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    La chronique du lundi : L’Afrique face au défi de la souveraineté et de la sécurité alimentaire

    La chronique du lundi : L’Afrique face au défi de la souveraineté et de la sécurité alimentaire
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 5 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Deux sujets majeurs qui conditionnent l’avenir de l’Afrique saturent aujourd’hui le débat public : l’industrialisation du continent et la révolution numérique qui permet de franchir en une seule fois plusieurs paliers de développement (théorie du « Leapfrog » ou « saut de grenouille »). Pour les experts, qui enfoncent souvent des « portes ouvertes », l’industrialisation et la technologie vont permettre de créer des emplois et élever le niveau de vie des populations. Le gigantesque « saut de grenouille » africain, dans l’industrie et la « trech », même s’il existe, ne produira pas ses effets avant plusieurs années.

    Les bonds technologiques qui se multiplient partout en Afrique participent incontestablement à une évolution rapide du continent. Il existe cependant une urgence absolue pour les États : garantir la sécurité alimentaire pour les populations et leur souveraineté dans ce domaine. Les projections démographiques montrent que la population de l’Afrique devrait plus que doubler d’ici 2050, pour atteindre les 2,20 milliards d’habitants. Selon un rapport de la FAO, la consommation de produits alimentaires en Afrique subsaharienne va être multipliée par 2,6, une hausse qui ne peut être satisfaite que par un triplement des productions agricoles. Les États africains doivent donc s’interroger sur leur capacité à préserver, moderniser et développer leur agriculture.

    Optimiser le potentiel agricole africain

    Pour l’Afrique, mais aussi pour la planète entière l’optimisation du potentiel agricole africain est devenue un enjeu majeur. Selon Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD), « si l’Afrique ne modernise pas son agriculture, l’humanité sera incapable de se nourrir. ».

    Pour Pierre Jacquemot, auteur du Rapport « La reconquête de la souveraineté alimentaire en Afrique », publié par la Fondation Jean-Jaurès (une fondation politique proche du parti socialiste), l’Après-COVID 19 est « une occasion historique pour réinventer les systèmes agricoles et la souveraineté alimentaire du continent ».

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    Les défis sont nombreux pour les filières agroalimentaires en Afrique : produire plus pour assurer la sécurité alimentaire, produire mieux pour protéger la santé des populations, moderniser pour créer des emplois et assurer des revenus décents aux agriculteurs et lutter contre la pauvreté.

    Un paramètre nouveau, qui impacte négativement la production agricole en Afrique, doit être pris en compte : le changement climatique. Il faut aussi tordre le cou à un mythe qui perdure : l’abondance des terres arables disponibles en Afrique, entraînant les convoitises foncières de pays comme la Chine ou certains États du Golfe. Il n’existe pas, en Afrique, de grande vacance de terres agricoles. On considère que la surface agricole disponible et non exploitée au Sud du Sahara est de 200 à 250 millions d’hectares. Ces terres disponibles et non exploitées, « biologiquement utiles et économiques viables sans coûts excessifs pour la société comme pour l’environnement », selon Pierre Jacquemot, constituent donc un capital que les États doivent protéger. La spéculation foncière qui vient de agro-business vise à développer une agriculture industrielle de la rente destinée à l’exportation.

    Agrobusiness versus agriculture paysanne ?

    L’Afrique ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur le droit à l’alimentation et sur la protection des petits producteurs au moment où se développe sur le continent un agro-business dont chacun mesure les dangers : emprise des multinationales sur les terres, l’eau, les semences, les gènes animaux et végétaux. Mais, elle ne peut pas renoncer à la modernisation de son agriculture, ce qui nécessite de gros investissements en capitaux, des apports d’engrais, des semences sélectionnées et une irrigation à grande échelle.

    Lors du Sommet international sur les systèmes alimentaires organisé en septembre 2021 par l’ONU, des groupes (réseaux d’organisations paysannes régionales et locales, ONG), mais aussi certains chercheurs, ont tenu à dénoncer une orientation qui privilégie les grandes entreprises agricoles et qui, à terme, conduit à la disparition de l’agriculture paysanne. Or, en Afrique, 100 millions d’exploitations familiales font vivre 500 millions de personnes.

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    L’agriculture et l’économie agroalimentaire (transformation, commercialisation, restauration) est le premier employeur en Afrique de l’Ouest, avec 66 % de l’emploi total. Mais ses faibles rendements font que l’agriculture ne contribue au produit intérieur brut (PIB) du continent qu’à hauteur de 25 % et qu’elle ne peut pas nourrir les populations. Cette faible productivité de l’agriculture conduit les États africains à privilégier l’agro-business, afin de faire face à la croissance de la population et promouvoir l’emploi dans ce secteur, en particulier pour les jeunes et pour les femmes.

    Selon le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique), l’agence de développement de l’Union africaine, l’agriculture est en mesure fournir à la fois des millions d’emplois et une alimentation convenable. Il reste à faire sauter les verrous qui interdisent l’accès à la propriété de la terre, au crédit et aux innovations technologiques.

    Une nécessité : l’engagement des États

    De nombreux États africains conduisent des politiques nationales qui visent à renforcer le secteur agricole, afin de reconquérir leur sécurité et leur souveraineté alimentaires. Le Kenya est en pointe dans ce domaine, mais aussi le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Le développement de l’agro-business ne doit pas conduire à renoncer au rôle central de l’agriculture paysanne, car le monde rural africain, majoritairement constitué de petites exploitations, concentre encore 60 % de la population active. Ces petites exploitations, toujours soumise aux aléas de la viabilité économique, jouent un rôle essentiel. Elles doivent être mises en capacité d’approvisionner les marchés locaux et régionaux, satisfaire les besoins tant urbains que ruraux et contribuer ainsi à la sécurité alimentaire, alors que la sous-alimentation affecte un quart de la population du continent au sud du Sahara.

    La sécurité alimentaire, nutritionnelle, et la souveraineté des États dans ce domaine sont des enjeux majeurs. Est-il possible de sortir du face à face mortifère qui oppose, d’un côté, l’agro-business et l’agro-industrie inscrits à l’agenda international par les États, les grands groupes privés et les bailleurs de fonds, et de l’autre, l’agriculture paysanne et l’agro-écologie, soutenues par les réseaux d’organisations paysannes régionales et locales, les ONG ?

    Christian GAMBOTTI,
    Agrégé de l’Université,
    Président du think tank Afrique & Partage –
    CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
    Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
    Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains.

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