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Trois questions à Jean-Baptiste Rucibigango, auteur de Radioscopie des médias rwandais d’après 1994

Trois questions à Jean-Baptiste Rucibigango, auteur de Radioscopie des médias rwandais d’après 1994
Publié le
Par
Yaya Kanté
Lecture 7 minutes


Le Président de la République française Emmanuel Macron se rend au Rwanda le 26 mai 2021 à l’invitation de son homologue le président Paul Kagame. Cela témoigne d’un réchauffement diplomatique entre les deux pays. La rencontre entre les présidents Macron et Kagame portera sur des thématiques politiques, mémorielles, économiques, sanitaires et d’avenir. A cette occasion nous avons rencontré l’homme politique et patron de presse Jean-Baptiste Rucibigango qui vient de faire paraître un document de référence, Radioscopie des médias Rwandais d’après 1994 aux éditions du Lys bleu à Paris.

Il y a eu pléthore de publications sur les médias du génocide, avec la tristement célèbre Radio des mille collines, qui a joué un rôle de premier plan dans le génocide des tutsi de 1994. Vous nous livrez le premier travail de fond sur les médias d’après le génocide, pouvez-vous nous dire quelle est la rupture et quelles sont les difficultés rencontrées par la presse rwandaise depuis 1994 à nos jours ?


-Jean-Baptiste Rucibigango : Comme je l’ai fait dans la conclusion de mon nouvel ouvrage Radioscopie des Médias rwandais d’après 1994, je profite de cette interview inattendue pour saluer de nouveau la mémoire d’innombrables martyrs du génocide anti-Tutsi de 1994, parmi lesquels de nombreux collègues journalistes tués en prime time pour ce qu’ils étaient, c’est-à-dire Tutsi ou Hutu modérés. Ils ont été victimes d’une idéologie raciste et fasciste périmée. Je poursuis dans mon ouvrage, en disant qu’en 1994, au Rwanda et dans la communauté internationale, globalement, on a découvert avec stupeur qu’au sein d’ une profession en principe d’ une haute élévation morale et de liberté incarnée, il existait des dévoyés frappés du sceau indélébile de l’infamie, réduisant leurs médias à des entités désincarnées, parmi ceux-ci, la Radio-Machettes RTLM et la Radio Rwanda, elle-même. Pendant 100 jours, ces médias fascistes répandaient régulièrement et suffisamment fort l’idée que leurs concitoyens tutsi, auparavant frères et voisins, devaient se voir appliquer la « Solution finale ».

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En revanche, la presse écrite et audiovisuelle, née peu après juillet 1994 dans les cendres du génocide, s’efforçait de ne pas trop heurter la sensibilité d’une nouvelle société – le « Rwanda Nouveau » – blessée en sa chair et son âme au sortir du génocide, dans la période post-génocide, et peut-être encore aujourd’hui, comme je l’indiquais clairement dans un aide-mémoire pour un projet de relance du bimensuel La Nouvelle Relève dont j’avais la charge. Outre les thématiques ordinaires, cet organe, se voulait [se veut, en espérant qu’il paraitra de nouveau, étant donné l’actualité] un pont nécessaire vers la grande famille de la francophonie culturelle.

Je dois dire enfin, – comme ont pu le relever avant moi différents observateur internationaux, – que dans le contexte d’après-guerre civile hyperbolique et génocidaire, le délabrement des équipements des organes de presse était total. Par la suite, certains médias ont bénéficié d’appuis en matériel, en financement et / ou en formation professionnelle. Les appuis déployés, pour leur venir en aides, étaient octroyés soit sous le volet de la coopération multilatérale via, en particulier, l’UNESCO, soit sous forme bilatérale, notamment avec la R S F. Néanmoins, ce nombre important de soutiens, en direction des médias rwandais, n’a pas pu compenser le complexe de culpabilité de la communauté internationale, dont l’indifférence avait été à peu près totale avant que l’irréparable ne soit commis, et pendant sa macabre exécution étalée sur plus de 3 mois.

Après le génocide, dans l’éducation, dans la vie quotidienne et dans la presse, l’anglais a supplanté le français pour des raisons politiques, – la France étant liée, de près ou de loin, aux Hutu au moment du génocide. – Pensez-vous qu’il peut y avoir dans l’immédiat de la place pour une presse francophone rwandaise et quel message voudriez-vous faire passer au président Macron pour relancer la francophonie au Rwanda ?


