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Chronique : La Côte d’Ivoire, le FMI et la CAN

Chronique : La Côte d’Ivoire, le FMI et la CAN
Publié le
Par
Christian Gambotti
Lecture 6 minutes

La Côte d’Ivoire 2011-2024 : une nation en pleine reconstruction

Depuis 1993, date de la disparition du Père de la Nation, Félix Houphouët-Boignty, la Côte d’Ivoire, devenu un État failli, avait disparu des écrans-radar de l’Afrique et de la scène internationale. Entre 1993 et 2011, son histoire se réduit à une succession d’événements tragiques : banalisation de la violence dans le champ politique ; instrumentalisation du concept d’« ivoirité » dans la vie publique ; coup d’État du 24 décembre 1999, qui renverse le président Bédié ; assassinat du général Gueï le 19 septembre 2002 ; guerres civiles de 2002-2007, qui viennent confirmer que la lutte armée est acceptée comme moyen pour conserver ou s’emparer du pouvoir ; 2010-11, grave crise post-électorale, qui fera 3000 morts. Pendant cette longue période, des pans entiers de l’économie ivoirienne vont s’effondrer. Les violences et des guerres civiles affectent le fonctionnement de l’école et des services de santé. 

L’élection à la présidence de la République d’Alassane Ouattara en décembre 2010, – il sera installé officiellement le 4 mai 2011 par une décision de la Conseil constitutionnel -, va permettre à la Côte d’Ivoire de se reconstruire. À partir de 2011, Alassane Ouattara met en œuvre le plus vaste plan de reconstruction que la Côte d’Ivoire n’ait jamais connu en même temps qu’il conduit une politique de réconciliation nationale. Mais, comment reconstruire la nation sans une économie performante et des investissements publics massifs ? 

La Côte d’Ivoire reste un pays pauvre. Sous la gouvernance Ouattara, on assiste à une impressionnante reprise économique du pays depuis 2011 avec une croissance du PIB réel de 8,2 % en moyenne sur la période 2012-2019. Pendant la pandémie de COVID-19 le pays gardera un rythme de croissance positif à 2 % en 2020. Avec une économie résiliente car suffisamment diversifiée, le pays, entre 2021 et 2023, renoue avec sa trajectoire de forte croissance située autour de 6 à 7 %. Selon la Banque Mondiale, la croissance réelle du PIB devrait s’établir en moyenne à 6,5 % en 2024-25.

Comme Félix Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara sait qu’il ne peut pas y avoir de nation forte sans une économie forte. Le préalable à la reconstruction du pays, c’est la restauration de l’économie, ce qui suppose une capacité de financement.

L’économie, outil de puissance

Il existe deux moyens essentiels pour financer l’économie nationale : 1) recourir aux ressources internes, c’est ce que préconisent désormais les autorités ivoiriennes, afin d’être moins dépendant vis-à-vis des partenaires financiers extérieurs 2) recourir à l’emprunt sur les marchés financiers, sans alourdir la charge de la dette publique. Si la plupart des États africains doivent faire face à la rareté et à l’indisponibilité de ressources financières sur le marché international, la Côte d’Ivoire a toujours eu la confiance des institutions de Bretton Woods dans le financement de ses projets. 

Le 21 novembre 2023, lors de sa visite en Côte d’Ivoire, Marie-Chantal Uwanyiligira, de la Banque mondiale, a confirmé à Robert Beugré Mambé, Premier ministre de la Côte d’Ivoire, que l’institution allait accélérer les décaissements en faveur du pays qui, en avril 2023, avait contracté un prêt de 3,5 milliards de dollars auprès du Fonds Monétaire International (FMI). Une partie de ces fonds, – un milliard de dollars -, ont été investis dans l’organisation de la CAN : rénovation et construction de routes, hôpitaux, hôtels et stades. 

Le but, pour les autorités ivoiriennes, est d’accélérer l’impressionnante reprise du pays depuis la fin de la guerre civile en 2011. Les fonds souverains étant insuffisants, – ils représentent moins de 50 % du budget de l’Etat -, l’endettement de la Côte d’Ivoire étant passé de 38 % du PIB en 2019 à 60 % en 2023, il est évident qu’il faut multiplier les leviers qui vont permettre de consolider l’économie. L’organisation de la CAN est l’un de ces leviers.

Le soft power du sport

Au-delà d’être un levier économique et une compétition sportive internationale de prestige, la CAN a accéléré la modernisation du pays avec des chantiers structurants qui ont changé, aux yeux du monde, le visage de la Côte d’Ivoire. En charge d’« organiser la plus belle CAN de l’histoire », le nouveau chef du gouvernement, également titulaire du portefeuille des Sports, Robert Beugré Mambé, est en passe de réussir son pari. 

J’avais écrit, dans une Tribune précédente consacrée à la nomination de Robert Beugré Mambé : « La nomination de Robert Beugré Mambé n’est pas un choix par défaut, c’est au contraire une nomination très politique. (…) L’enjeu, pour Ouattara, n’est pas simplement sportif, il est aussi politique. Sur la scène nationale, la réussite de la CAN permettra de créer un climat de confiance, alors que le nouveau gouvernement doit certes consolider les acquis de la gouvernance Ouattara, mais aussi répondre aux attentes des populations en relevant le défi des nouvelles urgences : la lutte contre l’inflation généralisée, l’insécurité alimentaire, le réchauffement climatique et l’amélioration du cadre de vie. En termes géopolitiques, la CAN 2024 est un événement unique qui permet d’accroître la visibilité et le rayonnement de la Côte d’Ivoire en Afrique et sur la scène internationale. »  

Cette CAN historique organisée par la Côte d’Ivoire montre la tout puissance du soft power que représente le sport, en particulier le football, sport planétaire. 

Faut-il parler de « miracles » ivoiriens ?

On a parlé, sous Houphouët-Boigny, de « miracle économique ivoirien » ; puis, sous la gouvernance d’Alassane Ouattara, de « second miracle économique ». La métaphore du miracle est commode, mais elle ignore la capacité de deux hommes politiques de bâtir, à des époques différentes, la grande nation ivoirienne. On parle aussi de miracle pour la qualification de l’équipe nationale ivoirienne de football pour les demi-finales de la CAN. Je ne crois ni au miracle, ni à la sorcellerie, mais aux qualités d’une équipe dont le destin a été confié à un entraîneur ivoirien, l’ancien international Émerse Faé. 

Après la CAN, qui sera le « nouveau Sélectionneur- Entraîneur » des « Eléphants » ? Un « sorcier blanc » ? Au Mondial 1998, des sélectionneurs français, polonais ou serbe étaient à la tête des cinq équipes africaines. En 2022, lors de la Coupe du monde de football qui s’est tenue au Qatar, aucun technicien étranger ne dirigeait une équipe africaine. Aujourd’hui, les sélectionneurs africains ont les compétences, les qualités et le talent pour diriger l’équipe nationale de leur pays. Ont-ils, en face d’eux, des Fédérations en ordre de marche?

Christian GAMBOTTI –  Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

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