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Le temps de la réconciliation, de la cohésion nationale et de la cohésion sociale est-il arrivé en Côte d’Ivoire ? « Les défis sont historiques, culturels, politiques, économiques, sociaux et environnementaux »

Le temps de la réconciliation, de la cohésion nationale et de la cohésion sociale est-il arrivé en Côte d’Ivoire ? « Les défis sont historiques, culturels, politiques, économiques, sociaux et environnementaux »
Publié le
Par
Christian Gambotti
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Dans un gouvernement, chaque ministre a son importance. L’imaginaire collectif attribue pourtant à certains ministères une importance plus grande selon une hiérarchie héritée de la hiérarchisation des domaines que construit l’école et qui évolue selon les époques : l’économie, les finances, le budget, la santé, l’éducation, la sécurité ; d’autres, à tort, semblent moins importants, comme le ministère du tourisme, relégué dans la sphère du loisir, le ministère de l’écologie réduit aux préoccupations environnementales et détaché de l’économie, ou le ministère des Affaires étrangères, dont les enjeux diplomatiques, bilatéraux et géopolitiques échappent à une compréhension immédiate ; d’autres, enfin, semblent inutiles, alors qu’ils portent en eux le destin même d’un pays.

En Côte d’Ivoire, l’un des ministères les plus importants est sûrement le ministère de la Réconciliation et de la Cohésion nationale, alors que certains s’interrogent sur son utilité et dénoncent son coût pour le contribuable ivoirien. Pour couper court à la question de son coût, il faut savoir que le budget dont dispose le ministre de la Réconciliation est insuffisant, notoirement insuffisant. Pour réponde à la question de son utilité, tout ministère est inutile, s’il reste un ministère de la parole, s’il n’est pas un ministère de l’action.

Pour le ministre Kouadio Konan Bertin, dit KKB, « la nature crée des différences, à partir de ces différences, l’histoire, la politique, la culture, l’économie fabriquent des inégalités. Le rôle de l’action politique est de lutter contre toutes les inégalités. Les processus de réconciliation passent nécessairement par une lutte contre toutes les inégalités. » Il ajoute : « En politique, l’illusion que cherchent à entretenir les ministères de la parole ne dure jamais longtemps. Parler de cohésion nationale, c’est aussi parler de cohésion sociale et égalité des territoires, de croissance inclusive et de juste partage des richesses. J’entends conduire une action au plus près des réalités du terrain et à la mesure des défis qu’il faut relever. Ces défis sont historiques, culturels, politiques, économiques, sociaux et environnementaux. »

Les défis historiques

Personne ne peut se soustraire au poids de l’Histoire et l’Histoire de l’Afrique, contrairement à ce que pouvait penser Victor Hugo, un esprit pourtant éclairé, ne commence pas avec la colonisation. Le phénomène ethnique et tribal est très ancien en Afrique, le groupe ethnique étant défini par l’origine commune de ses membres, le partage d’une même culture et d’une même langue identitaire.

La colonisation et la création d’Etats-nations, construits sur le modèle occidental, va regrouper sur un même territoire délimité par des frontières des groupes éthiques différents. La construction de l’Etat-nation post-colonial se heurte, aujourd’hui encore, à la difficulté que représente l’assimilation à un groupe plus large de plusieurs ethnies dans un cadre nouveau qui ne peut gommer les différences et les particularismes.

Dans l’Afrique francophone, la langue française, facteur d’assimilation, est une langue de travail, elle n’est pas la langue de l’identité, ce qui explique la résurgence des conflits ethniques si, dans le cadre de la nation, une ethnie se sent dévalorisée et défavorisée. Les conflits ethniques surgissent à nouveau dans le cas d’un affaiblissement de l’Etat, incapable de tenir la promesse de l’égalité des individus et des territoires.

