Si je consacre ma Chronique au « IIIè Abidjan Média Forum », qui se tient les 9 et 10 décembre dans la capitale économique ivoirienne, c’est pour mettre en avant le rôle essentiel que jouent les médias africains qui est d’informer, ce qui recouvre deux droits indissociables : le droit d’informer et le droit d’être informé. Parce que, avec internet et les réseaux sociaux, nous sommes aujourd’hui noyés sous des flots ininterrompus d’informations, face à ce flux massif qui interdit tout recul, les questions suivantes doivent être posées : quelles sont les informations prioritaires ? Celles qui sont secondaires ? Celles qui ne sont pas ou peu traitées ? Chaque média répond à ces questions selon des critères qui lui sont propres et qui définit une ligne éditoriale qui correspond souvent à des orientations politiques ou idéologiques. Dans les médias généralistes, la priorité est toujours donnée à l’actualité immédiate, même s’il s’agit d’un enjeu global comme les crises climatiques. Le choix de traiter en priorité l’actualité immédiate doit toujours s’inscrire, pour alimenter la réflexion du lecteur, dans une analyse et une réflexion sur les enjeux globaux.
Bien comprendre les enjeux globaux en quelques points-clefs
Les enjeux globaux concernent la planète entière, toutes les populations et tous les continents. Ils supposent une coopération internationale de plus en plus complexe dans la manière de gérer un espace commun, la planète. Or, dans notre monde devenu multipolaire, les acteurs sont de plus en plus nombreux avec des intérêts de plus en plus divergents et des réponses civilisationnelles de plus en plus différentes. Le XXI siècle se caractérise par une extension et une complexification du champ des relations internationales. Dans le vieux monde, on pouvait se référer aux règles du droit international et passer par la diplomatie.
Dans notre monde, des préoccupations nouvelles mondialisées, aux développements protéiformes, sont toujours plus nombreuses : la paix, la démocratie, l’environnement, l’eau, la santé, l’énergie, l’alimentation, la sécurité, la cybersécurité, les progrès technologiques, l’accès à l’éducation et à la culture, l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, l’information, etc. Il s’agit là d’enjeux globaux sur une planète où tout le monde se connaît, se surveille, s’analyse, se protège et s’influence ; où tous les États et toutes les régions du monde sont confrontés aux mêmes défis. Dans les enjeux globaux, se révèlent la puissance et la faiblesse des nations, mais aussi l’égoïsme de certains États. Trump n’avait pas hésité à retirer les Etats-Unis des Accords de Paris sur le climat.
Une analyse des tensions internationales montrerait que ces tensions sont étroitement liées à des enjeux globaux, chaque État et chaque région du monde répondant différemment face à ces enjeux. Un seul exemple : il faut toujours plus d’énergies fossiles pour le développement économique. L’opposition entre l’exploitation et l’abandon des énergies fossiles est une source de nouvelles tensions économiques et géopolitiques, comme l’a montré la COP 16 sur la protection de la biodiversité qui s’est tenue à Bakou, en Azerbaïdjan.
Désormais, la géopolitique vaut comme argument pour redessiner l’architecture du monde et redéfinir les relations internationales. On parle de géopolitique de la sécurité, de l’énergie, de l’alimentation, de la santé, de l’information, de la question des femmes, etc. L’humanité hésite entre coopération et conflit. Un nouveau paysage géopolitique et géostratégique émerge, marqué par la concurrence mondiale pour l’appropriation des ressources naturelles, dont les fameuses « terres rares » sur fond de guerres économiques, crises politiques, migrations de masse et, de plus en plus, « choc des civilisations » (1).
