Une fois encore, la question rituelle était au rendez-vous de l’élection présidentielle française : quelle sera la politique du nouveau président français en direction, voire «en faveur» de l’Afrique ? Sur les médias, les réseaux sociaux, dans les conversations des «prescripteurs d’opinion», la tradition n’a pas pris une ride. Une fois de plus se trouve réactivé, avec une vigueur renouvelée, ce lien aussi particulier qu’unique entre la France et l’Afrique francophone. Ce sont les énigmatiques ressorts de ce lien qui font des Africains francophones, plus de cinq décennies après les indépendances, la seule collectivité humaine amenée à s’interroger, à chaque élection présidentielle française, sur ce qu’ils pourraient attendre du nouveau président élu de l’ancienne puissance coloniale.
Monsieur le Président Emmanuel Macron, tâchez donc de ne point mésinterpréter cette énigme. Elle est à ranger dans le registre des pathologies postcoloniales. Celles-là même qui prolongent les malentendus et autres contradictions enfouis dans l’inconscient collectif des ex-colonisés et de leurs ex-colonisateurs qui ont, eux aussi, tant de mal à se délester de leurs propres désordres intimes. Mais nous le savons, l’ensemble de ces troubles s’évanouira forcément avec le temps. En attendant, Monsieur le Président, vous a-t-on instruit de cette singularité propre aux Africains francophones, à savoir, cette schizophrénie postcoloniale qui fait osciller bon nombre d’entre eux entre fascination et détestation vis-à-vis de l’ex colonisateur ? A ce propos, vous découvrirez ceux qui, tour à tour, fustigent les «pratiques néocoloniales» de la France, tout en projetant déjà de se rendre dans votre futur «bureau Afrique» de l’Elysée – qui deviendrait, dit-on, un «Conseil présidentiel pour l’Afrique» – pour y exposer leur «doléances». De temps à autre, vous y apercevrez des acteurs politiques africains, se réclamant aussi bien des pouvoirs en place que de l’opposition, qui viendront, coutumiers du fait, solliciter la bienveillance et le «soutien» de cette France par ailleurs anathématisée. Vous découvrirez des homologues africains francophones dont le logiciel politique vous surprendra, tant il apparaîtra insolite pour un dirigeant de votre génération. Vous rencontrerez ceux qui tenteront de vous inviter à vous accommoder avec «l’existant», en perpétuant, de concert avec les fameux initiés des réseaux françafricains, des habitudes et pratiques prétendument inaltérables, et qui ont tant desservi l’image de votre pays au sein des opinions. Une fois surmontée la stupeur provoquée par votre élection, ces homologues africains – dinosaures ou simples prolongateurs des systèmes politiques crépusculaires – viendront vous vanter la continuité des relations entre votre pays et les leurs, vous invitant donc à ne rien changer dans les protocoles relationnels constamment dénoncés, au nom des intérêts hypothétiques de votre pays. Les mêmes pourraient solliciter de votre part un soutien pour la survie de leurs régimes obstinément réfractaires aux avancées démocratiques, et bien trop souvent attentatoires aux droits élémentaires des citoyens. Ils se dépenseront sans compter pour tenter de «ne rien changer». Vous découvrirez tout cela, si vous ne le savez déjà. Et cela vous paraîtra étrange, ou plutôt «lunaire», comme l’on dit de nos jours. Mais réel. Cette réalité est encore active. Vous n’imaginez pas à quel point vous en serez littéralement sidéré.
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Vous découvrirez des interlocuteurs africains et français qui s’évertueront à vous convaincre de l’idée selon laquelle ce que l’on désigne comme la Françafrique n’est plus qu’une vue de l’esprit, un fantasme de militants désuets. La vérité, c’est que ces interlocuteurs sont devenus, au cours de ces quinze dernières années, en marge du territoire de l’Elysée, les véritables forces vives, les animateurs impénitents de ce système décrié. Vous découvrirez tout cela.
Par ailleurs, Monsieur le Président, prenez garde à ne pas succomber à ce que certains «conseillers Afrique» ou autres «leaders d’opinion» vous présenteront comme des «attentes africaines». Des «attentes» d’autant plus fictives que cette Afrique est traversée de nos jours par des courants contradictoires, complexes. Ainsi donc, ce que l’on vous présentera comme des doléances africaines adressées à la France, émane bien souvent de ceux-là mêmes à qui profite l’exploitation du postulat selon lequel le sort des Africains serait nécessairement lié aux marques de sollicitude particulières de la France à leur égard. Or en réalité, nombreux sont les Africains qui se sentent de moins en moins concernés par un tel postulat, d’autant qu’ils se tournent depuis de nombreuses années déjà, vers de nouveaux horizons. Pour ces Africains-là, le rapport à la France se normalise, s’affranchit des pathologies historiques. Tout au plus, pour les plus «francophiles» d’entre eux, ce rapport relève parfois d’une coquetterie parfaitement domestiquée. Mais il faut bien reconnaître qu’il s’en trouve encore, en Afrique comme en France, des «spécialistes des relations franco-africaines», toujours inaptes à intégrer cette nouvelle temporalité. Ils s’accrochent obstinément au même et répétitif logiciel franco-africain en voie de péremption, et qu’ils n’ont cessé depuis des années de projeter dans un environnement en mutation accélérée. Un environnement africain en décalage avec leur anachronique programme françafricain.
