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Contribution – décryptage de la victoire de Félix Tshisekedi : les 3 raisons d’une reelection

Contribution – décryptage de la victoire de Félix Tshisekedi : les 3 raisons d’une reelection
Publié le
Par
Christian Gambotti
Lecture 12 minutes


Le 31 décembre 2023, lors d’une cérémonie de publication des résultats provisoires de la présidentielle congolaise du 20 décembre dernier, Dénis Kadima, le président de la commission électorale, annonce la réélection du président sortant : « Est élu à titre provisoire, le candidat Felix Antoine Tshisekedi Thiolombo. ». Felix Antoine Tshisekedi obtient 73,34 % des voix dans un scrutin qui a enregistré 43,23 % de taux de participation. Les résultats définitifs seront proclamés le 10 janvier 2023. 

Une Mission d’observation des Églises catholique et protestante, qui a effectué son propre comptage, note que le Président sortant s’est « largement démarqué des autres, avec plus de la moitié des suffrages à lui seul ». Est-ce une surprise ? Non. Les cas d’irrégularité constatés dans certains endroits ne viennent pas contredire la dynamique d’une campagne électorale unitaire qui a permis la réélection de Félix Tshisekedi, le seul à incarner une figure de rassemblement. 

Les opposants (Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Augustin Matata Ponyo, Delly Sesanga) se sont rencontrés tout au long de 2023 sans être capables de s’entendre sur une candidature unique contre le président sortant et bâtir un programme commun de gouvernement. Parmi les candidats qui méritent le respect, le docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix pour son action auprès des femmes victimes de viols de guerre, ne pouvait pas prétendre être élu : il ne disposait ni des moyens ni des équipes nécessaires pour porter sa candidature auprès des 45 millions d’électeurs et sur l’ensemble du territoire immense de la République Démocratique du Congo, notamment dans des zones reculées, enclavées, difficiles d’accès.

De son côté, face à une opposition divisée et des tensions électorales qui ont toujours ponctué l’histoire politique de la RDC, Félix Tshisekedi pouvait compter sur l’appui des 500 partis politiques qui composent l’« Union sacrée pour la nation » et la dynamique unitaire impulsée par les poids lourds de la politique congolaise que sont Vital Kamerhe, Jean-Pierre Bemba et Jean-Lucien Bussa. Bien avant le 20 décembre, la victoire de Félix Tshisekedi pour un second mandat ne faisait aucun doute.

Félix Tshisekedi, un président qui va s’affirmer

Après son élection en 2019, Félix Tshisekedi va connaître, pendant 4 mois, une longue période d’incertitude politique, essentiellement marquée par la guerre d’influence que mène contre lui l’ancien président Joseph Kabila. Au bout de 4 mois, la nomination d’un Premier ministre proposé par Joseph Kabila, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, venu de nulle part, car en retrait de la vie politique, permet de sceller un accord entre Tshssekedi et Kabila. Est-ce le début d’une véritable alternance au sommet de l’Etat ? Présent à Kinshasa le jour de la nomination de Sylvestre Ilunga Ilunkamba au poste de Premier ministre, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, parlera, dans un langage très diplomatique, d’« alternance » réussie. La réalité est plus complexe : le président élu, Félix Tshisekedi, dispose certes des prérogatives importantes que lui confère la Constitution ; mais, Kabila conserve tous les autres leviers du pouvoir, une large majorité au Parlement et, au sein du gouvernement, des ministres qu’il a choisis et qui sont majoritaires ; autre difficulté pour Tshisekedi, à l’Assemblée nationale, les partisans de Moïse Katumbi, de retour au pays et qui s’oppose à l’accord politique entre Tshisekedi et Kabila, sont nombreux. Comment gouverner dans ces conditions ?

