Malgré l’arrêt d’une date pour les prochaines élections présidentielle et législatives, en République démocratique du Congo (RDC), le doute subsiste encore quant à la tenue effective des scrutins le 23 décembre prochain.
Joseph Kabila, dont le mandat en tant que chef de l’Etat s’est officiellement terminé le 19 décembre 2016, emploie depuis plus d’un an les grands moyens pour se maintenir au pouvoir. Les forces de l’ordre n’hésitent pas à réprimer dans le sang les manifestations pacifiques organisées par l’opposition, tandis qu’à Kinshasa, lorsqu’on ne tente pas de repousser ad vitam aeternam les élections, une cellule s’active en coulisse pour tuer politiquement l’ennemi numéro 1 du pouvoir, Moïse Katumbi.
« Campagne de désinformation »
L’ancien gouverneur de la province du Katanga, opposant historique et pressenti pour succéder à Joseph Kabila — arrivé au pouvoir en 2001 —, jouit d’une grande popularité en RDC. Et, à l’heure où la cote de sympathie du régime est à son plus bas niveau, les Congolais lui reprochant son virage ultra sécuritaire et répressif, une telle aura a de quoi déranger dans les travées du palais présidentiel. Qui n’hésite pas à charger M. Katumbi avec des accusations fantasques, comme le récent « coup d’Etat » dont il aurait été l’instigateur, selon l’entourage du président. Une stratégie déjà bien usitée : depuis 2016, lorsqu’un soulèvement a lieu en RDC, il porte obligatoirement la marque de l’ex-gouverneur, plus ou moins directement.
« Ce dossier de coup d’Etat, cela fait pratiquement deux ans que [le renseignement congolais] le ressort à chaque occasion » affirmait récemment à La Libre Afrique un ministre sous couvert d’anonymat. Celui-ci d’expliquer comment, fin février dernier, des conseillers spéciaux et autres membres de cabinets de Joseph Kabila s’étaient réunis pour tenter de trouver de nouvelles charges contre Moïse Katumbi. Une manœuvre dont tout le monde, ou presque, a conscience, en RDC, mais que le pouvoir, à des fins de communication, utilise encore. « La ficelle est énorme mais ça ne les dissuade pas », annonçait effectivement le membre du gouvernement, surpris de la stratégie adoptée par Kinshasa.
Et rejoint, sur ce point, par un représentant de l’opposition, selon qui « on assiste aujourd’hui à une campagne de désinformation qui vise à déstabiliser l’opposition, en tentant de la diviser ou de la discréditer. » Moïse Katumbi en avait d’ailleurs déjà fait les frais, en juin 2016, lorsque la justice congolaise l’avait condamné à trois ans de prison ferme, au terme d’une affaire immobilière montée de toute pièce par le pouvoir. La juge, quelque temps après le procès, avait elle-même reconnu qu’il s’agissait d’un coup orchestré par le régime, afin de nuire à celui qui était déjà, à l’époque, considéré comme le principal opposant à Joseph Kabila. Et aujourd’hui contraint à l’exil, entre l’Angleterre, la Belgique et la France.
Bains de sang
Ce qui ne l’a jamais empêché de critiquer la politique congolaise. Ni même d’appeler la population à descendre dans la rue pour manifester — de manière toujours pacifique. Si Moïse Katumbi retarde son retour en RDC — après l’avoir annoncé à plusieurs reprises — notamment en raison des risques qui pèsent sur sa vie, il était tout de même présent à Addis Abeba (Éthiopie), il y a quelques jours, pour le 30e sommet de l’Union africaine (UA), qui rassemblait les chefs d’Etat africains. Un signal fort adressé au régime congolais, et la preuve que, malgré toutes les tentatives de ce dernier pour saper son moral et ses desseins, l’ancien gouverneur du Katanga est plus que jamais déterminé à faire face à Joseph Kabila.
Ceci alors que son entourage l’appelle à la retenue, certains de ses proches lui recommandant clairement de ne pas rentrer en RDC pour l’instant, où il ne fait pas bon s’opposer au pouvoir. L’Église catholique, qui a toujours eu un rôle particulier sur la scène nationale — elle n’hésite pas à commenter, voire critiquer, le politique —, est également de celles-ci. Et, tout comme Moïse Katumbi, s’inquiète de la situation actuelle dans le pays, où les « campagnes de dénigrement et de diffamation » ainsi que les « répressions sanglantes » de la part du pouvoir s’accumulent, selon elle. Plusieurs marches organisées par des catholiques laïcs ces derniers temps se sont effectivement transformées en bains de sang après de violentes altercations entre forces de l’ordre et manifestants. La dernière datant du 25 février 2018 et ayant fait 2 morts.
Un climat plus que tendu qui disparaîtra, d’après les responsables de l’Église catholique — qui se réunissaient le 19 février dernier pour évoquer la crise globale que traverse le pays —, avec « l’avènement d’un Etat de droit ». Et, par conséquent, des élections — initialement prévues fin 2016, puis repoussées à fin 2017 et, finalement, à décembre prochain. Personne, à ce titre, ne peut affirmer que le pouvoir respectera ce calendrier. Une chose est sûre : les répressions de contestataires et autres tactiques visant à écarter Moïse Katumbi du pays, sont autant de signes de fébrilité d’un régime qui se sait sur le déclin. Et même sur la fin.
Bruno Cospain