Les défis culturels et politiques

C’est contre la tendance centrifugeuse de l’allégeance culturelle et linguistique des groupes ethniques que doivent lutter les jeunes Etats-nations africains. Le repliement identitaire est une manière de se protéger. Les parentés, la religion, les modes de vie, la culture et la langue sont des liens plus forts que l’ordre civil créé par l’Etat-nation. La colonisation avait réussi à atténuer les tensions et les conflits ethniques sans parvenir à les éradiquer. La fin de l’ordre colonial s’accompagne d’une période d’insécurité et d’incertitudes politiques, économiques et sociales.

L’insécurité générale réinstalle l’ethnie sa fonction première : protéger le groupe. Le lien tribal, en période d’incertitude, est plus immédiatement saisissable que le lien national. Houphouet-Boigny avait su créer un sentiment national ivoirien. Ce sentiment national s’est estompé à partir des années 1990 avec le multipartisme. Le lien ethnique, tribal, et l’ancrage territorial vont alors constituer l’architecture des trois grands partis politiques ivoiriens, le PCDI, le FPI et le RDR. L’instrumentalisation du concept d’« ivoirité », qui fait de l’ethnie la forme africaine du patriotisme, entraînera la Côte d’Ivoire dans une période de troubles scandées par de graves crises politico-militaires ou postélectorales.

Seule la création du RHDP, d’abord coalition électorale, puis mouvement politique unifié, ouvre le champ du possible pour un retour à la stabilité politique. Ouattara et le RHDP ayant remporté toutes les élections depuis 2011, la réconciliation de tous les Ivoiriens devient une réalité palpable sur fond de développement économique. Selon le ministre KKB, « aucune réconciliation n’es possible sans stabilité politique et développement économique, les deux étant étroitement liés. » En refusant de boycotter l’élection présidentielle et en étant candidat à la présidence de la République en 2020, KKB a sûrement sauvé la démocratie. Politiquement, il semblait évident qu’il fût nommé ministre de la Réconciliation et de la Cohésion nationale.

Les enjeux économiques, sociaux et environnementaux

Parler de cohésion nationale en évacuant la question de la cohésion sociale transformera à coup sûr le ministère de KKB en ministère de la parole, une parole vide qui tourne en rond, alimentée par les expertises des « experts » de salon. KKB, qui doit mieux écouter la société civile organisée, les associations des femmes et de la jeunesse, doit agir en tenant compte de l’équation sociale et des fractures territoriales. L’équation sociale est la première préoccupation des Ivoiriens avec la cherté de la vie (hausse vertigineuse des denrées alimentaires et des carburants). Les fractures territoriales alimentent le mécontentement populaire et réactivent les braises de la discorde. Comment construire le « vivre et travailler ensemble », comment bâtir une Côte d’Ivoire unie et solidaire sans résoudre la question sociale ? KKB sait que la question sociale est le défi majeur que le gouvernement doit relever, s’il veut lui-même être entendu. S’ajoute aujourd’hui, pour les individus comme pour les territoires, la question des inégalités environnementales avec le dérèglement climatique (sécheresse, inondations), la désertification et la dégradation des sols.

Supprimer le ministère de la Réconciliation et de la Cohésion nationale pour faire des économies et réorienter l’argent économisé vers l’achat des produits de première nécessité pour les populations les plus précaires relève des solutions que proposent les habitués du « café du commerce” ou des buvettes des stades de football. La politique est une affaire trop sérieuse pour la confier aux experts du « café du commerce ». A moins que les attaques que subit KKB ne proviennent des officines qui ne comprennent pas que KKB n’a pas trahi l’opposition, mais qu’il lui a, au contraire, rendu service. Tous les partis politiques ne sont-ils pas, aujourd’hui, présents dans l’Assemblée nationale ? Sa démarche, même si elle peut sembler personnelle, n’a-t-elle pas permis de montrer qu’il est inutile d’utiliser les liens ethniques comme stratégie dans la lutte pour la conquête du pouvoir ?

Christian Gambotti
Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique
Contact : cg@afriquepartage.org

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