Fin connaisseur de la vie politique congolaise, Félix Tshisekedi sait qu’il lui faut gouverner en s’appuyant sur la coalition des opposants à Kabila, tout en évitant de rester enfermé dans le statut de plus petit dénominateur commun de tous les opposants, un statut qui lui interdit tout avenir politique. De 2019 à 2020, Félix Tshisekedi, tout en donnant le sentiment qu’il accepte cette forme de cogestion du pays, s’attèle à mettre en place l’« Union sacrée de la nation », une majorité qui, en décembre 2020, renversera la majorité constituée autour de son prédécesseur Joseph Kabila. Après deux ans de cogestion du pays par les deux hommes, Félix Tshisekedi peut enfin s’affranchir de la tutelle de Kabila, gouverner seul et décider des grandes orientations des politiques publiques.

Gouverner seul, l’objectif est atteint. Mais, dans quel but ? Une majorité de Congolais et la communauté internationale sont convaincus que Félix Tshidekedi  porte un véritable projet de société qui s’inscrit dans une vision prospective de l’avenir de la RDC avec, comme boussole, le développement. La France tient à manifester son soutien à ce président arrivé au pouvoir de façon pacifique. Elle accordera un programme d’aide de 300 millions d’euros à la RDC pendant les cinq ans du mandat de Félix Tshisekedi. Le 29 avril 2023, à huit mois de l’élection présidentielle, Félix Tshisekedi peut, au Stade des Martyrs à Kinshasa, défendre son bilan et présenter l’« Union Sacrée de la nation », une coalition de 500 partis politiques soutenant sa candidature en vue de sa réélection en décembre. A ses côtés, figurent Vital Kamerhe, Jean-Pierre Bemba et Jean-Lucien Bussa, les trois hommes, qui, par leur engagement sur le terrain, joueront un rôle-clef dans la réélection de Félix Tshisekedi.

Les trois raisons de cette réélection

Je vois trois raisons à cette réélection : 1) lorsqu’il est élu en 2018, Félix Tshisekedi incarne une alternance démocratique 2) Il a été soutenu, pendant la campagne électorale, par une véritable équipe composée de poids lourds politiques (Vital Kamhere, Jean-Pierre Bemba, Jean-Lucien Bussa) 3) Son bilan est, sur de nombreux points, positif. 

A) L’alternance démocratique

Premier constat : les 4 élections (Présidentielle, ) se sont tenues à la date prévue. Deuxième constat : dans l’esprit des Congolais, Félix Tshisekedi est l’héritier politique de son père, Etienne Tshisekedi, qui s’est toujours opposé à la prise du pouvoir par les armes. Figure emblématique de l’opposition, rival de Mobutu et des Kabila, Etienne Tshisekedi s’est éteint en 2017 sans avoir vu se réaliser son rêve, celui d’une alternance politique pacifique en RDC. C’est en 2019, deux ans après la disparition de son père, que Félix Tshisekedi accède à la magistrature suprême à l’issue d’une alternance démocratique, alors qu’Etienne Tshisekedi n’aura jamais réussi à conquérir le pouvoir. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, déclarera : « Il y a eu une vraie élection démocratique, je la constate, validée par la Cour constitutionnelle et validée par l’Union africaine. » L’ambassadeur américain Mike Hammer twittera dans le même sens : « Un autre pas en avant dans la démocratie en #RDC avec le retour au pays de @moise_katumbi #Changement ». Lorsqu’il est candidat à sa réélection en décembre 2023, Félix Tshisekedi est, aux yeux des Congolais et de la communauté internationale, celui qui aura réussi ce que la RDC n’avait jamais connu, une alternance politique pacifique et démocratique. Ce n’est qu’à partir de décembre 2020, débarrassé du fardeau de la cogestion du pays avec Kabila, que Félix Tshisekedi devient lui-même, décidé à s’inscrire dans les pas de son père afin de rendre le Congo aux Congolais. Peut-il aller vers l’élection de décembre 2023 seul ? Evidemment, non. Il a besoin, autour de lui, d’une équipe composée des poids lourds de la politique congolaise.