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Face à tout cela, Monsieur le Président, surtout tâchez de demeurer sans préjugé, et imperméable aux sollicitations contraires aux principes qui régissent vos engagements à l’égard de vos propres concitoyens. Ce qui signifie de ne jamais céder à la tentation de cautionner chez vos partenaires africains, des actions que vous n’admettrez jamais dans votre propre pays. Ce qui signifie, comme vous le ferez à l’endroit de vos concitoyens, de toujours privilégier l’intérêt des peuples à celui des dirigeants réfractaires au respect de l’état de droit.
Au nom de tout cela, de grâce, épargnez-nous un nouveau discours, un de plus, sur une hypothétique «rupture avec les pratiques de la Françafrique». Ne vous en préoccupez surtout pas. L’affaire est autrement plus compliquée. Cette exigence de «rupture» ne relève point de la seule volonté de l’Elysée. Pour rompre, il faut être deux. Les gardiens et autres grands initiés de la Françafrique se trouvent aussi bien en France qu’en Afrique. Votre meilleure volonté de rupture se heurtera à leur résistance. Que faire, alors ? Vous appliquer simplement à conduire au mieux votre mandat, en ignorant tactiquement les miasmes de la Françafrique. Construire l’avenir en conjuguant à la fois une nécessaire lucidité et une tactique indifférence vis-à-vis de ceux qui tentent encore et toujours d’alimenter le foyer déclinant des coutumes frelatées de cette Françafrique.
Nous le savons, vous vous efforcerez d’assurer la continuité des opérations militaires en cours dans le Sahel. A n’en pas douter, vous redéfinirez avec une pertinence nouvelle la mission Barkhane dans cette région d’Afrique, avec l’espoir qu’elle ne s’enlise pas. Vous exhorterez vos partenaires africains à renforcer l’autonomisation de leur capacité de défense. Pour le reste, vous défendrez les parts de marchés de la France sur un continent ouvert aux règles de la mondialisation, et où les intérêts économiques français se trouvent malmenés par les assauts allègres des pays émergents. Comment vous reprocherait-on de vous soucier de défendre les intérêts économiques de votre pays à l’étranger, y compris en Afrique ? Un tel projet est d’autant plus légitime qu’il relève de vos obligations régaliennes. Aux Africains de défendre au mieux leurs propres intérêts dans ce contexte et de proposer, face à vos projets, leurs conditions et exigences souveraines.
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Au début du mandat de votre prédécesseur, François Hollande, j’avais, comme beaucoup d’autres, projeté sur cette présidence l’espoir d’un changement de logiciel, s’agissant des relations avec l’Afrique. J’avais souhaité une indifférence active, celle-là même que réclame une jeunesse africaine, qui ne sollicite plus «l’aide» de la France, mais en appelle tout simplement à une «normalisation» de ces relations, débarrassées des scories de la Françafrique, propulsées vers les horizons d’un partenariat moderne, décomplexé, empreint des aspirations des peuples, et profitables aux deux parties, sous l’éventuel sceau d’une complicité historique. François Hollande aura fait sa part, tiraillé entre les pesanteurs du passé – marquées par des sollicitations et pressions contradictoires – et une volonté intime de refondation.
De grâce, ne succombez pas aux sirènes envoûtantes des adeptes des statu quo périmés. Evitez, je vous prie, de succomber à la reproduction des schémas altérés. Innovez, comme vous avez su le faire sur la scène politique française, lors de votre conquête du pouvoir. Innovez, non pas spécifiquement en direction de l’Afrique, mais d’abord pour votre pays, pour l’Europe que vous chérissez tant, puis en direction du monde. N’écoutez point les «experts» des questions africaines. Ils seront les Docteur Folamour de vos errements tropicaux, comme ils l’ont été, par reproductions successives, depuis plus de cinq décennies. Tout au plus, opposez à leurs pressantes sollicitations, votre coutumière et vigilante courtoisie. Mais n’écoutez que votre intuition. Et si cette intuition vous inspire l’inaction, eh bien, interdisez-vous d’agir. Car, mieux vaudrait une absence d’action que de regrettables initiatives. Prenez le temps de lire dans le ventre de l’Histoire, afin de mesurer à quel point il vaudrait mieux agir peu, mais juste, plutôt que de succomber à la contestable surcharge. Faites de votre mandat celui au cours duquel la sobriété deviendrait la marque de votre protocole relationnel à l’égard de vos partenaires du continent africain. Vous serez alors, comme vous le signalait Laurent Fabius lors de votre cérémonie d’investiture, «l’homme de votre temps».
Francis Laloupo,
Journaliste.
Consultant Médias.
Enseignant Géopolitique, Relations Internationales, Institutions internationales, Institutions Européennes.
IPJ Paris Dauphine.