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    Chronique du lundi – Remaniement ministériel en Côte d’Ivoire : vers un gouvernement technique ou politique ?

    Chronique du lundi – Remaniement ministériel en Côte d’Ivoire : vers un gouvernement technique ou politique ?
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 7 minutes

    Pourquoi un remaniement ministériel ? Le 28 septembre 2023, le président ivoirien Alassane Ouattara, confirmant les rumeurs qui couraient, a annoncé en conseil des ministres un prochain remaniement ministériel. 

    Le remaniement ministériel est un outil qui permet au Président de la République, lorsque le besoin se fait sentir, de changer la composition du gouvernement pendant la durée du mandat d’une législature sans provoquer la dissolution de l’assemblée nationale. Il est donc important d’analyser 1) le moment choisi pour un remaniement ministériel 2) la forme du remaniement (technique ou politique) 3) la portée du remaniement, son ampleur. 

    La Côte d’Ivoire ne connaissant pas de crise grave et le RHDP, le parti présidentiel, étant sorti largement vainqueur des élections locales et des sénatoriales du 2 septembre, pourquoi alors un remaniement ministériel qui aura lieu après le 12 octobre ? Trois raisons président à un remaniement ministériel : 1) des ministres souhaitent quitter le gouvernement, parce qu’ils se sont présentés avec succès à une élection, ils choisissent alors de se consacrer à de nouvelles fonctions 2) des ministres doivent être remplacés, parce qu’ils ne répondent pas aux attentes de l’exécutif ou qu’ils sont en décalage avec la politique voulue par l’exécutif 3) les circonstances imposent un remaniement d’ampleur, qui sera alors fortement médiatisé, car il s’agit d’envoyer un message politique fort de renouveau aux électeurs et aux observateurs.

    Quel est le bilan de Patrick Achi et des gouvernements qu’il a dirigés ? Le bilan est bon. Est-ce suffisant pour se contenter d’un remaniement à minima en révoquant des ministres qui ont failli ou qui ont pris leur ministère pour une agence de voyage ? Sans pratiquer l’art divinatoire, on peut dire que le remaniement ministériel à venir sera d’ampleur et très politique. La perspective est celle de l’élection présidentielle de 2025 avec la priorité accordée au volet social. Le temps est court d’ici 2025, il faudra un Premier ministre qui tranche rapidement avec autorité, des ministres qui ont, quel que soit le poste, une image sociale.

    Fin connaisseur des réalités politiques, Alassane Ouattara voit que, dans un contexte économique frappé par l’inflation et les bouleversements géopolitiques, les populations, notamment les femmes et les jeunes générations, frappent à la porte de l’Histoire, avides d’une croissance plus inclusive et un meilleur partage des richesses. Il constate que la rue, longtemps hostile aux coups d’Etat militaires, applaudit aux passations forcées de pouvoir dans la sous-région. Il est donc urgent, pour le gouvernement, de répondre plus rapidement aux préoccupations sociales. Le danger, pour un exécutif au pouvoir depuis 2011, est d’oublier de se réinventer. La transformation du RHDP, une simple coalition électorale fondée en 2005 en parti le 16 juillet 2018, a permis au « ouattarisme » de se réinventer. Le remaniement ministériel est, dans la perspective de 2025, une manière de se réinventer.

    Répondre aux préoccupations sociales

    L’urgence absolue, pour Alassane Ouattara, est de répondre aux préoccupations sociales. L’économie ivoirienne est consolidée, le pays bénéficie de la confiance des bailleurs de fonds internationaux et des investisseurs étrangers. Mais, la Côte d’Ivoire est un pays riche dans lequel vivent des populations pauvres et l’enrichissement national n’atteint pas suffisamment ces populations, ce qui constitue une menace pour le gouvernement dans la perspective de l’élection présidentielle de 2025, beaucoup plus qu’une opposition qui est tétanisée par sa déroute électorale du 2 septembre et qui ne parvient pas encore à se mettre en ordre de marche.  L’enjeu social du remaniement ministériel est plus fort que l’enjeu politique. 

    Une croissance forte, un budget en équilibre, un endettement maîtrisé et le développement comme boussole ne constituent pas un projet de société. Ce sont des préalables nécessaires sur la trajectoire du développement. Mais, tout projet de société est politique.  Alors que la gouvernance Ouattara a permis de cocher les cases du développement économique et de la stabilité politique, il reste beaucoup à faire pour cocher la case de la cohésion sociale. Alassane Ouattara veut aller vite, d’où le remaniement ministériel. Le vendredi 6 octobre 2023, il a procédé à la signature d’un décret mettant fin à la fonction du Premier ministre, ainsi que celle des membres du gouvernement, conformément à l’article 70 de la constitution. Le Premier ministre Patrick Achi  et les ministres sortants sont chargés d’expédier les affaires courantes, le remaniement devant intervenir après la rentrée du Sénat prévue pour le 12 octobre 2023. 

