L’Afrique subsaharienne : 48 États différents qui n’ont pas tous les mêmes atouts dans la mondialisation
Deux livres ponctuent l’histoire récente de l’Afrique subsaharienne depuis les indépendances des années 1960. Premier livre, paru en 1962 : « L’Afrique noire est mal partie » de l’ingénieur agronome René Dumont. Deuxième livre, paru en 2010 : « Le Temps de l’Afrique » de Jean-Michel Severino et Olivier Ray. Que s’est-il passé entre 1962 et 2010, soit près d’un demi-siècle ? L’Afrique a évolué, s’est transformée.
Dans son livre Severino nous invite à oublier le jugement pessimiste de René Dumont, Ancien directeur général de l’AFD (Agence Française de Développement), Severino affirme que nous assistons au grand « réveil » de l’Afrique noire qu’il présente comme l’un des principaux vecteurs de la croissance mondiale. Quatorze ans après le livre de Severino et Ray, où en est l’Afrique subsaharienne ? Mais, est-il pertinent de parler de l’Afrique subsaharienne en général ?
Celles et ceux qui suivent mes chroniques savent que j’écris à longueur de colonnes que l’Afrique n’existe pas, mais qu’il existe 54 États différents qui affirment de plus en plus des intérêts divergents. Quant à l’Afrique subsaharienne, elle n’existe que comme réalité géographique. Les 48 pays qui la composent se distribuent en 4 sous-régions (Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est, Afrique centrale et Afrique australe) et s’organisent en 7 Communautés Economiques Régionales, les CER : CEDEAO, CEEAC, CEN-SAD, COMESA, EAC, IGAD, SADC. Je laisse de côté, dans cette chronique, la 8ème CER que reconnaît l’Union Africaine : l’UMA ((Union du Maghreb Arabe : Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie).
Tous les États de l’Afrique subsaharienne n’ont pas les mêmes atouts dans la mondialisation. Parmi les dix pays qui ont connu la croissance la plus rapide au monde, sept sont africains : le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, le Libéria, le Niger, le Rwanda et la Sierra Leone. Dans ces 7 pays, où en est-on ? Le Burkina Faso et le Niger ont connu des coups d’Etat militaires. Le Rwanda s’enlise dans une guerre perpétuelle avec la RDC. La Sierra-Leone et l’Ethiopie restent parmi les pays les plus pauvres et les derniers à l’indice de développement humain. Les seuls points communs de tous les États subsahariens sont : des économies fragiles, des budgets insuffisants pour financer les politiques publiques, la menace du surendettement et l’impact négatif des crises climatiques.
Une destinée commune contrariée par des situations différentes et des trajectoires idéologiques qui s’opposent
● Un postulat optimiste qui masque la réalité du sous-développement – Le raisonnement sur l’Afrique part d’un postulat optimiste qui dresse la liste des bonnes nouvelles venues du continent : l’abondance des richesses naturelles qui semblent inépuisables ; des besoins considérables dans tous les domaines qui engendrent une croissance forte et rapide ; un « boum » démographique le plus fulgurant que l’humanité a connu ; un capital humain qui voit s’élever les qualifications professionnelles ; des progrès démocratiques ; l’application qui tend à s’affirmer des principes de bonne gouvernance ; l’émancipation des femmes africaines ; un meilleur accès au service de bases (santé, éducation, eau, électricité) ; l’adaptation à la révolution digitale. Si l’on prend ces bonnes nouvelles une par une, pays par pays, on s’aperçoit que ces bonnes nouvelles sont loin d’être une réalité. Le PIB par habitant, malgré des progrès notables, reste encore très faible. Il existe autant de situations que de pays. Cette identité plurielle multiplie les risques et semble de plus en plus incompatible avec l’idée d’une destinée commune et d’une prospérité partagée.
● Un contexte de fortes conflictualités – L’instabilité politique de l’Afrique subsaharienne a longtemps été dominée par l’ « ethnicisation » des conflits. L’identité ethnique tarde aujourd’hui encore à se dissoudre dans une identité nationale. Aux conflictualités ancestrales s’ajoutent d’autres conflictualités : la menace du terrorisme djihadiste qui se propage, depuis la zone sahélienne, dans tout le Golfe de Guinée ; la volonté de certains Etats ou groupes de contrôler les ressources naturelles, la richesse du continent africain restant un facteur important de guerre civile et les guerres ethniques recouvrant en réalité des guerres économiques pour le contrôle des richesses ; les guerres de l’eau, etc. On assiste à un retour vers le passé avec une épidémie de coups d’Etat militaires.
L’Afrique avait connu, entre 1956 et 2001, 186 coups d’État, dont la moitié dans les années 80 et 90. Les visées impérialistes d’un vieil « ami » de l’Afrique, la Russie, se traduisent par l’arrivée sur le continent de groupes paramilitaires comme l’ex-Wagner. A travers la construction d’un affrontement entre le « Sud global » et l’« Occident collectif », certains Etats africains deviennent, comme à l’époque de la « Guerre froide », les jouets de puissances étrangères, l’outil militaire laissant la place à des stratégies sophistiquées de désinformation mises en œuvre par des activistes et des officines étrangères. L’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui la cible de ces guerres informationnelles qui ont pour but d’affaiblir les gouvernements civils et décrédibiliser les anciennes puissances coloniales, en particulier la France.
● Le mythe trompeur du panafricanisme politique – le panafricanisme politique, qui naît à la fin du XIXè siècle, cherchait à créer une communauté africaine continentale et mondiale en retenant le critère de la couleur de peau. Le panafricanisme politique est une idéologie totalitaire qui promeut une union artificielle à marche forcée qui se fait contre les peuples eux-mêmes. Les Africains ne constituent pas un seul peuple. Lorsque naît, dans les années 2000, l’idée d’une Union Africaine, c’est pour construire un panafricanisme économique pragmatique, respectueux de la souveraineté de chaque Etat. Dans sa grande sagesse, l’Union Africaine a toujours tenu compte des réalités liées à l’histoire et aux cultures des différents pays africains.
Aujourd’hui, la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), une alliance autant diplomatique que stratégique et économique, se justifie pleinement. Les pays de la zone sahélienne, du Sénégal au Tchad, en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ont des intérêts communs qui passent par l’affirmation de leur souveraineté et le refus de toute soumission néocoloniale. C’est une bonne chose qui va dans le sens de l’Histoire. Est-il souhaitable, pour l’AES, de rompre avec l’Occident, quitter la Cédéao et se débarrasser d’une monnaie commune, le FCFA, facteur de stabilité monétaire, alors que, partout en Afrique, les monnaies nationales s’effondre ? La stabilité monétaire est un préalable au développement. Il est donc urgent, pour la France, de clarifier le débat sur tous les symboles, sujets d’incompréhension : le FCFA, les bases militaires, les entreprises françaises présentes en Afrique
Un destin commun à construire
Les pays africains ne peuvent pas prendre le risque d’entrer dans le XXIè siècle en ordre dispersé, ni en étant en guerre les uns contre les autres. L’intégration régionale à travers les CER, l’intégration continentale à travers le projet de la ZLECAf porté par l’Union Africaine et la coopération entre tous les Etats africains apparaissent comme des urgences absolues pour deux raisons : 1) l’expansion de nombreuses sphères d’influence en Afrique (Chine, Russie, Turquie, pays pétroliers du Golfe, etc.) 2) La crise monétaire, pointée par le FMI, qui menace de nombreuses organisations sous-régionales (CEMAC en particulier) mais aussi toute l’Afrique subsaharienne. Aucun Etat africain ne doit prendre le risque de la division.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org