-Jean-Baptiste Rucibigango : En tant qu’observateur, je constate que la francophonie culturelle est ancrée au sein des populations africaines, en général, et de la population rwandaise en particulier. Ce lien semble suffisamment solide pour surpasser un jour les aléas historiques que vous venez de citer en ce qui concerne mon pays. En outre, si vous vous référez à mon livre Radioscopie des médias rwandais d’après 1994, dans celui-ci je mets bien en exergue le fait qu’il ne faille pas avoir pour objectif de vanter abusivement les qualités d’une culture et d’une langue aux dépens d’autres cultures et langues. Toute langue est patrimoine commun du peuple dont elle est issue à l’origine, et peut aussi devenir patrimoine commun de l’humanité globale dans les termes prévus par la Charte fondatrice de l’UNESCO. Ainsi en est-il du français au même titre que de l’anglais, du kiswahili, du lingala ou du chinois mandarin. Je pense que dans un avenir proche, toutes les langues pourront faire renaître une lingua Franca (une langue prenant dans toutes les langues et parlée par tous) propre à briser les barrières linguistiques sources de racismes, de haines et de guerres.

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La couve du livre. Photo  : DR

J’en déduis qu’il n’y a pas là matière à spéculations politiques ou philosophiques propres à mettre en cause le vécu historique des peuples, lequel est toujours vivace. En revenant à la case départ, le gouvernement d’union nationale de notre pays, – après avoir coupé l’herbe sous le pied des foireux fascistes, il y a 27 ans –, a opté pour une société ouverte et multiculturelle. Alors oui au regard du rapprochement diplomatique en cours entre la France et le Rwanda, il y a évidemment de la place au Rwanda pour la culture et la presse francophones, lesquelles sont à l’heure actuelle, il est vrai, les parents pauvres. Tout cet aspect est déjà en mouvement avec les quelques actions de relance du français au Rwanda à travers l’Organisation Internationale de la Francophonie, qui a à sa tête la rwandaise Louise Mushikiwabo. Pour ma part je plaide pour une grande maison de la francophonie englobant la francophonie des pays du Sud et la francophonie des pays du Nord.

Il est dit en quatrième de couverture de votre livre Radioscopie des médias rwandais d’après 1994 qu’il a valeur de vade mea cum à l’usage des étudiants en journalisme, des journalistes, des patrons de presse voire des ONG œuvrant en Afrique. Pouvez-vous expliciter ce point de vue ?


-Jean-Baptiste Rucibigango : le mot « Vade mea cum » utilisé en quatrième de couverture pour présenter mon livre n’est pas de mon fait. J’ai voulu témoigné minutieusement de la presse rwandaise d’après 1994. Je conçois bien, après discussion avec mon éditeur, que des livres sur la presse à destination des étudiants, journalistes et patrons de presse africains ne peuvent pas seulement venir d’Europe, car nous n’avons pas les mêmes réalités. Il y a des journaux en Afrique qui n’ont pour tout siège social qu’un téléphone portable, et parfois le directeur du journal à des difficultés à s’acheter une recharge téléphonique. Cela implique la nécessité de mettre sur pied une maison de la presse pour accueillir les journalistes et mettre à leur disposition des ordinateurs, et une salle pour les interviews. Cela soulève le problème des faibles ressources publicitaires pour la presse africaine, et de la corruption qui s’en suit souvent.

Il se pose aussi le problème de l’organe national de régulation de la presse et les instituts de formation et de formation continue en contexte africain voire panafricain. Il est vrai que mon livre de plus de 400 pages revêt aussi un aspect de « guide du journalisme » adapté à l’Afrique par son questionnement. Par exemple dans le Chapitre 3 intitulé « Les obstacles culturels à la diffusion de la presse », il est évoqué : le poids de la tradition orale, le taux élevé d’analphabétisme, l’habitat isolé, le dysfonctionnement des circuits de distribution (c’est valable pour toute l’Afrique). Dans d’autres chapitres il y a des typologies : des lignes éditoriales, des différentes fonctions journalistiques et des différentes formes d’articles. Les définitions sont illustrées par des exemples de terrains suivis de suggestions et de propositions pour éviter certains écueils ou améliorer le statut général de la presse dans un contexte africain. Vu de cette manière, je dirai que mon livre est un utile complément de formation à destination des étudiants en journalisme, des journalismes en activité et des futurs patrons de presse du continent africain.

Propos recueillis par Thierry Sinda
Site éditeur : www.lysbleueditions.com

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