Le risque d’une expansion du terrorisme djihadiste qui sévit dans la bande sahélienne vers les pays ouest-africains est connu depuis plus années. Tout ne se joue pas uniquement dans la zone des « trois frontières », une région où se confondent les territoires du Mali, du Burkina Faso et du Niger et qui est devenue l’épicentre des violences au Sahel.
La victoire des talibans en Afghanistan risque-t-elle de favoriser le projet d’expansion des groupes terroristes en Afrique de l’Ouest ? Cette victoire des talibans sur les Etats-Unis en 2021 est, incontestablement, un facteur d’accélération pour les visées expansionnistes des djihadistes en Afrique subsaharienne, car ces groupes djihadistes nient les frontières Or, les talibans veulent bâtir, en Afghanistan, un Etat islamique avec ses frontières. Ils n’ont pas pour projet de créer un « califat africain » en servant de base arrière aux groupes terroristes.
D’ailleurs, de nombreux pays, – Chine, Russie, Pakistan, Inde, Turquie et Iran -, se disent prêts à entretenir des relations amicales avec l’Afghanistan des talibans. Pour la communauté internationale, selon Clément Therme, chercheur associé à l’Institut universitaire européen de Florence : « L’enjeu, c’est de cantonner les talibans au territoire afghan et d’éviter la diffusion d’un jihadisme transnational. »
Tirant les leçons de la guerre qu’elle a menée en Afghanistan jusqu’à son retrait en 1988, la Russie a multiplié, ces dernières années, les contacts avec les talibans, ciblant ainsi comme ennemi principal Daesh et non pas les talibans. Pour des raisons qui voient se mêler intérêts stratégiques, sécuritaires et économiques, tous les pays raisonnent comme la Russie et la Chine, deux puissances qui ont maintenu leur ambassade à Kaboul. Cette victoire des talibans redistribue les cartes et modifie les relations dans la région. Désormais, la stratégie sécuritaire, pour de nombreux Etats, passe par l’Afghanistan des talibans.
En nouant des « relations amicales » avec les talibans, les pays de la région, qui ne posent jamais la question des droits de l’Homme, veulent établir une ceinture de sécurité contre tous les dangers (guerre de religion, trafic de drogue, etc.) autour de l’Afghanistan. De leur côté, les talibans cherchent à rassurer la communauté internationale. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a déclaré : « Nous jugerons ce régime sur les choix qu’il fait et sur ses actes, plutôt que sur ses paroles, sur son comportement face au terrorisme, au crime et aux stupéfiants, ainsi que sur l’accès humanitaire et le droit des filles à recevoir une éducation. »
Mais, la communauté internationale peut-elle apporter une réponse unifiée face aux talibans ? Il est à craindre que se multiplient les relations bilatérales entre l’Afghanistan des talibans et de nombreux pays, soucieux de défendre leurs intérêts.
De l’Asie centrale à l’Afrique subsaharienne
Enfermer les talibans d’Afghanistan dans les frontières de leur pays, c’est, d’une certaine manière, empêcher que se répande un djihadisme transnational, ce que voudraient les groupes terroristes de la bande sahélienne, qui multiplient les attaques en Afrique de l’Ouest en descendant vers le sud depuis le Mali et la zone des « Trois frontières ».
En 2017, au Mali, lors de la création du Groupe de Soutien de l’Islam et des Musulmans (GSIM), son dirigeant, Iyad Ag Ghali, avait prêté allégeance à Al-Qaida et aux islamistes afghans. Aujourd’hui, Iyad Ag Ghali se réjouit de la victoire des talibans en Afghanistan et se félicite de la création d’un « émirat islamique d’Afghanistan, à l’occasion du retrait des forces américaines d’invasion et de leurs alliés ».
Pour Iyad Ag Ghali, les groupes armés de la bande sahélienne et les talibans d’Afghanistan font partie de la même mouvance islamique. Si le projet des chefs d’Al-Qaïda d’exporter du Sahel la lutte armée vers les pays du golfe de Guinée, en particulier au Bénin et en Côte d’Ivoire, a déjà commencé, il n’est pas sûr que les talibans d’Afghanistan souhaitent, pour l’instant, apporter leur soutien à ce projet d’expansion au Sud.
Deux remarques s’imposent : 1) on ne peut pas dissocier la situation des pays du Sahel de celles de leurs voisins côtiers. D’ailleurs, les bases militaires en Côte d’Ivoire et au Sénégal font déjà partie du dispositif sécuritaire français au Sahel 2) La résistance s’organise en Afrique de l’Ouest. Le Conseil de l’Entente, une institution régionale qui regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Niger et le Togo, cherche à coordonner la lutte des Etats contre le terrorisme, en parallèle avec l’action que mènent les pays du G5 Sahel.
S’adapter au mieux
Les pays côtiers ont parfaitement conscience de leur vulnérabilité face aux attaques terroristes, les groupes armés ayant pour eux le temps et la dispersion de leurs éléments dans un espace de plus en plus vaste, impossible à contrôler. La victoire des talibans, ces « étudiants en religion », sur les Américains, 20 ans après avoir été chassés de leur pays, montre les limites d’une stratégie qui repose uniquement sur la présence massive d’une armée étrangère sur le terrain.
C’est pour cela que la France et le Tchad viennent de revoir leur dispositif sécuritaire au Sahel. Si la France ne se retire pas du Sahel, Barkhane est réorganisée avec moins de troupes au sol et un déploiement plus international.
Le Tchad vient de diviser par deux ses effectifs engagés dans la force anti-djihadiste du G5 Sahel dans la « zone des trois frontières ». Le samedi 21 août 2021, le porte-parole du gouvernement tchadien, Abderaman Koulamallah, a déclaré : « On a redéployé au Tchad 600 hommes [contre 1 200] en accord avec les forces du G5 Sahel. Il s’agit d’un redéploiement stratégique pour s’adapter au mieux à l’organisation des terroristes. »
En Afrique de l’Ouest, comme au Nigéria et dans la bande sahélienne, les groupes terroristes ne luttent pas contre une armée étrangère, ils se heurtent à la résistance des Etats et des populations. Mais, sans armées nationales professionnelles, bien formées et bien équipées, expérimentées et aguerries, les Etas africains ne peuvent pas prétendre lutter efficacement contre le terrorisme djihadiste. Toute intervention étrangère, même si elle est nécessaire, afin d’éviter le chaos, n’est jamais suffisante.
La vigilance reste de mise. Ouls Abdallah, chargé d’une mission au Tchad par la francophonie, affirme : « Avec le retrait précipité et chaotique des troupes américaines et alliées d’Afghanistan, un nouvel élan émerge au profit des groupes armés au pire moment pour le Sahel et toute la région.»
Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank
Afrique & Partage – CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains.