Sans concession pour la transition militaire au pouvoir au Mali , Ismaël Sacko, homme politique en exil, appelle à une vraie transition civile dans le pays.
Interview avec Ismaël Sacko, président du PSDA au Mali. Il se prononce sur la situation dans son pays, après le limogeage du Premier ministre, Choguel Maïga.
Un nouveau gouvernement dirigé par un militaire a été mis en place au Mali après la dissolution du gouvernement Choguel. Quelle est votre analyse de cette décision ?
La nomination du général Abdoulaye Maïga comme Premier ministre n’est pas une surprise. Il occupait déjà ce poste par intérim et supervisait les fonctions de Choguel Kokalla Maïga, qui n’avait plus que le titre sans les responsabilités. Cependant, cette nomination ne changera rien. Abdoulaye Maïga aura du mal à s’imposer face au ministre de la Défense, figure clé de la junte, malgré son incapacité à convaincre sur le plan sécuritaire.
Le fait que 90 % de l’ancienne équipe ait été reconduit démontre la faiblesse du général Assimi Goïta. Ce gouvernement, incapable de résoudre les crises électriques ou militaires, est gangréné par la corruption, comme le montre l’implication d’Abdoulaye Maïga et d’autres dans des scandales financiers, notamment celui des 59 citernes de carburant.
L’ancien Premier ministre Choguel avait auparavant critiqué la transition. Est-ce sa démarche qui a conduit à la dissolution de son gouvernement ?
Choguel savait qu’il ne serait pas reconduit. Sa sortie récente était une tentative maladroite de se repositionner politiquement. Le divorce avec la junte était déjà consommé. La junte l’a utilisé, puis écarté lorsqu’il n’était plus utile. Après avoir critiqué la classe politique, il est désormais rejeté de tous, y compris du M5 qu’il avait contribué à créer.
Comment interprétez-vous les critiques faites par Choguel Maïga ?
Les critiques de Choguel sont légitimes, mais elles relèvent d’une stratégie tardive. Il espère se repositionner politiquement, mais il est trop impliqué dans les dérives de la junte pour être blanchi. Il est comptable de décisions graves, comme la sortie du Mali de la CEDEAO, la dissolution des partis politiques et les tensions avec la communauté internationale. Ses critiques, bien qu’authentiques, ne suffiront pas à effacer son rôle dans l’aggravation de la précarité des Maliens.
La rupture entre les militaires et Choguel pourrait-elle entraîner une crise politique profonde au Mali, ou était-il déjà marginalisé ?
Cette rupture ne provoquera pas de crise politique. Choguel est politiquement insignifiant. Il finira par rejoindre l’opposition, mais il ne pèsera pas lourd, ayant déjà perdu sa crédibilité et son influence.
Quelles sont, selon vous, les perspectives de cette transition désormais entièrement contrôlée par les militaires ?
Les perspectives sont sombres. La militarisation complète du pouvoir reflète une absence de vision. La transition est de plus en plus impopulaire, et Assimi Goïta est lâché par les Maliens. La prolongation de la transition ne fait qu’aggraver les frustrations, sans qu’aucune solution concrète ne se dessine.
Est-ce possible d’espérer encore des élections avant fin 2025 ? Si oui, dans quelles conditions ? Si non, pourquoi ?
Il est peu probable que la junte organise des élections avant 2025. Bien qu’elle simule un processus électoral pour obtenir un soutien financier international, Assimi Goïta ne souhaite pas céder le pouvoir. Les défis sécuritaires, avec les groupes armés et le JNIM, compliquent davantage la situation.
Avant la sortie de Choguel, l’opposant Kaou Jim avait été arrêté. Que pensez-vous de cet événement perçu comme une violation des droits de l’homme ?
L’arrestation de Kaou Jim est une énième preuve de la dérive dictatoriale de la junte. Les opposants politiques sont systématiquement bâillonnés, tandis que les corrupteurs au sein du gouvernement restent intouchables. Assimi Goïta semble exécuter les directives d’Ibrahim Traoré au Burkina Faso, ce qui illustre une perte de souveraineté.
Vous vivez en exil. Êtes-vous associé à un “gouvernement de transition” parallèle ?
Je ne fais pas partie du gouvernement en exil, mais je le soutiens pleinement. Sous la direction de Chérif Koné, ce gouvernement travaille pour restaurer une vraie transition civile, en jetant les bases de l’unité nationale et du retour à l’ordre constitutionnel.
Quel rôle ce gouvernement en exil pourrait-il jouer dans la résolution de la crise malienne ?
Il joue un rôle essentiel en gagnant la confiance des Maliens et en menant un plaidoyer diplomatique. L’objectif est de poser les bases d’un gouvernement civil capable de réconcilier le Mali avec ses voisins et de réintégrer la communauté internationale.
Quel est le rôle de la diaspora dans cette crise ?
La diaspora malienne, qui était mal informée, a soutenu la junte par le passé. Aujourd’hui, elle réalise l’impasse de la transition et reprend son rôle de veille citoyenne. En mobilisant les indécis et en proposant une alternative crédible, la diaspora peut contribuer à reconstruire un Mali démocratique. Toutefois, elle continue de souffrir de négligence, notamment dans l’accès aux documents administratifs.
Réalisée par Lassina Bamba