L’importance de l’éducation. Aucun pays en développement ne peut prétendre s’installer définitivement sur la trajectoire de l’émergence, s’il ne dispose pas d’un système éducatif performant. Des pays asiatiques comme la Chine, la Corée du Sud ou le Japon, qui se construisent sur des formes différentes du pouvoir politique et de l’économie, – la Chine est communiste, la Corée du Sud et le Japon sont des pays libéraux et des démocraties parlementaires -, ont un point commun : ils ont développé, dans tous les domaines, la société de l’intelligence en s’appuyant sur des systèmes éducatifs particulièrement exigeants, reconnus pour les résultats obtenus et les excellents classements à l’échelle mondiale.
La Chine d’aujourd’hui, championne du monde des brevets, est celle des ingénieurs. Dans les années 1980, le Japon était encore considéré comme le royaume de la contrefaçon et de l’imitation, il est désormais reconnu comme le pays de l’ascension technologique et industrielle avec une montée en gamme dans la high tech. La Chine, la Corée du Sud et le Japon développent des stratégies qui visent à remplacer les industries à main-d’œuvre intensive par des entreprises de high-tech et de services.
Si l’Occident a pu dominer le monde pendant cinq siècles, c’est parce qu’il a su, dès le Moyen-Âge, mettre en œuvre des systèmes éducatifs performants qui lui ont fourni les savants, les militaires et les philosophes dont il avait besoin pour se lancer, à travers une mission prétendument « civilisatrice » (les grands explorateurs, la colonisation), à la conquête du monde. Les sociétés humaines sont ainsi passées de la société 1.0, celle de la chasse et de la cueillette, à la société agricole 2.0, à la société industrielle 3.0, et, aujourd’hui, à la société de l’information 4.0.
Des pays sont déjà entrés dans l’ère de la société 5.0, dans laquelle les mondes réels ou virtuels sont connectés grâce aux IoT (Internet des Objets), l’AI (Intelligence Artificielle), le Big Data et la robotique. La Chine, la Corée du Sud, le Japon, les Etats-Unis, Israël, le Japon sont parmi les premiers pays à développer une société 5.0. La société future sera « high tech », l’Afrique disposant dans ce domaine de l’avantage du retard, ce qui lui permet de suivre la stratégie du « leapfrog », c’est-à-dire une progression par bonds qui permet de sauter des étapes.
Quelle place pour les filières techniques et la formation continue?
Dans les systèmes éducatifs, l’enseignement professionnel, les filières techniques et la formation continue sont plutôt mal perçus par les parents et les élèves eux-mêmes qui restent soumis aux injonctions complexes du mythe de la réussite, dont les seules voies seraient celles d’un enseignement général qui permet l’accès à l’université. Diabolisés, l’enseignement professionnel, les filières techniques et la formation continue souffrent d’une injuste dévalorisation.
Dans une précédente Chronique sur l’éducation, j’avais écrit : « L’école doit former des élites, mais il ne doit pas exister à l’école ivoirienne de populations oubliées ou reléguées au fond de la classe. Quant à l’orientation, elle ne doit jamais être une sélection par défaut. » J’avais dit que, parmi les ministères les plus importants, devait figurer le ministère de l’Enseignement technique, de la Formation professionnelle et de l’Apprentissage, que dirige le docteur Koffi N’Guessan, ancien Directeur Général de l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny (INP-HB).
Depuis sa nomination, Koffi N’Guessan s’est fixé deux objectifs : 1) moderniser, diversifier et adapter les offres de l’enseignement technique (création de filières d’excellence dans la formation initiale) et de la formation continue (élévation des qualifications professionnelles) 2) favoriser l’emploi des jeunes et des femmes, deuxième priorité de l’action gouvernementale pour l’année 2022, en créant « L’Ecole de la deuxième Chance ». Cette « Ecole de la deuxième Chance » (E2C) est une réponse concrète que le gouvernement apporte, afin de permettre à des populations sans diplôme ni qualification professionnelle d’acquérir des aptitudes et compétences pour construire un projet professionnel et réussir leur insertion sociale. Le projet E2C figure au nombre des grands chantiers du Programme Social du Gouvernement (PSGouv).
Former 1 million de personnes d’ici 2030
La phase pilote du projet E2C a démarré en novembre 2021. La formation dure au plus 12 mois. Pour la qualification initiale, sont concernés les femmes et les hommes âgés de 16 à 35 ans. Pour la requalification et la reconversion, il n’y a pas de limite d’âge. La dynamique de cette École tourne autour de trois axes : 1) la formation sur les métiers correspondants aux besoins du secteur productif 2) la mise en stage pratique pour apprentissage chez des professionnels avec un accompagnement à l’insertion, afin d’assurer un accompagnement individualisé des jeunes formés 3) la mise en place un fonds de garantie d’insertion auprès des institutions financières.
Un premier objectif intermédiaire vise à former, sur la période 2021-2024 pour un montant de plus 195 milliards de FCFA, quatre cent mille personnes dans le cadre de la mise en œuvre du PSGouv2. Cette étape comprend deux volets : la formation par apprentissage de 200 000 personnes en quête de qualification et d’insertion et la formation de 200 000 personnes en quête de qualification et d’insertion à travers des formations qualifiantes de courte durée.
Le ministère de l’Enseignement technique, de la Formation professionnelle et de l’Apprentissage s’appuie sur différents partenaires : le ministère de la Promotion de la jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du service civique, les professionnels des différents secteurs d’activité, les associations, etc. L’objectif est triple : 1) former des gens pour une employabilité rapide, voire immédiate (formations courtes), 2) certifier des compétences professionnelles par la validation des acquis, 3) répondre aux besoins quantitatifs et qualitatifs en ressources humaines des entreprises confrontées au manque de main-d’œuvre formée.
Le gouvernement accorde autant d’importance à la formation aux métiers ruraux qu’à celle des nouveaux métiers de la digitalisation. Il insiste sur la nécessaire qualité de l’encadrement pour assurer la réussite de l’Ecole de la deuxième Chance. Il est prévu la certification, à partir d’octobre 2022, de 1 500 maîtres-artisans. Au total, 10 000 maîtres-artisans issus du secteur productif verront leurs capacités renforcées pour un meilleur encadrement.
L’« Ecole de la deuxième Chance » est une véritable opportunité pour des personnes motivées, désireuses de construire un projet professionnel et réussir leur insertion sociale. E2C vise aussi à favoriser l’émancipation des femmes ivoiriennes souvent interdites d’éducation. En offrant une solution aux milliers de jeunes et de femmes qui sortent du système scolaire chaque année sans diplôme, ni qualification, et qui se retrouvent confrontés à des difficultés pour entrer dans le monde du travail, l’« Ecole de la deuxième Chance » est, à la fois, un dispositif d’insertion professionnelle, sociale et citoyenne.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches du l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org