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Chronique du lundi – JMCA 2023 à Agboville : Une culture africaine ou des cultures africaines sous les auspices des percussions

Chronique du lundi – JMCA 2023 à Agboville : Une culture africaine ou des cultures africaines sous les auspices des percussions
Publié le
Par
Christian Gambotti
Lecture 7 minutes

Une culture africaine ou des cultures ? Une langue panafricaine ou des langues vernaculaires concurrencées par des langues importées ?

Le mardi 24 janvier 2023, se déroulera la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro-descendante (JMCA). Le 17 octobre 2019, le Conseil Exécutif de l’UNESCO a voté un Projet de Résolution qui reconnaît le 24 janvier comme date officielle de la célébration de la JMCA. Le 24 janvier est désormais la date universelle inscrite à l’agenda officiel de l’UNESCO, journée au cours de laquelle, à travers la JMCA, un hommage est rendu à l’Afrique, présentée comme le berceau de l’humanité. Lancée à l’origine par le togolais Ayité Dossavi, cette Journée mondiale, qui apparaît de plus en plus comme un levier efficace au service de l’émancipation de l’Afrique, du développement fondé sur le dialogue entre les peuples et les cultures, a pour objectif la célébration des nombreuses cultures vivantes du continent et des diasporas africaines.

Pourtant, la « Journée mondiale de la Culture Africaine et Afro-descendante » véhicule, dans son appellation, le paradoxe suivant : il est question de « la » culture africaine, au singulier, comme s’il fallait sacrifier les réalités de la diversité ethnique et culturelle de l’Afrique au mythe trompeur d’une culture panafricaniste idéologisée, vectrice d’un combat politique qui réactive le vieux discours anticolonialiste dans une sorte de retour du refoulé. 

La décolonisation date des années 1960. Plus de 60 ans après les indépendances, le poids du passé colonial dans le sous-développement actuel de l’Afrique reste à analyser (1). Mais, le poids de ce passé colonial demeure, chez de nombreux Africains, un véritable traumatisme. Dans une enquête du journal Le Monde (2), l’artiste togolais Elom 20ce évoque une relation avec la France forgée dans le traumatisme. Il déclare : « la France nous a vendu sa civilisation comme un idéal à atteindre. Elle l’a fait en rabaissant nos cultures africaines. » Il ajoute : « Comme tous les enfants togolais, on m’a imposé l’apprentissage du français dans un climat de terreur. »

Certes, le français, langue de travail et non pas langue de l’identité, est le ciment de la construction de l’État-nation et de l’unité nationale en Afrique francophone. Il existe, en Afrique, entre 2 000 et 3 000 ethnies, c’est-à-dire entre 2 000 et 3 000 langues vernaculaires. Une langue vernaculaire est la langue locale communément parlée au sein d’une communauté. Le terme de « vernaculaire » s’emploie souvent par opposition avec les termes de « langue véhiculaire ». Le français est, en Afrique francophone, une langue véhiculaire. Cette distinction est utile dans la construction de l’État-nation et dans les échanges économiques et commerciaux où les langues véhiculaires que sont le français, l’anglais, l’espagnol ou l’arabe servent de langue de travail face à la multitude des langues vernaculaires. Houphouët-Boigny parvient à bâtir la nation ivoirienne en unifiant 60 ethnies. Était-il possible de bâtir l’État-nation ivoirien en proclamant 60 langues officielles ? Houphouët-Boigny a fait le choix du français, langue importé, comme langue officielle. De son côté, sur son territoire, chaque ethnie perpétue l’emploi de sa propre langue qui est un marqueur fort de son identité et de son unité. Mais, parce qu’ils appartiennent à un continent-monde, véritable tour de Babel aux 54 États et aux 3000 langues, soit un tiers du patrimoine linguistique mondial, les États africains sont obligés de passer par des langues véhiculaires. De nombreux États africains ont même fait le choix d’avoir plusieurs langues officielles, des langues nationales et des langues importées. Il y a, en Afrique du Sud, 11 langues officielles, 16 au Zimbabwe. Mais, seules les langues de travail permettent de participer aux dynamiques contemporaines de la mondialisation (accords bilatéraux, échanges commerciaux, diplomatie active) ? La question des langues vernaculaires, qui enferment les jeunes États africains dans une logique de babélisation, est sûrement un des sujets auxquels la JMCA devra s’intéresser.

