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Geoffroy Julien Kouao, juriste : voici le talon d’Achille de la démocratie ivoirienne (entretien)

Geoffroy Julien Kouao, juriste : voici le talon d’Achille de la démocratie ivoirienne (entretien)
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Charles Kouassi
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Geoffroy julien KOUAO est un Juriste et essayiste ivoirien. Auteur de « Côte d’ivoire, la troisième république est mal partie », et « Et si la côte d’Ivoire refusait la démocratie, il soutient que les valeurs africaines ne sont pas incompatibles avec celles de la démocratie.

Pourquoi vous dites-vous militant pour la démocratie en Côte d’Ivoire ?

Je suis un militant de la démocratie, parce que celle-ci procure au citoyen ce dont il a besoin : la liberté, la paix et la prospérité. Le coup d’État de 1999, l’élection chaotique de 2000, la rébellion de 2002 et la guerre post-électorale de 2011 montrent bien que nous sommes dans un État passablement démocratique. De ce qui précède, c’est une obligation, un devoir pour tout intellectuel, d’agir dans le sens de l’avènement de la démocratie en côte d’ivoire.

Croyez-vous que l’Afrique est faite pour la démocratie ?

La vérité d’une thèse, c’est son antithèse. Le Botswana est un État africain donc, une société africaine. Et ce pays est reconnu par tous comme étant une démocratie. Les valeurs africaines ne sont pas incompatibles avec celles de la démocratie. Le problème, c’est que nous avons une classe politique et une classe intellectuelle, mais nous n’avons pas encore une élite politique encore moins une élite intellectuelle. Lorsque nous aurons ces deux élites qui seules peuvent inventer et construire le futur et la société idéale, la démocratie viendra d’elle-même.

Cela dit, la démocratie dans les pays francophones, contrairement à celle des anglophones, semble avoir du mal à décoller à part quelques minimes exceptions. Qu’est-ce qui explique cela, selon vous ?

Je ne partage pas cette posture intellectuelle qui consiste à vouloir toujours opposer l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone. Le Kenya, pays anglophone, est en conflit avec les élections démocratiques, de même que le Congo démocratique, pays francophone. Le Sénégal (État francophone), et le Botswana (anglophone) sont des démocraties. Tout dépend de l’épaisseur morale et intellectuelle de la classe politique de chaque État .

Parlons un peu de la Côte d’Ivoire, quel bilan faites-vous de l’année écoulée, 2017 au niveau de la gouvernance Ouattara ?

Vous savez, pour un pays qui sort dune décennie de crise, la priorité reste la consolidation de la paix. Nonobstant les mutineries des soldats , la grève des fonctionnaires, et la chute des cours du cacao, le gouvernement a su ternir le gouvernail du bateau ivoire en 2017.

Au niveau de la réconciliation, y a-t-il eu des avancées considérables?

Il est difficile de répondre à votre question, en ce sens qu’il n’existe pas d’instruments de mesures préalablement définis pour juger, objectivement, si la réconciliation nationale a connu des avancées ou non. Où se situe la fracture nationale ? Quel est l’élément qui permettra de dire que la réconciliation nationale est effective? Je pense que pour traiter de telles questions, il faut d’abord, définir les cadres théoriques, juridiques et institutionnelles.

Vous avez suivi le procès ici Abidjan où Laurent Gbagbo et certains de ses coaccusés ont été condamné à une vingtaine d’année. Votre commentaire.

Il est difficile pour un juriste de commenter les décisions de justice. Je pense seulement que tous les actes que nous posons, devraient participer au renforcement de la cohésion nationale et de la fraternité entre tous les enfants de Côte d’Ivoire.

Ses partisans croient que c’est une justice aux ordres du pouvoir. Vous en tant que juriste, quel est votre regard sur la justice ivoirienne ?

La justice ivoirienne est celle que les différents gouvernants de la Côte d’Ivoire, de 1960 à aujourd’hui, ont voulu quelle soit. Cependant, je remarque simplement que notre justice est bonne quand on est au pouvoir et elle est mauvaise quand on est dans l’opposition . Quand nous avons le privilège historique d’améliorer les institutions de notre pays, faisons-le. N’attendons pas d’être en position de faiblesse pour avoir des réflexes démocratiques. Regarder la RTI, aucun pouvoir jusqu’aujourd’hui, n’a voulu libéraliser l’espace télévisuel, pourtant, tous, dans l’opposition on critique le monopole de la RTI. On met toujours en place des commissions administratives pour dire que la libéralisation avance, mais on ne voit jamais les résultats.

