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Chronique du lundi – la France et l’Afrique : Pour en finir avec « la fin sans fin de la Françafrique »

Chronique du lundi – la France et l’Afrique : Pour en finir avec « la fin sans fin de la Françafrique »
Publié le
Par
Christian Gambotti
Lecture 8 minutes

Ma dernière Chronique (1) publiée dans L’Intelligent d’Abidjan a suscité de nombreuses réactions, ce qui me conduit à revenir sur « la fin sans fin de la “Françafrique” »  (2). Depuis François Mitterrand, tous les présidents français ont promis d’en finir avec la « Françafrique » sans véritablement convaincre. Si le mythe de la « Françafrique » est aujourd’hui réactivé par des activistes africains pro-russes financés par Moscou et s’il hante encore une partie de l’imaginaire des opinions publiques, c’est évidemment pour des raisons différentes.

D’un côté, la Russie, qui revient en Afrique, se pare des vieux habits de la lutte anticoloniale afin d’apparaître comme une force libératrice contre le néo-colonialisme de l’Occident collectif ; de l’autre,  une partie des opinions publiques considèrent que la France entretient le clientélisme hérité de la « Françafrique », qu’elle continue à soutenir des régimes contestés et que la politique africaine de la France sert uniquement les intérêts de Paris, ce qui freine le développement du continent. Le seul Franc CFA permet de faire de la France un bouc-émissaire idéal. Le Franc CFA est-il un obstacle au développement de l’Afrique ? La France pille-t-elle les richesses du sous-sol africain et continue-t-elle à bénéficier de « prix politiques » sur certaines matières premières ? La Russie est-elle véritablement une force libératrice ? Comment expliquer que la France serve de bouc-émissaire idéal, lorsqu’il s’agit de dénoncer le néo-colonialisme de l’Occident ? 

En 2007, lors du Sommet franco-africain de Cannes, l’ancien président de la commission de l’Union africaine, le Malien Alpha Oumar Konaré, avait souhaité que « les 53 pays africains ne se retrouvent plus autour du président français ». Un tel schéma, selon Alpha Oumar Konaré, « ne devrait plus se reproduire qu’au niveau de l’Europe. ». C’est ce qui se passe aujourd’hui. Quant à la France, elle n’est pas chassée d’une Afrique dont le destin serait de demeurer éternellement son « pré carré », elle est, – et c’est une bonne chose -, concurrencée par d’autres pays. 

Jacques Chirac avait déclaré que « le continent attirait de nouveaux partenaires venus du monde entier. » Il ajoutait : « Les regards changent. L’Afrique commence à être entourée, voire courtisée ». Quel est le premier partenaire commercial de l’Afrique ? La Chine, à travers les « nouvelles routes de la soie ». Quel est le pays qui vend le plus d’armes à l’Afrique ? La Russie. Moscou vend deux fois plus d’armes aux Etats africains que leurs trois autres gros fournisseurs : les Etats-Unis (14%), la Chine (13%) et la France (6,1%). 

La France n’a pas été chassée d’Afrique. Deux évidences : 1) le lien avec les anciennes colonies est en train de se desserrer, ce qui va dans le sens de l’Histoire 2) Dans tous les domaines, Paris  s’avère incapable de tirer profit de la concurrence qui existe entre pays qui s’implantent en Afrique, notamment la Russie qui reprend pied sur le continent. Paris a bien compris que le tête-à-tête entre les présidents français et les dirigeants de ses anciennes colonies africaines est terminé. Les pays de l’ancien « pré carré » francophone se sont progressivement émancipés de la tutelle de Paris.

Petit tour d’horizon de la politique africaine de la France

Depuis François Mitterrand, tous les présidents français, qu’ils appartiennent à la gauche « bienpensante » (Mitterrand, Hollande) ou à la droite républicaine (Chirac, Sarkozy) ont exprimé leur volonté de mettre fin à la Françafrique. Cette décision hautement symbolique s’est-elle traduite dans les faits ? En partie, car la Françafrique a évolué avec la mondialisation et le vent de l’Histoire a constamment changé la donne en Afrique. Les nouvelles générations de l’Afrique francophone sont connectées à la terre entière ; internet et les réseaux sociaux leur offrent une large ouverture sur le monde ; elles n’ont plus comme seul horizon les relations entre la France et l’Afrique, ni comme seule destination, Paris, ou, comme seule langue de travail, le français. Ce qui perdure encore, c’est le sentiment que la France, par la place de ses entreprises dans l’économie africaine, le franc CFA et ses bases militaires, reste une puissance néocoloniale prédatrice, alors que la Chine et la Russie apparaissent comme des puissances libératrices.

