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Chronique du lundi – la revanche de l’Afrique sur l’histoire

Chronique du lundi – la revanche de l’Afrique sur l’histoire
Publié le
Par
Christian Gambotti
Lecture 7 minutes

Le fardeau de l’Histoire

a) Le joug colonial

L’Afrique a porté, pendant des décennies, le lourd fardeau de l’Histoire. Si, dès la fin du Moyen Âge, il existe sur le littoral africain quelques rares comptoirs fondés par des Européens, ce n’est qu’à partir de 1870 que l’Afrique va devenir une terre de colonisation autant pour des raisons politiques qu‘économiques. En 1885, lors du Congrès de Berlin, l’Afrique fait l’objet d’un partage entre quatorze pays européens qui vont fixer les règles de la colonisation, notamment en interdisant la traite négrière. La colonisation, si elle n’a duré que 8 décennies, de 1880 à 196O, va profondément marquer l’Histoire de l’Afrique pour trois raisons : la création d’une cinquantaine d’Etats africains bâtis sur le modèle européen, le pillage des richesses naturelles du continent et, sous couvert d’une mission civilisatrice, une appropriation des territoires par la violence et la ruse qui conduit à nier l’identité de l’Afrique et la dignité des Africains. En 1889, la Première exposition coloniale à Paris, qui se tient du 6 mai au 31 octobre, commémore le centenaire de la Révolution française et célèbre les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Pourtant, les Africains venus des colonies seront exhibés dans des « zoos humains ». Il faudra plus d’un siècle pour que l’Afrique se libère du joug colonial. 1960 sera l’année des indépendances.

b) Le premier âge postcolonial : le joug de la « Guerre froide »

Si la Guinée de Sékou Touré devient indépendante dès 1958, 1960 marque la succession des indépendances dans l’Afrique francophone. Le Cameroun s’affranchit le 1er janvier, suivi par le Togo en avril, le Soudan français (actuel Mali), le Sénégal et Madagascar en juin. Le Dahomey (actuel Bénin), le Niger, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), la Côte d’Ivoire, le Tchad, la République Centrafricaine, le Congo-Brazzaville vont proclamer leur indépendance. Le Gabon fait de même en août, la Mauritanie, en novembre. L’indépendance politique de l’Afrique entretient l’illusion que l’Afrique maîtrise désormais son destin. La période de la « Guerre froide » (1947-1991) fait à nouveau peser le fardeau de l’Histoire sur une Afrique toujours dominée, pillée, et qui voit se succéder les coups d’Etat militaires. Entre 1960 et 1989, l’Afrique est sacrifiée aux enjeux géopolitiques et géostratégiques de la « Guerre froide » qui oppose les deux superpuissances de l’époque, les Etats-Unis et l’URSS.

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Premier âge postcolonial de l’Afrique, les trente années que va durer la « Guerre froide » pèsent encore fortement sur le destin de l’Afrique. Si les Etats-Unis et l’URSS ne s’affrontent pas directement, la « Guerre froide » se caractérise par la multiplication des conflits sur tous les continents, sur tous les fronts. En Afrique, l’URSS soutient les mouvements de libération contre les anciens colonisateurs et favorise l’arrivée au pouvoir de gouvernements socialistes qui vont se transformer en dictatures. Cette période a pour effet majeur de geler le développement politique et économique de l’Afrique, d’exacerber les tensions ethniques. L’Afrique subsaharienne semble alors mal partie, comme le dira, René Dumont, un ingénieur agronome dans un livre qui fera scandale. Dumont dresse un constat peu encourageant de l’Afrique sub-saharienne qu’il parcourt et observe, alors que la communauté internationale et l’Afrique vivent dans l’euphorie d’un contexte de décolonisation optimiste.

