Après neuf longues années de silence médiatique, la première interview de Laurent Gbagbo était attendue par tout le monde : ses partisans, qui souhaitaient un mot d’ordre plus mobilisateur que ce que l’opposition leur propose, et ses adversaires qui craignaient que sa simple parole galvanise les quartiers FPI et embrase Abidjan.
Ce ne fut rien de tout cela. D’abord parce que ce n’était plus tout à fait le Woody de Mama, mais un vieux monsieur apparemment intimidé par la journaliste Denise Époté, pourtant bien gentille dans ses questions et qui ne chercha jamais à le mettre en difficulté. Ensuite parce qu’il semblait avoir pris de la lenteur et peut-être de la sagesse dans son phrasé et dans son discours.
En quarante minutes, il s’appliqua à répéter, sans d’ailleurs les marteler comme il l’aurait fait quand il était tribun, deux grands principes : (1) il faut respecter les textes qui règlementent la vie de la société, et (2) il faut toujours – autant que faire se peut – discuter, se parler, négocier. Moyennant quoi, on est respectable.
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Ces deux recommandations étaient intéressantes dans la mesure où l’ancien chef de l’État ne les a pas toujours respectées.
Ainsi, lors de la publication des résultats de l’élection de novembre 2010, Laurent Gbagbo s’assit-il allègrement sur le code électoral en annulant les chiffres de plusieurs départements afin que son total dépasse celui d’Alassane Ouattara, puis se proclama vainqueur. C’était parfaitement illégal, mais il ne s’en excusa jamais.
Quant à se réunir autour d’une table pour désamorcer une crise, il a sans doute oublié la médiation de décembre 2000 qui avait abouti à un accord pour repousser les élections législatives afin que le RDR puisse y participer, et sa volte-face du lendemain matin qui avait laissés pantois les négociateurs internationaux.
Sinon, les réponses à la journaliste ont toujours été plutôt mesurées, presque nuancées, et même souvent hésitantes. Aurait-il gagné en profondeur d’analyse, ou bien pensait-il à ménager son avenir ?
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Cette seconde hypothèse pourrait être retenue à la lumière de ses propos sur le flambeau à passer à la jeunesse. Il s’y est assez clairement opposé, malgré la perche démagogique tendue par Denise Époté. Pour lui, les anciens – il n’a jamais dit les vieux – ont encore un rôle à jouer, et il compte probablement illustrer son point de vue dans les prochains mois ou les prochaines années. Quelques ambitions vont devoir être remisées.
Au fil du dialogue, il a un peu perdu de sa concentration et s’est contredit vers la fin en raillant les pays d’Afrique francophones, « toujours prêts à aller chercher des références en France ». Avait-il oublié qu’il s’était longuement étendu, en début d’interview, sur de Gaulle et Mitterrand comme exemples de longévité politique ?
Que conclure sur cette prestation ? Il faudra attendre que ses partisans l’aient digérée, en aient fait l’exégèse et en aient tiré des enseignements directement applicables à la situation présente. Quant à ses alliés de circonstance, notamment Bédié et Soro, ils ne garderont sans doute de cette interview que la référence au 3ème mandat, mais comme chacun sait au fond de lui-même que la candidature de Ouattara est, tout au plus (et pour reprendre la position de Simone Gbagbo), une atteinte à l’esprit de la Constitution mais en aucun cas une violation du texte, ils n’auront guère progressé.
Une contribution de KS