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chronique du lundi : la malediction du sous-sol africain conduit à ne pas oublier l’agriculture

chronique du lundi : la malediction du sous-sol africain conduit à ne pas oublier l’agriculture
Publié le
Par
Christian Gambotti
Lecture 6 minutes

S’adressant aux opérateurs économiques à la Chambre de commerce des États-Unis d’Amérique, le Président de la République du Congo, Félix Tshisekedi, a eu une formule heureuse, lorsqu’il a dit que le moment est venu pour que le sol congolais prenne sa revanche sur le sous-sol. 

Il existe en effet une malédiction du sous-sol africain, le continent étant l’un des plus importants producteurs de minerais et d’énergies fossiles. On y trouve 7,6 % des réserves mondiales de pétrole, 7,5 % des réserves de gaz naturel, 40 % des réserves aurifères et entre 80 % et 90 % du chrome et du platine. La richesse de son sous-sol n’a pas permis, pour de multiples raisons largement documentées, d’assurer la croissance de l’Afrique. 

Les puissances étrangères se sont contentées d’extraire les matières premières, les exporter et les transformer hors d’Afrique. C’est le cas de la Chine qui représente 50 % de la consommation mondiale des principaux métaux : aluminium, cuivre,  nickel, zinc, manganèse, cobalt, etc. L’Afrique est perdante deux fois, lorsqu’elle accepte de dépendre uniquement de son sous-sol : les matières premières brutes sont soumises à cours mondiaux extrêmement volatiles, toujours incertains ; la transformation, qui crée de la valeur ajoutée, se fait hors d’Afrique. L’Afrique est riche de son sous-sol, mais elle ne profite pas de ces richesses, car elle exporte des matières premières brutes sans valeur ajoutée. 

En voulant diversifier son économie, largement dominée par le secteur de l’agriculture, la Côte d’Ivoire s’est tournée vers le secteur des mines, les études ayant montré la grande richesse en matières premières du sous-sol ivoirien, qui offre de nombreuses opportunités. Mais, la Côte d’Ivoire, dans ce secteur, doit tenir compte de la volatilité des prix des matières premières et se souvenir de la grande crise qui a frappé l’industrie minière en 2015. Diversifier son économie, industrialiser le pays, ne pas rater le train de la révolution digitale, sans renoncer à rester une puissance agricole : tel est l’enjeu pour la Côte d’Ivoire.

La Côte d’Ivoire doit rester une puissance agricole

Véritable puissance agricole, – 53 % des terres ivoiriennes sont affectées à l’agriculture, le secteur représente plus de 22 % du PIB du pays et il occupe près de 60 % de la population active -, la Côte d’Ivoire reste au défi de sa sécurité et de sa souveraineté alimentaires. Le premier « miracle économique ivoirien », sous Houphouët-Boigny, a reposé sur les cultures d’exportation, notamment le binôme café-cacao. L’agriculture a ainsi permis de financer le développement de la jeune nation ivoirienne. 

À partir des années 1993, les conflits fonciers et les troubles sociopolitiques ont entravé ce secteur. En 2016, seuls 4 % des terres agricoles étaient sécurisées par un titre de propriété. L’urgent, pour les pouvoirs publics et les autorités coutumières, est de sécuriser les 96% de terres rurales non encore immatriculées. Le foncier rural est source de nombreux litiges, ce qui retarde la modernisation de l’agriculture ivoirienne.

Les chiffres témoignent de l’importance de ce secteur

Les cultures industrielles représentent plus de 60 % des recettes d’exportation, le seul binôme café-cacao, – la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao -,  représente 40 % de ces recettes d’exportation et 15 % du PIB ; 70 % des industries ivoiriennes utilisent les produits agricoles comme matières premières. 

