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    Chronique du lundi – La leçon de Bir Hakeim ou ce que le monde libre doit à L’Afrique

    Chronique du lundi – La leçon de Bir Hakeim ou ce que le monde libre doit à L’Afrique
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Lorsque j’étais étudiant, mon père me parlait souvent de la bataille de Bir Hakeim, non pas pour me dire qu’il avait fait partie des 3 600 hommes de la 1ère Brigade Française Libre qui avait résisté, en juin 1942, pendant 16 jours, à l’Afrikakorps de Rommel, surnommé le « renard du désert », mais pour évoquer le souvenir de ceux avec qui il avait vécu l’enfer de Bir Hakeim. 

    Cultivant la pudeur des hommes des villages corses, simple sergent parmi les « héros » silencieux de la campagne de Libye, mon père me parlait rarement de la guerre, mais il évoquait souvent Bir Hakeim pour me dire qu’elle était la leçon que nous, les jeunes générations, nées dans l’Après-guerre, nous devions en tirer. 

    Qui étaient ces 3 600 hommes de la 1ère Brigade Française Libre (1ère BFL), voués à être écrasés dans le cercueil aride du désert libyen par un ennemi dix fois plus nombreux, mais dont l’héroïsme allait compromettre l’avancée de Rommel vers Tobrouk, permettant aux troupes alliées de se replier et de vaincre quelques semaines plus tard à El-Alamein, une victoire qui signera la défaite nazie en Afrique du Nord ? 

    La 1ère Brigade Française Libre : une armée cosmopolite

    Commandée par le général Koenig, un légionnaire géorgien de 44 ans que ses soldats vénèrent, la 1ère Brigade Française Libre est une armée cosmopolitique composée pour les 2/3 de combattants issus des colonies.  

    Dans un très bel article écrit par Hadrien Mathoux (Marianne, N° 1325, du 4 au 10 août 2022, pp. 65-67), on peut lire : « les deux tiers des membres sont issus des colonies et de l’outremer : tirailleurs de l’Oubangui et du Tchad, marins de Brest et de Cherbourg, anciens combattants de Dunkerque, soldats d’Afrique du Nord, de Madagascar, de Pondichéry et d’Indochine, demi-brigade de la légion étrangère (…), sans oublier l’étonnant bataillon du Pacifique et ses engagés venus de Polynésie. » Précision importante : la 1ère BFL est composée de 3 600 volontaires qui ont « déserté » l’armée française restée fidèle au régime de Vichy et parcouru « des milliers de kilomètres pour combattre sous les ordres du Général de Gaulle ». 

    Dans son ouvrage consacré aux Français libres, publié en 2009, Jean-François Muracciole, historien spécialiste de la France Libre, considère que le nombre et le rôle des soldats coloniaux ont toujours été sous-estimés. On peut parler de l’Histoire oubliée de la « force noire », ces combattants présents sur tous les fronts depuis le 21 juillet 1857, date de la création du premier bataillon de Tirailleurs sénégalais par Napoléon III, et le 8 mai 1945, date de la fin de la Seconde Guerre mondiale.  C’est de cet « oubli » scandaleux que dénonçait mon père, lorsqu’il évoquait Bir Hakeim.

    Les deux premiers morceaux de la France libérés

    Le 26 août 1940, par la voix de son gouverneur Félix Éboué, le Tchad est la première colonie à rejoindre la France libre. Quelques jours plus tard, c’est au tour du Cameroun et du Congo français de faire de même. Brazzaville devient alors la capitale de l’Afrique française libre. 

    L’historien Eric Jennings, professeur à l’université de Toronto et auteur de « La France libre fut africaine » (Editions Perrin), considère que, dès 1940 : « le combattant résistant archétypal de la première heure [est] plutôt un Tchadien, un Camerounais, ou un habitant de ce qu’on appelait alors l’Oubangui-Chari” [actuelle Centrafrique]. » 

    Dans l’euphorie de 1944-1945, le rôle essentiel des troupes coloniales fut très largement occulté. Pour mon père, le parallèle entre l’Afrique et la Corse était évident : après l’Afrique en 1940, la Corse fut, le 4 octobre 1943, le premier département français libéré des fascistes italiens et des nazis par les résistants de l’île et les forces françaises venues d’Afrique du Nord. 

