La colonisation est un fait qui appartient à l’Histoire. Elle naît de la concurrence entre les deux plus grandes puissances de l’époque, l’Angleterre et la France. Le but est évidemment d’affirmer cette puissance par la conquête de territoires, principe clé de l’impérialisme occidental. La colonisation de l’Afrique noire prend fin dans les années 1960, date à laquelle quatorze territoires de l’Afrique subsaharienne francophone accèdent à l’indépendance.
Dans les années qui vont suivre, la France, notamment à travers le « Françafrique », entretient une forme de néocolonialisme, dont l’un des marqueurs est le maintien, sur le sol africain, des bases militaires françaises. La France est, d’ailleurs, la seule ancienne puissance coloniale à avoir gardé des bases militaires permanentes en Afrique. Aujourd’hui, confrontée à l’accélération de l’Histoire et aux nouvelles dynamiques des relations internationales, les militaires français sont « chassés » d’Afrique, soit par une décision brutale (Centrafrique en 2020, Mali, Burkina Faso, Niger entre 2022 et 2023), soit par la fin des accords de défense (Sénégal et Tchad en 2024).
Contexte du maintien des bases militaires françaises en Afrique
Produit de l’Histoire, la centralité de l’Afrique subsaharienne dans la politique étrangère de la France conduit Paris à vouloir maintenir avec les Etats francophones un lien privilégié. La décolonisation, négociée avec de nombreux chefs d’Etat africains, permet à la France de conserver, en Afrique occidentale et centrale, son influence pour des raisons autant politiques que diplomatiques, stratégiques et économiques. S’ajoute le volet culturel avec le soft power que représente le français comme langue officielle et/ou véhiculaire dans plus de 18 pays contigus, un espace immense qui représente près de la moitié du continent africain.
Selon une étude de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), l’Afrique regroupera en 2050 environ 85 % des francophones du monde, sur 715 millions de locuteurs, Un Africain sur 9 parle français. Ce contexte politique, stratégique, diplomatique et économique a conduit la France à vouloir maintenir ses bases militaires en Afrique, ce qui constitue un anachronisme et une erreur grave dans un monde devenu de plus en plus multipolaire.
Je partage l’analyse que fait Antoine Glaser, fondateur de la « Lettre du Continent » et spécialiste de l’Afrique : « La France se croyait encore à l’époque de la guerre froide, où elle faisait le gendarme en Afrique. Elle n’a pas vu la mondialisation de l’Afrique arriver et elle a continué à s’y croire chez elle. » Le caractère multipolaire du monde d’aujourd’hui et l’intérêt que de nombreuses puissances, grandes et moyennes, portent à l’Afrique, font que la France n’est plus sur le continent un acteur incontournable, y compris dans son ancien « pré-carré ».
Une concurrence accrue qui entraîne une perte d’influence
Bien avant les coups d’Etat militaires dans la bande sahélienne, la France connaissait une perte d’influence continue et une hostilité grandissante exploitée, de façon opportuniste, par la Russie. La France n’est pas chassée d’Afrique, elle est concurrencée, comme tous les pays occidentaux, par des offres alternatives qui sont le reflet de l’évolution de l’ordre international et du rééquilibrage des rapports de force à l’ONU en faveur des pays du Sud.
Beaucoup plus que les anciennes puissances coloniales qui n’ont jamais conservé de bases militaires de façon permanente en Afrique, la France est accusée d’avoir fait et défait les pouvoirs sur le continent africain, offrant ainsi une espèce d’assurance-vie à des gouvernements civils contestés, et de maintenir une ingérence néocoloniale par le biais de l’outil militaire. L’évocation des interventions militaires françaises récentes (Barkhane, Serval) suffit pour réactiver le souvenir d’une vieille Françafrique, ajoutant au discrédit de l’ancienne puissance coloniale aux yeux d’une grande partie des opinions publiques et des jeunes générations qui ont soif de souveraineté.