En choisissant de consacrer la Journée du 24 janvier 2023 aux percussions, le Comité d’Organisation de la JMCA s’intéresse à un autre marqueur fort de l’identité et de la culture africaine, dont les caractéristiques et les multiples fonctions, facilement identifiables (ponctuation de la vie économique et sociale, liens avec le sacré et l’invisible, musiciens en transe), constituent le socle et le langage commun de toutes les cultures en Afrique.

L’Afrique et les percussions

Président du Comité d’organisation de la JMCA du 24 janvier  2023, l’Ivoirien Wakili Alafé, patron de presse, essayiste et écrivain, déclare : « Nous avons placé cette année la JMCA sous le thème « L’Afrique et les percussions ». Pourquoi ce thème ? Les percussions, notamment le Djembé mondialement connu, incarnent l’expression même de l’identité africaine. Or, les percussions africaines ont perdu au fil des années leur véritable dimension culturelle et sociale au profit d’un aspect purement ludique, dont le caractère envoûtant contribue à les enfermer dans la sphère d’un exotisme convenu pour touristes ou celle purement récréative du show-biz, afin de rythmer les productions standards des groupes à la mode. Nous voulons revenir aux origines mêmes de la fonction des percussions dans la vie des Africains. Les percussions ont, depuis l’origine, toujours rythmé la vie de l’Africain de la naissance à la mort. Elles constituent la polyrythmie de toutes les activités humaines, comme le travail aux champs, et de toutes les croyances, lorsqu’il s’agit d’éloigner les mauvais esprits ou de communiquer avec l’invisible. Elles sont, dans notre culture, avec les chants, les danses et les masques sacrés, associées au savoir et au pouvoir. » Wakili Alafé ajoute : «  Les percussions ne proposent pas un simple accompagnement musical, elles sont un véritable langage et, comme les danses, les masques, les mythologies propres à chaque ethnie et à chaque territoire ou les cérémonies rituelles, elles ont une profonde signification politique, sociale et culturelle. » 

En assistant à un spectacle de percussions chez Ambroise, le célèbre maquis d’Abidjan, j’ai compris l’erreur que je pouvais commettre en cherchant à interpréter ce spectacle à l’aide de catégories et de codes esthétiques et musicaux qui lui sont extérieurs, ceux d’une grille de lecture occidentale. La frappe à mains nues de haute intensité montre qu’il ne s’agit pas d’un accompagnement musical voué au plaisir, mais de la répétition d’un geste ancestral qui, depuis l’origine, accompagne le récit d’histoire dans les pays africains. Les percussions, associées aux danses, installent, de façon symbolique, sur la scène un véritable affrontement entre le bien et le mal, entre la vie et mort. Qui sortira vainqueur de ce combat ? Ce combat, que miment les percussions, est pour les Africains synonyme d’un éternel combat et d’une liberté absolue.

Un retour à l’essence même de la culture africaine

La fonction hautement symbolique des percussions se retrouve dans toutes les sociétés traditionnelles africaines. Les mutations successives que ces sociétés ont subies, en particulier sous l’impact de la colonisation et, aujourd’hui, celui d’une « world music » sans identité, ont entraîné un rejet massif de tout ce qui est traditionnel, authentique. Le phénomène de la mondialisation tend à transformer les éléments de la culture africaine en éléments de pure décoration à travers l’essor des modes ethniques. Pour Wakili Alafé, « le rôle de la JMCA est de réconcilier les Africains avec eux-mêmes en revenant à l’essence même de leur(s) culture(s). Sans être académique, car il s’agit de montrer des spectacles particulièrement récréatifs, nous voulons aussi informer et faire connaître les cultures africaines et afro-descendantes. Qui connaît l’influence du tambour africain dans la Caraïbe, notamment à Cuba, et dans le Nouveau monde ? » (3)

___________________________

(1)    Dès la première colonisation du XVIè au XVIIIè siècle à celle des XIX et XXèmes siècles, la colonisation, au-delà des justifications économiques ou géostratégiques, se fonde sur l’idée de la supériorité des nations « civilisées » sur les peuples « sauvages ». Coloniser, c’est civiliser, ce qui conduira à nier l’identité et les cultures africaines. L’Africain des colonies sera toujours un indigène, il ne sera jamais, malgré les promesses, citoyen français.

(2)    Le Monde Afrique, entretien avec l’artiste togolais Elom 20ce, publié le 26 décembre 2022.

(3)    Une deuxième Chronique sera consacrée à la JMCA (lundi 16 janvier) sous la forme d’un entretien avec Wakili Alafé, Président du comité d’Organisation de la JMCA du 24 Janvier à Agboville.

Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org

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