L’un des pionniers du cinéma sur le continent, Idrissa Ouédraogo (63 ans) ne cache pas sa colère contre ce qu’il considère comme le déclin du 7ème art africain. Entretien exclusif avec Afrikipresse.
Sans mâcher ses mots, le cinéaste africain que nous avons rencontré chez lui à Ouagadougou met son doigt sur la plaie, tout en proposant des remèdes.
Le rideau vient de tomber sur l’édition 2017 du Fespaco. Après donc cette 25ème édition du festival du cinéma africain qui a 48 années existence, pensez-vous que le cinéma africain a désormais pignon sur rue au niveau mondial ?
Je pense que l’acte de décès du cinéma africain a été signé avant même l’apparition des nouvelles technologies. Les Africains pensent que c’est un métier très facile, qu’il aurait fallu faire beaucoup de films pour être vu. Non ! Faire beaucoup de films ne signifie pas grand-chose. Il faut faire des films en quantité, probablement, mais surtout en qualité. Le cinéma africain, malgré la 25ème édition du Fespaco, présente beaucoup de recul
En votre qualité de professionnel du grand écran, quelle solution préconisez-vous pour sortir le 7èmeart africain de l’ornière ?
Il n’y a pas de secret. Je pense tant dans le domaine du cinéma que dans les autres domaines, même intellectuel, il y a une baisse de niveau. Tant en Afrique qu’ailleurs en Europe, et même dans le monde. Les bacheliers d’aujourd’hui n’ont pas les mêmes niveaux de connaissance que ceux qui ont eu le Bac il y a 20, 40 ans. C’est pour cela qu’on niveau du cinéma, il y a une formation de base qui doit se faire. Le cinéma c’est de l’art, mais on ne peut pas demander à quelqu’un de produire de belles images s’il n’a pas la formation de base. C’est ce qu’on appelle, ‘’la technique du bon son’’. Il y’a des techniques dans le cinéma qui sont très importantes que l’on doit savoir. On ne peut donc pas dire à quelqu’un d’avoir du talent, s’il n’a aucune base. La technique, elle est accessible à tous les peuples du monde mais il faut l’apprendre. Il faut que les enfants de l’Afrique apprennent à faire des films en maitrisant la technique cinématographique. Et ça, il n’y a pas de secret, il faut aller à l’école.
Je vais vous citer des grands noms du cinéma africain : Henri Duparc, il a fait l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC), à Paris, Désiré Ecaré, il a fait l’IDEC, Timothée Bassory, il a fait l’IDHEC, moi-même, Idrissa Ouédraogo qui vous parle, je suis de la dernière promotion de l’IDHEC. C’était la plus grande école de cinéma, en France et en Europe. Maintenant, ça a changé de dénomination, ça s’appelle FEMIS (Fondation européenne des métiers de l’image et du son). (…) J’aime beaucoup, je dirais même passionnément le cinéma. Je ne sais pas si le cinéma vient du théâtre, mais j’ai eu la chance de mettre en scène, ‘’La tragédie du roi Christophe’’ (Une œuvre d’Aimé Césaire qu’il a mis en scène en 1991, à la Comédie-Française. Il obtiendra plus tard la médaille de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres : Ndrl). Ma préférence, c’est l’image animée, c’est-à-dire le cinéma pace que c’est un outil qui vous permet de vous exprimer : parler des choses et des êtres du monde. Ça permet aussi de vous laisser transporter dans des rêves.
C’est un noble métier, c’est pourquoi je l’exerce (…). Le premier cinéaste africain s’appelle Paulin Soumanou Vieyra qui était un bénino-sénégalais. Lui aussi, a fait l’IDHEC. Souleymane Cissé a fait le VGIK (l’Institut fédéral d’Etat du cinéma) de Moscou. Sembène Ousmane a fait le même institut. Abderramane Sissako connu pour son grand film ‘’Timbuktu’’, Souleyman Cissé, etc. ont également fait de grandes études cinématographiques. C’est pour dire que ce sont des personnes qui ont étudié cinq années au minimum le cinéma à un niveau supérieur. C’est pourquoi ils ont su laisser leurs empreintes au niveau du cinéma africain. Mais aujourd’hui, ces nouveaux croient qu’ils n’ont pas besoin de formation. Ils croient qu’avec les nouvelles technologies on peut se lancer comme cela dans le cinéma. C’est pourquoi il y a tous ces ratées là. On a l’impression que le cinéma africain est encore dans ses phases de balbutiement. Ce n’est pas normal, c’est inadmissible.
Je pense qu’il y a une chose qu’il faut faire et qui est importante à mon sens. Parce qu’avec les satellites et les télénovelas qu’on déverse sur le continent ça veut dire que le mal sera encore très profond. Aujourd’hui, on peut capter plus de 200 et 300 chaînes étrangères en Afrique. Consommer des images des autres est le plus grand malheur de l’Afrique parce que ces images là véhiculent des cultures étrangères qui ne sont pas les nôtres. C’est nous amener à oublier nos propres cultures pour épouser celles d’ailleurs. C’est une perte de nos propres identités, surtout pour les enfants, c’est grave, ce qui est en train de se passer. C’est pourquoi il faut une solution urgente et celle-ci est très simple ! Elle dépend qu’une volonté politique.
Car, individuellement, chaque État ne peut pas trouver la solution à lui tout seul parce que le cinéma coûte cher. Donc, il faudra que le cinéma, voire, la culture ait une bonne place dans la prise de décision de nos chefs d’État . Il faut que chaque région de l’Afrique y réfléchisse. Par exemple, au niveau de la CEDEAO, il faut que les 16 États créent un fonds pour le cinéma.
Pour accompagner les producteurs de ces pays et pareil dans les autres régions du continent. Il y a la SADEC en Afrique du Sud. Il faut y songer pour l’Afrique de l’ouest, pourquoi pas ? Il faut qu’on y pense parce que le colon ne va plus nous coloniser par les fusils et autres mais par sa culture qu’il continue de déverser tous les jours dans nos foyers, à travers le petit écran. Et pour parer à tout cela, il nous faut aussi de vraies écoles de cinéma sur le continent.
Claude Dassé à Ouagadougou