Dans un très bon article paru dans la revue « Conflits » (1), Raphaël Chauvancy, Officier supérieur des Troupes de marine, écrit : « Avec les années, les bases en Afrique sont ainsi devenues le village Potemkine de la puissance française ». A l’époque où, en Afrique, les guerres sont des guerres informationnelles, avec des stratégies d’influence fondées sur la désinformation, la puissance militaire de plus en plus relative de la France est un mode d’action obsolète. Raphaël Chauvancy rappelle, à juste titre, le fait suivant : « en 1967, les derniers soldats américains ont quitté le sol français à la demande du général de Gaulle. Washington n’en est pas moins demeuré son premier allié. » La fermeture des bases militaires françaises en Afrique ouvre une nouvelle ère dans les relations entre l’Afrique et la France sous le double sceau d’une souveraineté pleine et entière des Etats africains et d’une liberté stratégique retrouvée pour une France enfin libérée de l’habit peu glorieux d’ancienne puissance coloniale arc boutée sur la défense de ses seuls intérêts économiques et diplomatiques. En voulant entretenir l’illusion de la grandeur et son statut de puissance globale, que véhiculait l’ancien empire colonial, la France n’a pas compris la brusque accélération de l’Histoire et la désoccidentalisation du monde.
Une nouvelle ère dans les relations franco-africaines
Je suis surpris de lire dans la presse et d’entendre des géopoliticiens dire que la France a « perdu » la Centrafrique, le Mali, le Burkina Faso et le Mali et qu’elle est en train de « perdre » le Sénégal et le Tchad. Ces Etats africains sont-ils des possessions françaises, des territoires français ? Non. Ce sont des Etats souverains qui veulent affirmer leur souveraineté. On est en droit de s’interroger, pour les Etats eux-mêmes et leurs populations, sur le fait que des Etats comme la Centrafrique, le Mali, le Burkina Faso et le Niger veuillent remplacer la présence militaire française par une autre présence militaire, celle de la Russie. En revanche, le Tchad, qui possède une armée opérationnelle, et le Sénégal, qui cherche à se reconstruire, veulent mettre fin à un sentiment de dépossession sans sous-traiter à une puissance étrangère leur développement et leur sécurité. Le Tchad a annoncé le jeudi 28 novembre qu’il mettait fin à l’accord de coopération en matière de défense signé avec Paris, ce n’est pas un hasard (2). Au Sénégal, la nouvelle démocratie qui est suffisamment forte, a choisi d’évoquer les 80 ans de la tuerie de Thiaroye comme symbole de rupture, ce n’est pas un hasard non plus. Souveraineté et patriotisme sont des idées qui structurent désormais le discours des dirigeants africains et les perceptions de la rue africaine, ce qui va dans le sens de l’Histoire et est plutôt sain.
Les nouvelles dynamiques internationales contribuent à mettre fin à une ambiguïté qui perdure en Afrique francophone, la persistance d’un néocolonialisme entretenu par la France par intérêt sous couvert de devoir moral que dicterait une histoire commune désormais remise en cause, lorsqu’elle justifie l’injustifiable. La France continue-t-elle à s’abreuver à la fontaine des illusions d’une puissance qui était celle de l’empire colonial ? Je ne le crois pas. Mais, elle a trop tardé à fermer ses bases militaires. Il est temps d’ouvrir une nouvelle page plus pragmatique des relations entre la France et l’Afrique francophone. Petit détail qui a son importance : les principaux intérêts économiques de la France ne sont pas en Afrique francophone, ils se situent dans l’Afrique anglophone et lusophone, au Nigeria, en Afrique du Sud et en Angola. Les ressources naturelles et les grands marchés se situant ailleurs, l’Afrique francophone, notamment dans sa partie sahélienne, ne doit pas devenir « un champ de compétition momentané » entre la France et la Russie avec le « risque de sombrer ensuite dans l’indifférence générale » (Raphaël Chauvancy).
⦁ « Conflits », article de Raphaël Chauvancy, 9 décembre 2024.
⦁ La décision tchadienne, qui intervient le jour de l’anniversaire de la proclamation de la République du Tchad (28 novembre 1958), fait référence au principe de souveraineté : « Après 66 ans de la proclamation de la République du Tchad, il est temps pour le Tchad d’affirmer sa souveraineté pleine et entière. »
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org