● François Mitterrand – L’élection à la présidence de la République du socialiste François Mitterrand laisse supposer que l’ère de la « Françafrique » est désormais révolue. Les déclarations convenues se succèdent : « La France n’entend pas intervenir dans les affaires intérieures des Etats africains ». Mais, Mitterrand conditionne l’aide de la France aux Etats qui iront vers plus de démocratie, ce qui signifie que l’ingérence continue. Jean-Christophe Mitterrand va alors s’impliquer dans les anciens réseaux de la Françafrique. De 1986 à 1992, il succède à Guy Penne comme conseiller pour les Affaires africaines au cabinet présidentiel de son père. Le « Canard Enchaîné » l’affublera du surnom de « Papamadi » (« Papa m’a dit »), en raison de sa manière de gérer les relations de la France avec les dirigeants africains.

● Jacques Chirac – Elu président de la République, Jacques Chirac avait compris que le tête-à-tête entre Paris et ses anciennes colonies africaines était bel et bien terminé et que le continent attirait de nouveaux partenaires venus du monde entier. « Les regards changent. L’Afrique commence à être entourée, voire courtisée », avait-il déclaré devant ses pairs africains, promettant aux Africains le soutien sans faille de son pays pour que « l’insertion de l’Afrique dans les échanges internationaux se fasse dans le respect de l’équité ». En réalité,  rien ne change véritablement.

● Nicolas Sarkozy – Dès son élection, Nicolas Sarkozy nomme le socialiste Jean-Marie Bockel au poste de Secrétaire d’Etat à la Coopération et la Francophonie. Bockel, qui prétend signer l’acte de décès de la Françafrique et de ses « réseaux parallèles », est immédiatement exfiltré vers le portefeuille de la Défense et des Anciens combattants à la demande d’un dirigeant africain. Sarkozy a trop besoin du dispositif français en Afrique. Christine Lagarde sera élue à la tête du FMI grâce au soutien des Etats africains.

● François Hollande – Autre président de gauche, François Hollande déclare, le 12 octobre 2012, « le temps de ce qu’on appelait la “Françafrique” est révolu ». Déclaration pieuse. Le journaliste Olivier Faye écrit : « Mais les vieilles habitudes ont la dent dure : au cours de son quinquennat, le socialiste a rencontré plusieurs autocrates africains. » Peut-on reprocher à François Hollande d’avoir envoyé, à la demande des dirigeants de ces pays, des troupes en Centrafrique (opération « Sangaris » du 5 décembre 2013 au 31 octobre 2016) et au Mali (la France était militairement présente au Mali depuis 2013, à travers les opérations Serval, puis Barkhane) ? En revanche, il est sûr que la France n’a pas vu l’impasse que représentait la présence sur une longue période de l’armée française sur le sol d’un Etat souverain.

● Emmanuel Macron – A son tour, Emmanuel Macron a déclaré, le 2 mars 2023, « l’âge de la ‘Françafrique’ est bien révolu. » Faut-il accorder plus de crédit à ce que dit aujourd’hui Emmanuel Macron sur les relations entre la France et l’Afrique ? Une chose est certaine : Macron est le premier président qui pense sérieusement à réorienter la politique de la France en Afrique. Afin de sortir de l’héritage du passé colonial de la France, il regarde de plus en plus vers des pays non-francophones en se présentant comme un « interlocuteur neutre » du continent africain. Madame Chrysoula Zacharopoulou, Secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, n’a pas caché l’intérêt que Macron portait à tous les pays africains, les pays francophones certes, notamment la RDC qui n’est pas une ancienne colonie française, mais aussi les pays anglophones ou lusophones, comme en témoigne le dernier déplacement en Angola.

La France souhaite intensifier ses relations avec des pays africains anglophones qui sont de véritables puissances économiques. La priorité diplomatique que Macron accorde à l’Afrique passe par d’autres chemins que ceux qui conduisent dans l’ancien pré-carré français francophone. S’il se rend au Gabon et au Cameroun, c’est parce que ces pays, qui sont des Etats souverains, développent parallèlement des relations politiques et économiques avec d’autres puissances comme la Chine, la Russie, la Turquie ou l’Allemagne. Lorsque Macron déclare « Je n’ai aucune nostalgie vis-à-vis de la “Françafrique”, mais je ne veux pas laisser un vide derrière », cela signifie que la France doit entrer dans l’ère du partenariat avec l’Afrique, un partenariat d’égal-égal. Emmanuel Macron peut-il écrire une page nouvelle des relations entre la France et l’Afrique ? Avant sa tournée en Afrique centrale, le président français avait effectué dix-sept déplacements et il avait été accueilli dans vingt-et-un pays, refusant que s’installe le récit d’une rupture entre l’Occident et le Grand Sud. Laisser certaines puissances étrangères documenter ce récit, qui sature les réseaux sociaux, notamment par de la désinformation, ce serait dramatique pour toute l’humanité. Voilà pourquoi il est important et urgent  pour Macron d’en finir avec « la fin sans fin de la “Françafrique” ».

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(1)Chronique du lundi parue dans L’Intelligent d’Abidjan du 6 mars 2023. « Qui peut assurer l’avenir de l’Afrique ?»

(2)Olivier Faye, Le Monde Magazine.

Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique- Directeur du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone, Essayiste, chroniqueur, politologue, géopoliticien – Contact : cg@afriquepartage.org

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