B) Le soutien d’une équipe composée des poids lourds de la politique congolaise

Il va pouvoir s’appuyer sur un trio particulièrement efficace dans des régions-clefs et dont l’action fut décisive pour la victoire finale : Vital Kamerhe, qui a parcouru le Kivu du nord au sud, la province orientale, le Maniema et l’Ituri ; Jean-Pierre Bemba qui a sillonné une bonne partie de l’Equateur, espace partagé avec Jean-Lucien Bussa.  Poids lourds de la politique congolaise, Kamhere, Bemba et Bussa ont formé une équipe solide totalement engagée pour assurer la réélection de Félix Thsisekedi.

Vital Kamerhe. © DR

● Vital Kamerhe – Membre du Présidium de l’Union Sacrée, Vital Kamerhe s’est totalement engagé dans la campagne électorale, afin d’offrir à Félix Tshisekedi, candidat à sa propre succession, une victoire confortable. En 2018, dans une région difficile, Vital Kamerhe a été le meilleur élu à la députation nationale en RDC.  Son rôle aura été essentiel dans une région particulièrement difficile. A Goma, il a rappelé l’action constante de la gouvernance Tshisekedi pour mettre fin à une guerre imposée par le Rwanda à travers le M23. Vital Kamerhe, au-delà de ses fonctions politiques, est un homme d’idées. Je me souviens de l’une de ses analyses au cours de laquelle il avait établi un parallèle entre le développement de la RDC et celui du Brésil. Economiste, il sait que le développement économique, créateur d’emplois, est la meilleure politique sociale. Il sera l’un des acteurs-clefs dans la construction d’un Congo nouveau.

Jean-Pierre Bemba. © DR

Jean-Pierre Bemba – Lorsque Félix Thisekedi remporte l’élection présidentielle de 2018, Jean-Pierre Bemba se rapproche de lui. Le 23 mars 2023, il est nommé vice-Premier ministre et ministre de la Défense nationale dans le gouvernement Lukonde II. En septembre 2023, Jean-Pierre Bemba et son parti politique, le MLC, annoncent leur soutien à la candidature de Tshisekedi pour l’élection présidentielle de décembre 2023. Ce soutien va s’avérer particulièrement important. Candidat à l’élection présidentielle de 2006, Bemba ne sera pas élu, mais, au second tour, il arrive en tête à Kinshasa, dans l’Equateur, le Bas-Congo, le Bandundu,  et dans les deux Kasaï. Jean-Pierre Bemba, qui s’est toujours présenté comme « le fils du pays », est très populaire, son poids politique et électoral est important. Jean-Pierre Bemba a toujours cherché en RDC, avant l’élection de Félix Tshisekedi, à s’inscrire dans une « opposition républicaine », lorsque Kabila était encore au pouvoir. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit devenu l’un des interlocuteurs privilégiés d’un Félix Tshisekedi devenu président et qu’il ait été appelé au gouvernement.

Jean-Lucien Bussa. © DR

Jean-Lucien Bussa – Autre poids lourd de la politique congolaise, Jean-Lucien Bussa est, en 2006, le meilleur élu aux élections législatives dans la circonscription électorale de Budjala dans la province l’Équateur, il sera réélu député national dans cette même circonscription et réélu pour la troisième fois député national de Budjala en 2018 au nom de son parti politique, le Courant des démocrates rénovateurs (Cder). Elu sénateur, il laisse son siège à son suppléant, car il entre, en décembre 2016, au gouvernement comme Ministre d’État, ministre du Plan. Reconduit plusieurs fois comme ministre, il occupe, depuis avril 2019, les fonctions de ministre du Commerce extérieur. Jean-Lucien Bussa a toujours privilégié la voie du dialogue politique inclusif. À la suite de la non-tenue de l’élection présidentielle en 2016, il a conduit la délégation de l’opposition politique au pré dialogue, à l’issue duquel sortira un gouvernement d’union nationale dont la primature sera confiée à l’opposition. Bussa incarne, avec son parti, le Courant des démocrates rénovateurs (Cder), le sens du dialogue.

