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Chronique du lundi – qui peut assurer l’avenir de l’Afrique ? : Décryptage des déplacements en Afrique d’Emmanuel Macron, Sergueï Lavrov, Xi Jinping

Chronique du lundi – qui peut assurer l’avenir de l’Afrique ? : Décryptage des déplacements en Afrique d’Emmanuel Macron, Sergueï Lavrov, Xi Jinping
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Christian Gambotti
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En février 2014, Antoine Glaser a publié un livre intéressant : « AFRICAFRANCE – Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu » (Editions Fayard). La thèse que défend Glaser dans son livre ne se vérifie que partiellement. Il est en effet juste de dire « À l’issue de la guerre froide, les dirigeants africains ont totalement inversé les rapports de dépendance. Ce sont désormais eux les vrais mettre du jeu. Le monde entier trépigne dans leur salle d’attente. » Longtemps marginalisée, oubliée, l’Afrique est en effet devenue un formidable enjeu géoéconomique, géopolitique et géostratégique. Le continent attire toutes les convoitises et « le monde entier trépigne » dans les salons des palais présidentiels attendant d’être reçu. 

Mais, depuis 2014, les Africains sont-ils véritablement devenus les maîtres du jeu ? Ce n’est pas sûr. Préalable nécessaire à l’exercice de la souveraineté, l’indépendance politique n’est pas suffisante. L’indépendance économique, véritable levier d’un développement endogène, n’a pas suivi. Il manque encore à l’Afrique des facteurs endogènes comme le développement du capital humain, des champions nationaux et un réseau dense de PME et de PMI capables de transformer localement les matières premières brutes, les savoir-faire, la logistique, les financements, etc. Fermer la porte à l’Occident, s’engager sur une trajectoire prorusse ou prochinoise, n’est-ce pas ouvrir la porte à une « Russafrique » ou une « Chinafrique » ; alors que Moscou et Pékin apparaissent comme des partenaires de plus en plus encombrants ?

Sergueï Lavrov en Afrique

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Sergueï Lavrov, l’inamovible ministre russe des Affaires étrangères; en fonction depuis le 9 mars 2004, s’est rendu trois fois en Afrique. Sa dernière tournée, en février 2023, après l’Afrique du Sud, l’Eswatini (ex-Swaziland), l’Angola et l’Erythrée, s’est terminée au Mali, devenu l’épicentre de la présence russe en Afrique, pour une « visite d’amitié et de travail ». 

S’il existe entre le Mali et la Russie des liens anciens, qui datent des luttes anticoloniales et des accords de coopération sous la présidence de Modibo Keïta, de 1960 à 1968, c’est la première fois qu’un chef de la diplomatie russe se rend à Bamako. Cette présence de Lavrov à Bamako revêt une très forte charge symbolique. Elle s’inscrit dans le contexte nouveau de la recomposition des relations internationales voulu par la Russie. 

Ces tournées africaines de Lavrov permettent-elles de consolider l’attraction de certains États africains pour Moscou ? À court terme, sûrement. À moyen terme, c’est moins évident. L’attraction que Moscou exerce sur Bamako est très ambiguë. Le partenariat entre la Russe et certains États africains se résume ainsi : la Russie vend des armes, le Groupe Wagner assure la sécurité des dirigeants au pouvoir et se rémunère en pillant les richesses minières (or, pierres précieuses) des pays qui ont pris le virage pro-russe, l’expansion djihadiste se poursuit. Pour être crédible dans le contexte actuel de recomposition des relations internationales, Moscou devra se débarrasser du Groupe Wagner, créé par Evgueni Prigojine, l’homme des basses œuvres du Kremlin en Afrique. Est-ce possible ?

Le président chinois Xi Jinping en Afrique

Une dizaine d’années après la première tournée africaine de son prédécesseur, Hu Jintao, en 2009, le président chinois Xi Jinping avait entamé le 21 juillet 2018, au Sénégal ; une tournée qui l’a conduit ensuite au Rwanda, en Afrique du Sud et à l’île Maurice. Il s’agit du quatrième déplacement en Afrique du président chinois qui a déclaré au Sénégal : « Chaque fois que je viens en Afrique, je peux mesurer le grand dynamisme de ce continent. Je peux ressentir profondément l’aspiration des peuples africains à une vie meilleure. J’ai le vif sentiment que ce continent recèle un énorme potentiel de développement et qu’il est promis à un avenir radieux »

Lire aussi » Wagner en disgrâce auprès des autorités russes. Quelles les conséquences pour l’Afrique?