c) Le deuxième âge postcolonial : 1991-2023

La fin de la « Guerre froide », qui s’explique par la disparition de l’URSS en 1991 ne change rien pour l’Afrique qui n’est plus un enjeu géopolitique pour la Russie et les Etats-Unis. Elle sera marginalisée, oubliée, absente dans les échanges internationaux. Ne profitant pas des dynamiques nouvelles de la mondialisation, l’Afrique voit se poursuivre la déliquescence des structures étatiques et la terrible faillite des gouvernements civils dans certains pays. L’échec des politiques de lutte contre la pauvreté, la réalité de la corruption et la montée de l’insécurité liée à la pression des groupes terroristes et de la criminalité organisée se traduisent par une forte instabilité politique. Pour revenir en Afrique, la Russie se contente, dans un premier temps, de vendre des armes aux Etats africains : actuellement, la Russie représente 49 % du total des exportations d’armes vers l’Afrique. Ne voulant pas apparaître directement, la Russie de Poutine s’appuie, pour étendre sa zone d’influence en Afrique, sur le Groupe Wagner, une organisation privée. Wagner est à la fois une milice armée qui se substitue aux armées des Etats pour protéger les gouvernements ; une société de propagande et de cyber-influence qui finance des activistes, afin de réactiver le vieux discours anticolonialiste, et manipule les opinions publiques à partir de son « usine à trolls » ; un groupe commercial qui se finance en exploitant les pierres précieuses en Centrafrique, l’or au Mali. Les Etats-Unis, qui viennent de classer Wagner comme « organisation criminelle transnationale », voient dans l’intérêt grandissant de la Russie pour l’Afrique une volonté de Poutine de dessiner un nouvel ordre mondial autour d’un front anti-occidental, dont Moscou serait l’épicentre. C’est évidemment sans compter sur la Chine.

La revanche du sol et du sous-sol africains sur l’Histoire

La guerre en Ukraine change la donne en Afrique : il ne s’agit pas simplement des crises alimentaires qui se profilent sur le continent, mais bien de la place de l’Afrique dans le système des relations internationales. Le départ de l’armée française du Mali, de la Centrafrique et du Burkina Faso se traduit-il pour les Etats africains par une souveraineté retrouvée ? S’il s’agit de remplacer un ancien colonisateur pour un nouveau colonisateur vêtu des vieux habits de la lutte anticoloniale, il n’est pas sûr que les populations africaines y retrouvent leur compte. Le gouvernement par la rue a toujours été une impasse : la rue a exigé au Burkina le départ sur l’armée française en 72 heures. La junte militaire burkinabè a préféré organiser ce départ en un mois. Personne ne conteste au Burkina Faso le droit d’en appeler à un sursaut national et de nouer une alliance avec la Russie pour assurer sa sécurité contre les groupes terroristes et garantir son développement. Aujourd’hui, les groupes djihadistes occupent plus de 60 % du Sahel et plus de 50 % du territoire du Burkina est passé sous la domination terroriste et demeure hors du contrôle de l’État. Le Burkina Faso ne peut pas conduire seul le combat contre le terrorisme djihadiste. Pourra-t-il le faire avec le Groupe Wagner ? Les prochains mois nous le diront en permettant de mesurer les conséquences de la présence de Wagner au Burkina. Ces conséquences sont déjà mesurables en Centrafrique et au Mali.

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Je crois plus à l’action unitaire de l’Union Africaine qui demande à l’Afrique de parler d’une seule voix sur les urgences contemporaines, ce que fait le Président sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’Union Africaine. Je comprends le Président congolais Félix Tshisekedi, lorsqu’il parle de la revanche du sol congolais sur le sous-sol du pays. Il entend ainsi valoriser la production agricole, afin d’assurer la sécurité et la souveraineté alimentaires du Congo. Il convient aussi d’assurer la revanche du sous-sol africain sur les investisseurs étrangers qui se contentent d’exporter hors d’Afrique les richesses minières du continent. Une étude montre qu’on trouve, en Afrique, 7,6% des réserves mondiales de pétrole, 7,5% de celles de gaz naturel, 40% des réserves aurifères et entre 80% et 90% du chrome et du platine. Mais ces richesses du sous-sol sont rarement transformées localement. Le marché mondial des matières premières entretient, loin de l’Afrique, une économie qui rapporte beaucoup d’argent aux investisseurs étrangers. L’exploitation de ses matières premières (minières, agricoles) ne profite pas à l’Afrique, ce qui retarde son développement. Toute l’Afrique attend une revanche du sol et du sous-sol africains sur l’Histoire.

Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org

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