Un député aurait récemment giflé une policière . Est-ce normal le geste de l’élu ?

Vous parlez au conditionnel, juriste, je ne commente que les faits. Cependant, je voulais faire une réflexion sur l’immunité parlementaire. Elle n’est pas absolue. Un député peut être poursuivi en cas de flagrant délit, en matière contraventionnelle, et même en matières criminelle et délictuelle, il peut être poursuivi et emprisonné si le parlement lève l’immunité . Autre chose, cette immunité, dont bénéficient certains hiérarques de l’État , ne remet-elle pas en cause le principe sacro-saint de l’égalité de tous les ivoiriens devant la loi et la justice, principe consacré par la Constitution ? Pourquoi ne pas nous inspirer de la justice pénale internationale qui ne reconnaît pas les immunités ?

Il a été arrêté, incarcéré et libéré sur la demande du bureau de l’Assemblée Nationale. Y a-t-il une erreur judiciaire ?

Un député peut être arrêté, incarcéré dans les cas que j’ai évoqués plus haut, seulement, l’Assemblée nationale peut demander l’arrêt des poursuites et de l’incarcération. Nous avons la justice que nous méritons. Ce sont les députés qui votent les lois, qui déterminent de l’organisation, du fonctionnement, de la composition et des attributions des tribunaux.

La jeunesse du PDCI, parti politique dont est issu le député, et des collègues de celui-ci sont allés aux nouvelles en soutien pour le parlementaire ; il y’a eu manifestation et échauffourées et des interpellations. Comment qualifiez-vous ce comportement ?

Dans un État de droit, force reste à la loi. Et nos hommes politiques qui ont la gestion de nos institutions devraient être les premiers à leur faire confiance. Dans l’espèce , les députés n’avaient pas à aller au tribunal, ou à la préfecture de police demander la libération de leur collègue, la constitution dispose que l’Assemblée nationale peut demander la libération immédiate du député. C’était la démarche à suivre. C’est la preuve queux-mêmes n’ont pas confiance aux lois et nos institutions qu’ils ont établies. Si les gouvernants doutent de la crédibilité de nos institutions, et nous les gouvernés alors ?

Croyez-vous qu’il y’a une société civile et une opposition crédibles en Côte d’Ivoire ?

Je réponds par l’affirmative . Seulement, elle n’a pas d’expression de façon suffisante. Vous voyez, au Burkina, au Mali, au Sénégal etc, il y’a plusieurs chaînes de télévisions, de radios, donc les intellectuels, les acteurs sociaux et les opposants sont visibles, or chez nous, nous n’avons qu’une seule télévision depuis les années soixante jusqu’aujourd’hui ; donc l’opposition, les intellectuels et la société civile ne peuvent pas être visibles. Les réseaux sociaux essaient de corriger cette carence, mais ce n’est pas suffisant. La presse, c’est la télévision, c’est la radio au regard de leur audience. Tant que nous nous aurons une seule télévision, nous resterons une démocratie passable. L’un des critères de la démocratie, c’est l’expression plurielle. Le talon d’Achille de la démocratie ivoirienne, c’est la télévision.

Les régionales et les municipales sont pour bientôt. Seriez-vous candidat dans une commune ou région ?

Je préfère ma posture d’intellectuel. D’ailleurs, mon prochain livre sort dans la deuxième semaine de ce mois.

Pendant cette période électorale, que conseillez-vous aux acteurs ?

Les acteurs ne sont qu’un résultat. Le résultat du cadre théorique, jurique et institutionnel des élections. Nous affirmons être dans une démocratie, subséquemment, le suffrage est universel, la constitution et le code électoral le proclament, il reste maintenant les institutions qui encadrent ces élections, particulièrement la CEI. De deux choses l’une , soit on confie la CEI entièrement à la société civile pour respecter sa nature indépendante, soit le ministère de l’intérieur organise les élections. La présence des partis politiques et de l’administration à la CEI, constitue une anomalie administrative et démocratique.

Par Hilaire Gueby

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