Les grandes questions économiques et sociales se heurtent désormais à l’urgence climatique. L’Afrique est en train de marquer l’histoire en devenant le moteur de la croissance mondiale, mais elle est aussi en train de marquer l’histoire en étant le continent le plus touché par la désertification et la dégradation des terres. La quinzième Conférence des Parties (COP 15) de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, retardée d’un an en raison de la pandémie, vient de se tenir à Abidjan tient à Abidjan, en Côte d’Ivoire, du 9 au 20 mai 2022. Cette COP 15, baptisée COP africaine parce qu’elle s’est tenue, pour la première fois en Afrique subsaharienne, est l’une des 3 Conférences des Parties (COP) nées de conventions signées lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992 : la grande sœur, la COP sur les changements climatiques ; deux COP moins connues, la COP sur la lutte contre la désertification et la COP sur la biodiversité.
La vocation de la COP 15 est double :
1) Interpeler le monde sur l’état actuel de la désertification et en mesurer les conséquences
2) Mobiliser, à l’échelle planétaire, les ressources techniques et financières qui vont permettre de lutter contre la dégradation des terres et intégrer les problématiques du genre, du foncier et des migrations.
Dans un message adressé aux participants de la COP 15, invitant les gouvernements, les producteurs et les consommateurs à protéger et restaurer les terres, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré : « La désertification, la dégradation des terres et la sécheresse présentent un grave danger pour des millions d’habitants de la planète et en particulier les femmes et les enfants. (…) Chaque année, 24 milliards de tonnes de sols fertiles se perdent dans le monde. La dégradation des terres arides entraîne, dans les pays en développement, une réduction du produit national brut de 8% par an. (…) Il nous faut protéger la terre, la restaurer et en faire un meilleur usage pour réduire la migration forcée, améliorer la sécurité alimentaire et stimuler la croissance économique. » La COP15 constitue également un point d’étape pour l’« Accélérateur de la Grande muraille verte », lancé en janvier 2021 lors du « One Planet Summit », et pour l’« Initiative protéines végétales », annoncée, en février 2022, lors du Sommet Union européenne (UE)-Union africain (UA). La COP 15 n’a pas pour seuls objectifs de verdir le paysage, protéger la biodiversité et empêcher l’avancée du désert, elle vise à offrir des opportunités économiques aux populations et permettre la gestion du foncier.
La mobilisation de la communauté internationale
Elu pour deux ans président de la COP 15, l’Ivoirien Alain Donwahi a parlé de l’urgence qu’il y avait à mobiliser la communauté internationale contre la dégradation des sols et la sécheresse. Ces deux fléaux touchent déjà la moitié de l’humanité. Un seul engagement, qui figure dans la déclaration finale de la COP 15, a été pris à Abidjan : accélérer la restauration d’un milliard d’hectares de terres dégradées d’ici à 2030.
Pour Jean-Luc Chotte, président du Comité scientifique français de la désertification et chercheur à l‘Institut de recherche pour le développement (IRD), cet engagement est très en-deçà de ce qu’il faudrait faire, mais il concrétise l’idée qui est de tendre vers un monde neutre en termes de dégradation des terres, ce qui est l’un des objectifs de développement durable de l’ONU. Restaurer un milliard d’hectares de terres dégradées d’ici 2030 constitue « une cible claire », pour Jean-Luc Chotte.
La communauté internationale, les Etats, les entreprises, les agriculteurs et les populations ont besoin de « cibles claires », comme l’objectif de maintenir le réchauffement climatique sous les 2°C, fixé dans l’Accord de Paris, lors de la COP 21. On peut regretter que la COP 15 n’ait pas permis de valider la mise en place d’un protocole contraignant de lutte contre la sécheresse, sur le modèle de celui de Kyoto pour les émissions de gaz à effet de serre.
En revanche, toutes les questions corrélées ont été posées : le foncier (restaurer les terres suppose en effet que l’on sache à qui appartient la terre et quels sont les droits d’usage et de propriété selon les pays et les populations avec les risques de conflit qui en résultent), le stress hydrique et les guerres de l’eau, la sécurité alimentaire, la santé, la pauvreté, les migrations forcées, etc.
Causes et conséquences de la désertification et de la dégradation des terres en Afrique
Les terres sèches, semi-arides et arides couvrent 65 % du continent africain. 400 millions d’Africains vivent sur des terres menacées par la désertification agricole en raison de l’avancée du désert. Dans la bande sahélienne, le désert du Kalahari et la Corne de l’Afrique, les dynamiques de désertification, provoquées par des sécheresses récurrentes et l’érosion des sols, s’accélèrent.
Face à l’urgence et à la nécessité d’agir, l’enjeu de la COP 15 est colossal, car, partout dans le monde, la dégradation des terres s’accélère, ce qui a un impact sur le climat et les conditions de vie des populations.
● Les causes de la désertification et de la dégradation des terres sont connues – Ce sont tous les phénomènes extrêmes liés au dérèglement climatique (sécheresses récurrentes, faibles précipitations, érosion des sols…) et toutes les activités humaines non adaptées, en particulier les pratiques agricoles qui entraînent une surexploitation des sols, le surpâturage par le bétail, la déforestation, l’épuisement des nappes phréatiques, etc.
● Les conséquences – On distinguera les conséquences environnementales : appauvrissement des sols, dégradation des écosystèmes, destruction de la biodiversité, accélération du réchauffement climatique avec la diminution de la capacité de stockage du carbone dans les sols, raréfaction des ressources hydriques et pénurie d’eau ; les conséquences socio-économiques : dégradation des conditions de vie, augmentation de la pauvreté, inégalités d’accès aux ressources naturelles ; les conséquences politiques et géopolitiques : aggravation des risques de conflits, migrations forcées.
La COP 15 a permis la mobilisation, à l’échelle de la planète, des décideurs, des chercheurs et des organisations, créant ainsi une force collective dont la mission est double : 1) dresser un état des lieux 2) répondre par des mesures concrètes et la mobilisation des ressources financières au défi de la désertification et de la dégradation des sols. L’enjeu n’est pas simplement de préserver la biodiversité ou planter davantage.
Dans la bande sahélienne, le projet de la « Grande muraille verte », initié par l’Union africaine en 2007 pour lutter contre la désertification et la déforestation, vise aussi à renforcer les chaînes de valeur des filières de l’agriculture et créer des emplois à travers un ensemble de projets agricoles respectueux de l’environnement et de la biodiversité.
Intéressée au plus haut niveau par « la Grande Muraille Verte », la Côte d’Ivoire a lancé le projet d’une « muraille verte ivoirienne » avec un programme sur cinq ans disposant d’un budget de 1,5 milliard de dollars (« L’Initiative d’Abidjan ») pour restaurer les écosystèmes forestiers dégradés et promouvoir des approches de gestion durable des sols.
Pour Alain Donwahi, le bilan de la COP 15 reste positif avec des avancées qui doivent conduire à des modes de production agricole plus durables, à la prise en compte – c’est une première – de l’importance de la sécurisation de l’accès au foncier et à l’implication des femmes dans la gestion des terres. Alain Donwahi a deux ans pour préparer, par une intense activité diplomatique et une véritable stratégie de communication, la table des négociations de la COP 16, qui se déroulera en Arabie saoudite en 2024.
Christian Gambotti
Agrégé de l’Université –
Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique.
Contact : cg@afriquepartage.org