    Les nominations des présidents des institutions de l’Etat qui viennent d’avoir lieu donnent une première indication à travers les changements ou la confirmation des présidents sortants. On sait qu’Ahoua N’doli Théophile ne sera pas ministre, puisqu’il conserve son poste à la tête de l’Inspection générale d’Etat. Sur le choix des ministres du prochain gouvernement, Alassane Ouattara considère que la légitimité électorale ne suffit pas pour être nommé ou reconduit au poste de ministre. Trois critères sont mis en avant dans la perspective de l’élection présidentielle de 2025 : 1) le facteur temps : il faut aller vite et trancher sans hésiter 2) le facteur technique avec une parfaite maîtrise des dossiers 3) le facteur politique : proximité avec les électeurs et capacité de répondre concrètement à la demande sociale des populations. Les Ivoiriennes et les Ivoiriens veulent des réformes pour leur assiette et non pas uniquement pour financer des ponts et des échangeurs routiers.

    L’image qu’Alassane Ouattara veut laisser dans l’Histoire

    Alassane Ouattara a besoin, dans la perspective de 2025, d’un gouvernement « social », afin de renforcer la cohésion nationale. Cohésion nationale rime en effet avec cohésion sociale, réconciliation avec inclusion. Le remaniement ministériel doit se traduire par un changement d’esprit dans l’équipe gouvernementale et agir comme un véritable électrochoc. Il ne s’agit pas simplement d’accélérer les grands travaux, mais de répondre aux aspirations des populations, dont les préoccupations sont liées à la cherté de la vie (l’augmentation récente du prix de l’essence passe mal) et aux difficultés d’accès aux services de base (eau, électricité), au logement, à l’emploi, à la santé et à l’éducation.

    Qui sera candidat en 2025 ? Personne ne le sait. La figure d’Alassane Ouattara suffit pour maintenir l’unité de sa famille politique et fédérer sur tout le territoire un électorat qui lui reste fidèle. Il appartient à ses ministres et au RHDP de défendre le formidable bilan politique, économique et social construit depuis 2011. Les circonstances ont fait qu’il s’est présenté en 2020 justement pour maintenir l’unité de sa famille politique et préserver les acquis de sa gouvernance que l’opposition n’aurait eu de cesse de défaire, si elle était arrivée au pouvoir.

    Houphouët-Boigny a bâti la nation ivoirienne sur un projet libéral et social. Ouattara, dans le droit fil de la philosophie politique profondément humaniste du Père de la nation, souhaite incarner, à côté de son image de Président « bâtisseur », celle d’un Président social. Je retiens cette phrase d’Houphouët-Boigny que cite toujours le professeur Justin Koffi N’Goran (1), le Directeur général de l’ARRE, et qui sert de matrice à son prochain livre : « Certes, nous ne sommes pas un pays socialiste, mais notre ambition est de réaliser (…) un social des plus hardis. » Cette phrase d’Houphouët-Boigny incarne la feuille de route que suit Ouattara depuis son accession à la magistrature suprême.

    Le pouvoir pour le pouvoir semble ne pas l’intéresser. Son but est de faire de la Côte d’Ivoire un grand pays prospère (le pilier économique), uni (le pilier politique) et solidaire (le pilier social). Les résultats sont là et se traduisent dans les élections depuis 2011. Or, les circonstances génèrent aujourd’hui une profonde inquiétude sociale, ferment de discorde et d’instabilité politique, ferment aussi des défaites électorales pour un parti au pouvoir qui oublierait de se réinventer (2).

    _________________________

    (1) Justin Koffi N’Goran, livre à paraître (fin novembre) : « La Côte d’Ivoire au défi du social et de l’équilibre des territoires » (PML Editeur, Coll. L’Afrique en Marche). Dans son livre, Justin Koffi N’Goran théorise le libéralisme social appliqué à l’Afrique.

    (2) Les victoires des candidats indépendants contre les élus des grands partis ivoiriens aux élections locales du 2 septembre sont nombreuses, notamment la victoire surprise du candidat indépendant à Maféré, malgré le bon bilan du maire RHDP sortant. Les candidats indépendants, avec 41 communes remportées sur 201, constituent la 2è force politique du pays. Voudront-ils soutenir un candidat indépendant en 2025 ?

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    Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org

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