Le Pr Justin N’Goran Koffi, Directeur général de l’ARRE (Autorité de Régulation du Système de Récépissés d’Entreposage), président du CRS, résume ainsi la situation actuelle : « la Côte d’Ivoire reste aujourd’hui encore une puissance agricole, mais elle doit relever cinq défis : celui d’une meilleure productivité ;  celui d’une meilleure rémunération du travail dans l’agriculture ; celui de la création d’une véritable industrie de transformation locale des matières premières agricoles ; celui de l’adaptation au changement climatique ; celui d’une production vertueuse pour des questions de santé publique. Ces cinq défis supposent une accélération de la modernisation et une diversification de ce secteur-clef de notre économie. » 

La volonté des dirigeants ivoiriens est, à travers l’orientation des politiques publiques, de permettre à la Côte d’Ivoire de rester une puissance agricole capable de nourrir les populations et conserver son rang sur le marché mondial des cultures d’exportation. L’objectif est triple : relever le défi de la sécurité et de la souveraineté alimentaires ; accroître la part de l’agriculture dans le PIB national ; augmenter le revenu des producteurs.

Accélérer la modernisation du secteur agricole ivoirien

La stabilisation politique du pays, une réalité palpable depuis 2011, a permis de conduire des stratégies de règlement des conflits fonciers et de désenclavement des régions agricoles. Il convient à présent de diversifier les productions agricoles, améliorer les techniques de culture et de conservation des produits, fournir gratuitement des intrants de qualité aux petits producteurs. Ces intrants ne sont plus gratuits depuis la libéralisation des filières agricoles. 

Le rôle de l’Etat est aussi d’informer les producteurs sur les nouvelles techniques de production et les nouveaux intrants, les aider à acquérir un matériel moderne et une meilleure connaissance du marché, à se constituer en coopératives agricoles. Pour améliorer la qualité et la productivité, l’État doit consolider les instituts de recherche, d’encadrement et de formation.

Face à l’urgence climatique et à la nécessité de lutter contre la dégradation des terres et la déforestation, il convient d’engager l’agriculture vers de nouveaux modes de production ; mais, face au boom démographique, à l’urgence alimentaire et aux risques de famine, l’agriculture africaine doit produire plus. Elle doit donc produire mieux, car il s’agit, pour lutter contre le dérèglement climatique, de répondre à la demande légitime de protection de l’environnement en engageant l’agriculture vers des modèles de croissance plus vertueux. Il convient de préserver les ressources, – l’eau et les terres -, sur lesquelles s’appuient les productions agricoles et réduire drastiquement l’utilisation des pesticides qui sont présents partout en Afrique. Bannis en Occident, les pesticides sont utilisés massivement sur le continent à travers un marché illicite qui augmente chaque année, ce qui pose un problème de santé publique. 

Dans une Afrique qui souffre encore de malnutrition et qui devra répondre dans les années qui viennent à un défi démographique d’une ampleur inégalée, face aux risques de famines aggravées par la guerre en Ukraine, comment résoudre la contradiction suivante : engager l’agriculture dans la protection de l’environnement et de la biodiversité et lui demander, en même temps, de produire plus ? La réponse se situe du côté de l’agro-écologie.

En relançant le SARA (Salon International de l’Agriculture et des Ressources Animales d’Abidjan), le gouvernement ivoirien entend développer, valoriser et promouvoir toutes les richesses du secteur agricole, de l’élevage et de la pêche de la Côte d’Ivoire. Pour le ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Kobenan Kouassi Adjoumani, le SARA est un maillon essentiel dans la réhabilitation et le développement du secteur agricole. Il s’agit d’orienter l’investissement national et international au profit des producteurs nationaux et des pays de la sous-région. La Côte d’Ivoire, qui entend conforter à l’international son statut de puissance agricole, enverra une forte délégation au Salon International de l’Agriculture, qui se tient à Paris, du 25 février au 5 mars 2023, Porte de Versailles.

Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique- Directeur du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone Essayiste, chroniqueur, politologue, géopoliticien – Contact : cg@afriquepartage.org

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