    Les photographies du très beau livre de mon ami Roberto Battistini témoignent de ce que ce sont les goumiers et les tirailleurs, venus de l’autre rive de la Méditerranée, qui ont contribué, avec les résistants corses, à libérer l’île dès 1943. Dans les deux cas, l’Afrique et la Corse sont les deux premiers morceaux de la France qui ont été libérés.

    Les « tirailleurs sénégalais »

    Dans son sujet de mémoire, « L’Histoire oubliée des tirailleurs sénégalais de la Seconde guerre mondiale », Moulaye Aidara écrit : « Le 13 mai 1940, trois jours après les premiers bombardements allemands, le commandement français réalise que l’offensive perce à Sedan. (…) Pressé de toutes parts, le commandement tente d’établir un barrage qu’il confie à une troupe sûre : l’infanterie coloniale. Sur un front de 20 km, la 1ère et la 6ème divisions, face à toute la puissance mécanique allemande, 30 000 hommes dont 10 000 soldats de l’AOF : des soldats noirs. » Il ajoute : « Pourquoi un mémoire sur les Tirailleurs sénégalais de la Seconde Guerre mondiale ? La réponse vient d’une anecdote. 

    En effet, il y a quelques années, alors que je préparais un diplôme à la faculté des Sciences de Lyon, un ami m’invita chez lui à Chasselay en me précisant que son village avait été défendu durant la Seconde Guerre mondiale par des Sénégalais, il s’agissait en fait de Tirailleurs sénégalais qui regroupaient tous les Africains noirs de l’Afrique française et non pas uniquement les habitants du Sénégal. A ce moment, je savais à peine que ces hommes avaient participé à la guerre mondiale ». Etudiant, Moulaye Aidara n’avait alors que le vague souvenir de la chanson du Congolais Zao, dédié aux anciens combattants noirs.

    L’admirable poème de Senghor, « Hosties noires », publié au Seuil en 1956

    Ce que me disait mon père sur les soldats noirs, ses « frères d’armes », ses « frères de sang », qui avaient combattu avec lui m’a conduit à lire « Hosties noires », l’admirable recueil de Léopold Sédar Senghor qui, dans un poème liminaire, écrit : vous « que personne ne nomme », « Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang “O tirailleurs sénégalais…” ». Homme d’un village corse, engagé volontaire, mon père ne voulait pas qu’on oublie ces soldats noirs, venus des villages africains pour libérer la France.

     La guerre va affaiblir les puissances coloniales. Les deux superpuissances qui vont se partager le monde, les Etats-Unis et l’URSS, hostiles au système colonial, réclament l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (Article 1er de la Charte des Nations unies de 1945), apportant leur soutien aux leaders des mouvements de libération. Tout en rendant hommage aux nombreux jeunes Africains qui se sont engagés pour défendre la France et l’Empire, tout en soulignant le rôle crucial de l’Afrique depuis le début de la guerre, de Gaulle lui-même, dans le Discours qu’il prononce, en 1944, lors de la Conférence de Brazzaville, ouvre la voie à l’émancipation des territoires africains. Son Appel de Brazzaville va accélérer le processus de décolonisation des territoires français d’Afrique. 

    Ce que mon père me disait des soldats noirs des FFL, ces colonies qui se sont immédiatement rangées du côté de la France Libre, les admirables poèmes de Senghor, tout cela a contribué à faire naître cet amour que j’ai pour l’Afrique et me conduit à vouloir faire entendre la voix des Africains. La leçon de Bir Hakeim? Ne jamais oublier ce que le monde libre doit à l’Afrique.

    Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches du l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique – Chroniqueur, essayiste, politologue. 

    Contact :  cg@afrique

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