Introduction
L’Afrique a toujours fait partie de l’Histoire du monde. Elle en a porté le lourd fardeau pendant la colonisation et la période de la « Guerre froide ». Au moment où se réécrivent les principes des relations internationales, avec la fin du vieux monde de Yalta, quelle sera la place de l’Afrique dans le nouvel ordre mondial, alors que les dirigeants des trois plus grandes puissances, – les Etats-Unis, la Russie, la Chine -, s’entendent pour un nouveau partage du monde ? Il ne s’agit pas d’un retour à l’ancienne « Guerre froide » qui voyait s’affronter le monde libre et le monde communiste. Aujourd’hui, chaque dirigeant a une manière différente de vouloir s’emparer de l’Afrique : Poutine utilise la guerre informationnelle, Xi Jinping, l’économie, Trump, la paix.
Poutine et l’arme de la désinformation
La Russie est un nain économique qui ne peut pas, en Afrique, rivaliser dans le domaine des investissements et de l’aide avec la Chine et les Etats-Unis. Poutine a pourtant inscrit le continent dans son agenda de conquêtes. S’il fait la guerre directement dans son environnement étranger proche (guerres de Tchétchénie, en Géorgie, en Ukraine, etc.), en Afrique, il procède différemment, de deux manières :
● L’activité diplomatique – Poutine déploie en Afrique une intense activité diplomatique et il organise des Sommets Russie-Afrique (2019, 2023), c’est le côté officiel qui se conclut par des accords de coopération militaire et de défense avec de nombreux Etats africains (Algérie, Égypte, Libye en Afrique du Nord, Angola, Niger, Mali en Afrique subsaharienne). Entre 2018 et 2022, la Russie est devenue le principal fournisseur d’armes du continent, ce qui représente 40 % des armes fournies en Afrique. En militarisant, en Afrique, les régimes qu’il soutient, Poutine revient aux origines d’une doctrine soviétique selon laquelle le métier du Kremlin, c’est la guerre.
● La guerre informationnelle – La manière dont la Russie impose sa propagande en Afrique est largement documentée. La Centrafrique a servi de laboratoire à l’ex-Wagner pour développer des stratégies de désinformation, dupliquées ensuite au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Prigojine disparu et la nébuleuse Wagner démantelée, le Kremlin poursuit cette stratégie non-militaire à travers « African Initiative », le nouveau réseau de propagande russe, créé en septembre 2023 à Moscou. Objectifs : influencer la rue et les opinions publiques en Afrique, déstabiliser les gouvernements africains et décrédibiliser l’Occident, en particulier la France. Cible actuelle, la Côte d’Ivoire. La guerre de l’information russe est évidemment mue par des objectifs stratégiques. (1)
Xi Jinping et l’arme de l’économie
La Chine est en train de s’emparer, à bas bruit, de l’Afrique, mais aussi du monde. L’arme de Pékin, l’économie avec les milliards de dollars déversés depuis des décennies dans le pharaonique projet des « Nouvelles Routes de la Soie ». Premier partenaire commercial de l’Afrique, la Chine, qui est présente dans tous les secteurs d’activité, est devenue le centre de gravité de l’économie africaine. Dirigeant d’une Chine conquérante, Xi Jinping s’affiche en apôtre du développement de l’Afrique. Mao avait lancé la « grande révolution culturelle », enfermant la Chine dans un communisme étroit avec le catastrophique « Grand Bond en avant » qui fera 45 millions de morts. Il armera les mouvements de libération. Xi Jinping choisit la « grande révolution industrielle et commerciale », sans remettre en cause la forme communiste du pouvoir. Président à vie, comme Mao, il est « le président de tout » et il décide de tout, comme Mao, mais, il fait le choix de restaurer la puissance de la Chine par l’industrie, le commerce et la finance, sans afficher ouvertement une posture idéologique. Il finance le développement de l’Afrique. Mais, l’Afrique est non seulement spoliée de ses richesses naturelles à cause des contrats léonins qu’elle signe avec Pékin, elle se retrouve aussi sous la menace de la dette chinoise.
Trump et l’arme de la paix
Dans sa campagne électorale, Trump a affirmé qu’il mettrait fin aux guerres au Proche-Orient et en Ukraine en 24 h. Nous verrons le 20 janvier 2025, date officielle de la prise de pouvoir de Trump. Faut-il voir en Trump un militant de la paix, un apôtre du pacifisme qui voudra arrêter, en Afrique, les guerres oubliées ? Evidemment, non. La paix est celle qui peut exister entre les grandes puissances, l’obsession de Trump étant la réduction de l’abyssal déficit commercial américain. Trump a toujours dénoncé les « very, very bad deals » (“les très, très mauvais accords commerciaux”). Il cherchera à en conclure de nouveaux à l’avantage des États-Unis, y compris dans ses relations avec l’Afrique. Comment faire du commerce en temps de guerre ? La recherche de la paix est l’habit trompeur d’un libéralisme libertarien, à la Elon Musk, qui propose une totale dérégulation, c’est-à-dire la suppression des règles qui encadrent une activité. Les guerres de Trump seront des guerres commerciales de haute intensité, ce qui ne manque pas de susciter des craintes en Afrique avec l’instauration de barrières douanières.
Conclusion
Il n’est pas question d’empêcher la Russie et la Chine de vouloir commercer avec l’Afrique, ni de proposer des modèles alternatifs de développement et de sécurité. Ce qui me semble dangereux pour le continent, c’est la volonté de Moscou et de Pékin de définir l’agenda de l’Afrique en l’enfermant dans un « Sud global » destiné à rompre avec l’Occident. La question de l’Afrique conduira rapidement Trump à renoncer à son rêve de partage du monde, à travers une paix factice, entre grandes puissances, lorsqu’il comprendra que la Russie et la Chine se projettent de plus en plus vers l’Afrique dans les affaires militaires contre l’Amérique (2). Trump abandonnera sûrement Taïwan et l’Ukraine, car il estime que cet abandon sera sans véritable conséquence pour la sécurité des Etats-Unis. Peut-il abandonner aux Russes et aux Chinois tout un continent comme l’Afrique ? Je ne le crois pas. Il va prendre conscience très rapidement que la Russie et la Chine, qui disposent d’un armement surdimensionné, ont des ambitions néocoloniales démesurées en Afrique. Le deuxième mandat de Trump marquera le retour des Etats-Unis en Afrique, beaucoup plus que ne l’ont fait Obama et Biden.
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(1)Journaliste centrafricain repenti, Ephrem Yalike, après avoir été l’un des rouages de la propagande du groupe Wagner à Bangui, révèle le mode de fonctionnement de l’entreprise de désinformation russe en Afrique. Au Mali, l’école de journalisme de Bamako est devenue un avatar de la stratégie de propagande russe en Afrique.
(2)La Chine est de plus en plus présente en Amérique latine, l’ancien terrain réservé des Etats-Unis. La politique étrangère très isolationniste de Trump risque de voir se réaliser le rêve de Xi Jinping d’un nouvel ordre mondial sinocentré.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org