le financement, l’innovation et l’intégration dans les chaînes de distribution, les coopératives agricoles et les fermes d’élevage contribuent à éviter cette marginalisation, facteur d’injustice sociale et d’instabilité ; elles sont aussi des réducteurs efficaces de pauvreté. Les filières agricoles et d’élevage sont des filières d’avenir qui se réinventent sans cesse, notamment par la mise en place de filières spécifiques comme l’élevage des escargots géants.

Deuxième leçon – Il existe des produits et un art culinaire africains. C’est en préservant ce patrimoine du goût et des terroirs, un patrimoine culturel et social, que l’Afrique affirme sa présence sur la scène internationale, L’Afrique influence la mode, la musique et l’art. Elle doit s’affirmer comme puissance gastronomique.

Troisième leçon – Près de 90% des forêts de Côte d’Ivoire ont disparu en 60 ans, principalement à cause de l’exploitation agricole (cacao, huile de palme). La déforestation, l’utilisation de pesticides et le changement climatique (sécheresse fatale aux forêts humides) entraînent la disparition de l’escargot « sauvage ». Certes, l’escargot géant subsaharien est sauvé par les fermes d’élevage et la création d’une filière et d’un écosystème spécifiques. Mais, quid du couvert forestier et de la protection de la biodiversité  en Côte d’Ivoire au moment où se déroule la COP 28 et s’achève la COP 15 ?  

Christian GAMBOTTI -Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org

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