Ces trois hommes, qui ont une forte expérience politique, ont montré leur capacité à fédérer un électorat qui leur est resté fidèle dans un monde politique congolais particulièrement difficile et qui a souvent recours à la violence ou qui instrumentalise les affrontements ethniques. Ils seront indispensables pour consolider les acquis du premier mandat de Félix Tshisekedi. 

C) Un bilan positif sur de nombreux points reconnu par l’appui du FMI

J’avais écrit, dans une précédente analyse sur la gouvernance Tshisekedi, que le gouvernement pouvait se prévaloir de la facilité élargie de crédit accordée par le FMI à la RDC.  Cette facilité de crédit vient confirmer que la politique budgétaire du gouvernement va dans le bon sens avec « des progrès dans les réformes de la gestion des finances publiques et des investissements. » Le FMI note que, malgré une situation socio-économique, socio-politique et sécuritaire complexe, qui s’exacerbe dans le contexte actuel (séquence électorale avec l’élection présidentielle du 20 décembre, conflit dans l’Est du pays),  la gouvernance Tshisekedi a pu « faire progresser les réformes visant à améliorer la gouvernance et la transparence, y compris dans le secteur minier, renforcer les cadres de lutte contre la corruption (…), améliorer le climat des affaires ( …), soutenir le développement du secteur privé et promouvoir une croissance diversifiée, durable et inclusive. » La conclusion du FMI a pu servir les intérêts électoraux du président-candidat Félix Tshisekedi : « Les progrès réalisés dans le cadre du programme FEC ont été globalement satisfaisants. Tous les critères de réalisation (CR) à fin juin 2023 ont été respectés sauf un : le CR sur le solde budgétaire intérieur n’a pas été atteint en raison de la sous-performance des recettes du gouvernement central et d’ajustements insuffisants des dépenses. » Il n’est donc pas étonnant que la communauté internationale et les bailleurs de fonds internationaux aient souhaité la réélection de Félix Tshisekedi. Certes, il s’agit de consolider les acquis, mais beaucoup reste à faire dans trois domaines : la lutte contre la pauvreté, la lutte contre l’insécurité et la lutte contre la corruption.

Conclusion

Pour bien comprendre le rôle de l’action politique, il faut toujours se souvenir de ce que disait Nelson Mandela : « J’ai découvert un secret : après avoir gravi une colline, tout ce qu’on découvre, c’est qu’il reste beaucoup d’autres collines à gravir. » Félix Tshisekedi vient de gravir, depuis 2019, de nombreuses collines. Il lui reste beaucoup d’autres collines à gravir. Pays immense, disposant de richesses naturelles qui semblent inépuisables, qu’elles proviennent du sous-sol ou du sol, la RDC possède tous les atouts pour offrir à tous les Congolais des conditions de vie meilleures. Etre élu ou réélu, ce n’est rien. Il faut ensuite gouverner en ayant comme seuls juges le peuple et l’Histoire. Quelle image de lui voudra laisser Félix Tshisekedi ? Il avait déjà réussi à faire réapparaître le RDC sur les écrans-radar de la scène internationale. Sa présidence de l’Union Africaine avait témoigné de sa volonté de faire entendre la voix de l’Afrique. Aujourd’hui, la planète entière se précipite à Kinshasa pour signer des contrats avec le gouvernement qui doit répondre aux attentes des populations et garantir la souveraineté du pays. Gouverner, c’est alors savoir choisir ses partenaires et ses « amis ». Le deuxième mandat de Félix Tshisekedi doit être celui d’un volontarisme politique destiné à rendre le Congo aux Congolais et faire descendre les richesses du pays jusqu’aux populations congolaises, qui sont avides de trois choses : la croissance, la consommation et la démocratie.

Finalement, dans un pays-monde qui concentre tous les défis que l’Afrique doit relever, Félix Tshisekedi ne doit se poser qu’une seule question : comment gérer les richesses naturelles de la RDC pour accélérer le développement, créer plus de croissance, plus d’emplois, plus d’accès aux services de base, plus d’éducation, plus de stabilité politique et de sécurité, plus de démocratie ?

Christian Gambotti Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

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