L’Afrique est devenue un formidable enjeu géopolitique, géoéconomique et géostratégique au moment où se dessinent de nouvelles géographies politiques. Dans les guerres d’influence que se livrent tous les pays sur le continent africain, la Chine, une puissance riche, avance à bas bruit, forte des milliards de dollars qu’elle peut y investir. La Russie, une puissance pauvre dont l’économie reste structurellement fragile, ne peut pas rivaliser avec la Chine, ni concurrencer l’Occident.
Poutine ne peut avancer ses pions en Afrique qu’en multipliant les conflits (Mali, Centrafrique, Soudan). Le Kremlin dispose de trois atouts : le groupe Wagner, une milice privée, qui se rémunère en pillant les ressources minières des pays : une stratégie parfaitement maîtrisée de la désinformation ; une offre sécuritaire qui s’est encore affirmée récemment. Le lundi 15 Août 2022, Vladimir Poutine a, une nouvelle fois, vanté les armes fabriquées par la Russie à l’ouverture d’un Salon international de l’armement organisé dans la région de Moscou, à Koubinka.
Une nouvelle alliance afro-occidentale
Les nombreuses délégations africaines présentes à Koubinka ont entendu un Poutine dénoncer, dans son discours d’ouverture, l’hégémonie d’un Occident qui tente de maintenir les pays africains sous l’emprise d’un ordre néocolonial et du totalitarisme néolibéral. Cette dénonciation trouve un écho chez de nombreux activistes et une partie de la population, la Russie n’ayant pas un passé colonialiste. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a permis de réveiller l’Occident. Les Etats-Unis, le Japon, la France et l’Union Européenne mesurent l’importance des relations avec les Etats africains.
Les Etats-Unis se replacent stratégiquement sur le continent. « Le président Biden à l’intention d’accueillir un sommet avec les responsables américains et africains pour mener une politique diplomatique de haut-niveau (…) qui permettra de transformer les relations et de rendre une coopération efficace possible », a affirmé le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, lors d’un discours à Abuja, la capitale du Nigeria, alors qu’il effectuait sa première visite en Afrique subsaharienne en tant que Secrétaire d’État.
L’Afrique est aussi redevenue l’une des priorités diplomatiques de la France. Trois mois après sa réélection, Emmanuel Macron, le Président français, a effectué, du 25 au 28 juillet 2022, une tournée en Afrique subsaharienne L’Elysée explique que ce déplacement a permis au président français de réaffirmer son « engagement dans la démarche de renouvellement de la relation de la France avec le continent africain ».
Emmanuel Macron s’est rendu au Cameroun, un poids lourd de l’Afrique centrale, au Bénin et en Guinée-Bissau, dont le Président, M. Umaro Sissoco Embalo, est le Président en exercice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). M. Umaro Sissoco Embalo était présent à Tunis, lors de la VIIIème Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD).
Le TICAD, par les valeurs qu’il porte, est un événement qui symbolise aujourd’hui le partenariat nouveau qui peut se construire entre l’Occident et l’Afrique. Dans un monde multipolaire qui voit se consolider le front anti-occidental, le TICAD s’inscrit dans la promesse d’un « partenariat renouvelé pour la solidarité » entre l’Occident et l’Afrique, une solidarité politiquement et économiquement hautement stratégique.
Le VIème Sommet réunissant l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA) avait déjà jeté, le vendredi 18 février 2022, les bases de cette « nouvelle alliance afro-européenne », alors que l’Afrique est sous la menace de la dette chinoise et de l’impérialisme russe.
La mainmise de la Chine sur l’Afrique
Rivaliser avec la Chine en Afrique est, à court terme, particulièrement difficile pour une seule raison : premier partenaire commercial de l’Afrique, la Chine déverse sur le continent, sans conditionnalités, des milliards de dollars. Mais, la relation sino-africaine est totalement asymétrique : les prêts chinois ont des taux d’intérêt très élevés et des échéances de remboursement très courtes ; les transferts de technologies sont limités ; le pillage des matières premières est une réalité : l’aspect commercial l’emporte sur l’industrialisation et la création d’emplois.
Au bout du compte, la Chine « achète », pour une somme modique, le soutien de l’Afrique dans les instances internationales. Le soutien des Etats africains a permis à la Chine d’obtenir la direction de quatre agences onusiennes : l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), l’Organisation pour le Développement Industriel (Onudi) et l’Union Internationale des Télécommunications (UIT). Aucun Etat africain n’acceptera de traduire la Chine devant la CPI (Cour Pénale Internationale) pour crime contre l’humanité à l’égard de la minorité ouïghoure dans la région du Xinjiang.
Objectif du TICAD 8 pour le Japon : se différencier de la Chine
Devant vingt Chefs d’Etat et de gouvernement africains et 5000 participants, le Japon a affiché, lors de la VIIIème Conférence Ticad (Tokyo International Conference for African Development) qui s’est tenue à Tunis, sa ferme volonté de se différencier de la Chine par un partenariat plus ethique. Investissements dans les ressources humaines, aide alimentaire et développement des infrastructures sont les axes majeurs du soutien que Tokyo apporte à l’Afrique dans la triple crise qu’elle affronte : sanitaire avec le Covid-19, climatique avec la hausse des températures, alimentaire avec la guerre entre l’Ukraine.
Une aide de 124 millions d’euros pour la production alimentaire est prévue, notamment pour le développement de la riziculture. Le Japon souhaite former 300 000 personnes en trois ans dans le domaine sanitaire. Le Next Innovation with Japan, Tokyo soutient le secteur privé avec la création de start-up sur le continent. 5 milliards d’euros seront injectés sur trois ans pour des infrastructures « de qualité » et 4 milliards d’euros pour les énergies renouvelables. Des intervenants ont demandé à ce que l’aide au développement pour les pays africains les plus endettés ne soit plus considérée comme une dette, mais qu’elle soit transformée en investissements. Le volet sécuritaire n’est pas oublié.
Annonce très forte : le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, souhaite « remédier à une injustice historique » en agissant pour que l’Afrique obtienne un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Le Président sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’Union Africaine, a rappelé que « l’Afrique est le ventre mou du terrorisme international » et que certains pays d’Afrique de l’Ouest « consacrent 30 % de leur budget à la lutte contre le terrorisme ».
Le Japon soutient les propositions de Macky Sall qui demande que « ces nouvelles charges » des armées africaines « soient sorties du calcul du déficit » et que les bailleurs de fonds contribuent plus fortement au Fonds de l’UA pour la paix. Le Japon accorde une aide de 30 milliards d’euros à des fonds publics et privés africains sur trois ans pour le volet « paix et sécurité » (formation de policiers, contrôle des frontières, organisation d’élections). Une aide spécifique de 8,3 millions de dollars a été allouée à la zone sahélienne des « Trois frontières » (Liptako-Gourma), à cheval sur le Mali, le Burkina-Faso et le Niger, qui subit les attaques djihadistes.
Les grands axes d’une coopération éthique entre le Japon et l’Afrique sont : 1) une accélération de la croissance avec des investissements dans l’économie verte et les start-up 2) le soutien pour une économie plus résiliente 3) l’aide à la production de médicaments et de vaccins 4) le renforcement de la sécurité alimentaire 5) l’action pour la paix et la sécurité par la mise en œuvre des processus de médiation et la prévention des conflits. Partenaire discret mais efficace de l’Afrique depuis 50 ans, le Japon souhaite renforcer sa présence sur le continent.