En janvier 2022, le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, en tournée sur le continent, a dénoncé les attaques subies par Pékin, accusé de piéger l’Afrique  par la dette : « Il s’agit d’un discours qui a été créé par ceux qui ne veulent pas voir le développement de l’Afrique ». Il a ajouté : « S’il y a un piège, c’est celui de la pauvreté et du sous-développement. » Ce discours convenu ne fait oublier ni le piège de la dette, ni le pillage des ressources minières de l’Afrique par la Chine, ni les visées géopolitiques et géostratégiques de l’Empire du milieu. 

En Erythrée, M. Wang a dénoncé les sanctions américaines contre les États africains sur fond d’interférence « dans les affaires internes d’autres pays sous le prétexte de la démocratie et des droits humains ». La Chine accorde des crédits à l’Afrique sans poser de questions sur les droits humains.

Emmanuel Macron en Afrique

Parmi les idées reçues concernant la situation de la France en Afrique, on trouve, répété en boucle : la France a perdu son « pré carré », elle est chassée de ses anciennes colonies, elle nommait les chefs d’Etat africains qui, en échange de leur maintien au pouvoir et de leur impunité, livraient à la France, à des prix « politiques », les matières premières de leurs pays et votaient aveuglément en faveur de Paris aux Nations Unies.

 Jacques Foccart, qui défendait et la France et ses amis africains, parlait à juste titre de « l’apport considérable de l’Afrique pour la politique extérieure de la France ». En réalité, la France est concurrencée en Afrique par d’autres puissances et les chefs d’État africains savent défendre leurs intérêts en manœuvrant et en jouant sur cette concurrence. Si Sarkozy a voulu faire évoluer les relations entre la France et l’Afrique, il n’a pas voulu transformer le « dispositif français » sur le continent. Ce dispositif lui a permis, grâce au soutien de l’Afrique, de faire élire Christine Lagarde à la tête du FMI. 

Lire aussi »Chronique du lundi – l’Afrique et le mouvement des pays non-alignés : Le retour de l’esprit du non-alignement, Petit historique du Mouvement des non-alignés

Emmanuel Macron est, peut-être, le premier président français à prendre conscience que les Chefs d’État africains ont désormais le monde entier à leur disposition. Après avoir défini sa stratégie africaine pour les quatre ans à venir, Emmanuel Macron a effectué un déplacement de quatre jours en Afrique centrale (Gabon, Angola, Congo et  République démocratique du Congo).

 S’il s’agit du dix-huitième voyage du chef de l’État en Afrique depuis 2017, la donne a changé depuis la rupture entre le Mali et la France et le début de la guerre en Ukraine. Macron souhaite définir une « nouvelle relation » avec un continent où la France et l’ensemble du monde occidental sont de plus en plus concurrencés économiquement, mais aussi attaqués politiquement et idéologiquement. Sur les questions de sécurité, la réorganisation du dispositif militaire français sur le continent ne constitue « ni un retrait, ni un désengagement », mais une adaptation aux besoins des pays partenaires en offrant « plus de coopération et de formation ».

« Sud global » contre « Occident collectif » ?

Ce n’est pas un hasard si la Russie et la Chine s’allient pour bâtir, avec d’autres pays (Inde, Turquie, Iran) un front du « Sud Global » contre l’« Occident collectif ». Ce qui se passe en Afrique va au-delà d’une simple concurrence économique entre les entreprises occidentales et les entreprises chinoises ou russes. La guerre contre l’Occident a une dimension civilisationnelle, elle prend aussi une forme religieuse pour la Russie ou l’Iran. L’Afrique est à nouveau le terrain de l’affrontement idéologique entre le « Sud global » et l’« Occident collectif ». 

De façon silencieuse à travers les « nouvelles routes de la soie » pour la Chine et de façon bruyante sur une logique de guerre et de terreur pour la Russie, la « Chinafrique » et la « Russafrique » avancent ouvertement en Afrique sous la forme d’un front anti-occidental. 

L’Afrique doit éviter de tomber dans le piège d’une « nouvelle guerre froide ». À la question « qui peut assurer l’avenir de l’Afrique ? », une réponse s’impose : l’Afrique elle-même, si elle sait faire les bons choix. Ce n’est ni la « Chinafrique », ni la « Russafrique ». Une évidence : nous assistons à une désoccidentalisation du monde, occidentalisation qui avait commencé au XVIIè siècle et accéléré la chute des anciens empires.

Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique- Directeur du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone, Essayiste, chroniqueur, politologue, géopoliticien – Contact : cg@afriquepartage.org

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