« Celui qu’on aime a tout droit contre vous, même de ne plus vous aimer »
Romain Rolland
…Tout comme celui que l’on n’aime plus a le droit de partir en toute dignité.
Dans sa chronique juridique mensuelle, Maître Léa N’GUESSAN, Avocate au barreau de Paris fait le point sur le divorce pour altération définitive du lien conjugal. C’est une forme de divorce permettant entre autres à un conjoint de ne pas rester enfermé dans les liens du mariage alors même que la communauté de vie a cessé.
Adèle et Dimitri sont de nationalité française et originaires du Congo Brazzaville. Ils sont mariés depuis vingt-cinq ans et ont quatre enfants dont trois majeurs.
Le couple a vécu de manière paisible pendant une quinzaine d’années. Au début de la cinquantaine, Dimitri a entamé une liaison avec Laure, une dame vivant dans son pays d’origine.
Cette dernière a énormément d’emprise sur lui et a totalement déstabilisé la cellule familiale. Les enfants voient très peu leur père qui a déserté le domicile conjugal.
Dimitri vit quasiment dans son pays d’origine et lorsqu’il revient en Région Parisienne, il est hébergé par un de ses cousins menant une vie de patachon comme la sienne. Pire encore, Dimitri a souscrit plusieurs crédits pour entretenir Laure qu’il ne rembourse pas au demeurant et pour lesquels son épouse est responsable solidairement.
Paradoxalement, il refuse de divorcer.
Depuis trois ans à présent, Adèle supporte seule les charges du ménage et est entravée dans ses différentes démarches administratives car elle est toujours « mariée ».
Adèle souffre de cette situation qui l’angoisse énormément. Les médiations familiales n’ont pas prospéré. Elle souhaiterait tout simplement mettre fin à cet imbroglio conjugal, ce faux ménage à 3.
Que peut-elle faire ? Comment se désolidariser de Dimitri qui ne fait que l’humilier au fil des jours ?
Nous pouvons recommander à Adèle d’engager une procédure de divorce pour altération définitive du lien conjugal devant les juridictions françaises.
Textes applicables:
– Article 237 du code civil
Le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque le lien conjugal est définitivement altéré.
– Article 238 du code civil
L’altération définitive du lien conjugal résulte de la cessation de la communauté de vie entre les époux, lorsqu’ils vivent séparés depuis un an lors de la demande en divorce.
Si le demandeur a introduit l’instance sans indiquer les motifs de sa demande, le délai caractérisant l’altération définitive du lien conjugal est apprécié au prononcé du divorce.
Toutefois, sans préjudice des dispositions de l’article 246, dès lors qu’une demande sur ce fondement et une autre demande en divorce sont concurremment présentées, le divorce est prononcé pour altération définitive du lien conjugal sans que le délai d’un an ne soit exigé.
– Article 246 du code civil
Si une demande pour altération définitive du lien conjugal et une demande pour faute sont concurremment présentées, le juge examine en premier lieu la demande pour faute.
Contexte du divorce pour altération définitive du lien conjugal
Très souvent en pratique, il arrive qu’un époux ne souhaite pas invoquer la faute de son conjoint ou tout simplement soit dans l’impossibilité matérielle de le faire, outre le fait que son conjoint refuse de divorcer.
Dans ces hypothèses, il semble judicieux d’engager une procédure de divorce pour altération définitive du lien conjugal.
Déroulement de la procédure et délai
La procédure de divorce pour altération définitive du lien conjugal se déroule devant le Juge aux Affaires Familiales (JAF) du Tribunal compétent.
Le JAF est saisi par assignation délivrée par voie de Commissaire de justice.
L’époux à l’initiative de la procédure doit prouver que la vie commune a cessé depuis au moins un an sauf exception prévue par le législateur. Il doit prouver qu’il ne réside plus avec son époux depuis plus d’une année.
Il convient de préciser que si l’époux demandeur n’a pas indiqué de motif de divorce dans sa demande initiale, le délai d’un an commencera à courir à compter du dépôt de la demande.
Détermination de l’adresse du défendeur
C’est l’une des difficultés majeures dans la procédure de divorce pour altération définitive du lien conjugal. L’époux qui déserte le domicile conjugal du jour au lendemain ne communique quasiment jamais sa nouvelle adresse. Plus grave encore, il refuse quelquefois de procéder à un changement d’adresse de son plein gré. Il n’en demeure pas moins que par le biais d’amis communs ou de la famille proche, l’époux demandeur est parfois informé à minima de sa localisation géographique.
Pour ne pas faire subir davantage à l’époux demandeur les conséquences des errements de son conjoint, il est recommandé d’user de la dernière adresse connue, en l’occurrence celle du domicilie conjugal.
En pratique, c’est souvent à cette adresse que le Commissaire de justice signifiera l’assignation en divorce.
Admission de passerelles
Par « passerelle », l’on désigne la possibilité de changer le fondement de divorce en cours de procédure.
Par exemple, lorsque les deux époux décident d’opter pour un divorce par consentement mutuel ou encore un divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage quand ils parviennent finalement à un accord.
De même, si l’époux défendeur forme une demande de divorce pour faute, l’époux demandeur a également la possibilité de modifier le fondement de sa demande en invoquant les fautes de ce dernier.
Décision du Juge
La décision du juge comprend plusieurs points.
Détermination de la loi applicable
En présence d’un élément d’extranéité, le juge s’assure de l’application de la loi française aux demandes relatives au divorce des époux et aux obligations alimentaires
Détermination de la date des effets du divorce
Le Juge déterminera également la date des effets du divorce en ce qui concerne les biens à la date de séparation effective du couple (cessation de la communauté de vie).
Révocation de plein droit des avantages matrimoniaux
Le Juge prononce la révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et des dispositions à cause de mort, accordées par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l’union.
Fixation de la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants
Le Juge fixe le montant à l’entretien et l’éducation des enfants due par l’époux qui n’a pas la garde principale des enfants.
Fondement juridique du divorce prononcé
Sur le fondement des règles légales et des pièces produites aux débats, le magistrat peut décider :
Soit de prononcer le divorce pour altération définitive du lien conjugal.
Soit de prononcer par exemple le divorce pour faute en cas de passerelle s’il constate que des fautes ont été commises par le conjoint à l’origine de la demande pour altération définitive du lien conjugal ou par le défendeur.
Attention
Il est fortement recommandé de se faire assister par un avocat dès le début de la procédure afin d’affiner une stratégie que l’on soit en demande ou en défense.
Il convient de faire constater le départ de l’époux du foyer conjugal par voie de Commissaire de justice ou en déposant à minima une main courante au Commissariat le plus proche.
Il serait judicieux également de produire aux débats des attestations de témoins ainsi que tout autre document de nature à prouver que l’un des époux a déserté le domicile conjugal.
La réconciliation avec reprise de la vie commune emporte annulation du délai matérialisant l’absence de vie commune.
En cas de prononcé de divorce pour faute, des dommages et intérêts peuvent être octroyés.
Maître Léa N’GUESSAN, Avocate au barreau de Paris