Les enjeux globaux nous disent que le destin de l’Afrique ne peut pas se concevoir en dehors du destin de la planète et inversement. Bertrand de Jouvenel, un des pionniers et théoriciens de la prospective, fondateur de la revue « Futuribles », consacrée à la réflexion sur les futurs possibles, avait raison de dire : « Nous n´habitons plus la même planète que nos aïeux : la leur était immense, la nôtre est petite. »
L’articulation entre l’actualité immédiate et les enjeux globaux
Prenons deux exemples : les inondations dramatiques qui ont frappé la commune résidentielle de Cocody et le phénomène de désertification. Depuis 2018, la commune de Cocody connaît des inondations dramatiques autrefois réservées aux communes populaires. L’actualité immédiate conduit, pour des raisons de proximité affective avec les lecteurs ivoiriens, à traiter ces inondations qui frappent la commune de Cocody. Mais, il s’agit bien d’un enjeu global, puisque Cocody est devenue la commune la plus inondée du district d’Abidjan pour les raisons suivantes : urbanisation incontrôlée avec des constructions anarchiques, règles d’urbanisation qui ne sont pas respectées, bétonnage des espaces verts, absence d’expertise dans la réalisation des ouvrages d’assainissement, incivisme, etc.
L’émotion conduit à prioriser l’effondrement des immeubles et le nombre de morts au détriment de l’enjeu global qui est traité superficiellement, celui d’une urbanisation incontrôlée. L’actualité immédiate, notamment à cause de la concurrence d’une information diffusée en ligne, accentue le phénomène de mise à l’écart des enjeux globaux dans tous les médias. La ligne éditoriale des médias généralistes a toujours, pour objectif prioritaire, de répondre immédiatement à l’attente du lecteur. Autre exemple : du 2 au 13 décembre 2024, se tient à Ryad, en Arabie saoudite, la COP 16 (2) consacrée à la lutte contre la désertification.
Les journaux ivoiriens rendent-ils suffisamment compte de cette COP 16, alors que la sécurité mondiale, et plus particulièrement celle de l’Afrique, est en jeu ? Les propos d’Abou Bamba, conseiller environnement du président ivoirien, ont-ils eu droit à suffisamment d’espace dans les médias ivoiriens ? Abou Bamba a déclaré que son pays avait perdu « 90% » de ses forêts entre 1960 et aujourd’hui, des forêts remplacées par une savane aride. Il a précisé que cette déforestation a « réduit les rendements agricoles », aggravé la « pauvreté », favorisé l’« inflation » et provoqué des « conflits liés à l’accès à la terre ». L’enjeu global n’est jamais une cible de prédilection pour les médias généralistes obligés d’aller vite et de privilégier le temps de l’actualité immédiate sur les analyses de fond.
Thèmes abordés lors du « IIIè Abidjan Média Forum »
Voici la liste des thèmes qui seront abordés lors des 5 panels du « IIIè Abidjan Média Forum » : 1) « Franc CFA et réformes économiques en Afrique : quel rôle pour les médias ? ». La question du FCFA est-elle une question économique ou politique ? 2) « Lutte contre les fakes news : Comment garantir une information fiable et éthique ? ». L’Afrique est aujourd’hui la cible privilégiée des stratégies de désinformation. Par qui sont-elles conduites ? Dans quel but ? 3) « Intelligence artificielle et journalisme : Opportunités, défis et éthique pour les médias africains ». L’Intelligence Artificielle aura, au XXIè siècle, le même impact que la révolution industrielle au XIXè siècle. 4) « Diplomatie internationale : le rôle des médias dans la couverture des relations Afrique-France, Chine, Russie et Occident ». L’Afrique subit-elle aujourd’hui une deuxième colonisation ? 5) « Les médias comme acteurs de la bonne gouvernance, de la promotion des droits humains et des élections apaisées en Afrique ». Ce dernier panel concerne l’avenir du continent africain. L’organisation démocratique du droit à l’information est-elle réelle en Afrique ?
(1) Samuel Huntington, « Le Choc des Civilisations », Avril 2000, Ed. Odile Jacob.
(2) La COP 15 sur la désertification, présidée par l’Ivoirien, Alain-Richard Donwahi, s’était tenue à Abidjan, du 9 au 20 mai 2022.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org