Du 21 au 26 mars 2022 se tient à Dakar, au Sénégal, le 9e Forum Mondial de l’Eau. Evénement mondial, le Forum se tient, pour la première fois, en Afrique subsaharienne. Le Forum réunit des participants de tous les niveaux et domaines, y compris la politique, les institutions multilatérales, les milieux universitaires, la société civile et le secteur privé.
Les quatre thématiques principales retenues pour ce 9e Forum mondial de l’eau sont : la sécurité de l’eau et l’assainissement ; l’eau et l’assainissement pour le développement rural ; la coopération ; les outils et moyens (financement, gouvernance, gestion des connaissances et innovations).
Lorsque le Premier ministre ivoirien, Patrick Achi, était ministre des infrastructures économiques et qu’il avait en charge l’accès à l’eau pour les populations à Abidjan comme dans les zones rurales, il avait l’habitude dire : « l’eau, c’est la vie ». L’eau, c’est évidemment la vie, bien avant la route et l’accès à l’énergie, telle était la conclusion de l’ouvrage collectif que j’avais publié dans ma collection L’Afrique en Marche, en 2014 : « L’Afrique et l’Eau », un ouvrage collectif sous la direction de Claude Jamati. La grande originalité de ce livre avait été d’avoir donné la parole aux Africains, sans lesquels aucune évolution positive ne peut être envisagée.
Parmi les nombreux dirigeants et experts africains ayant contribué à l’ouvrage, plusieurs personnalités ont dirigé l’Association Africaine de l’Eau (AAE). Tous œuvraient pour que les objectifs du Millénaire en matière d’eau et d’assainissement, fixés par les Nations Unies, soient atteints en 2015. Alors que nous sommes en 2022, ces objectifs en matière d’eau et d’assainissement ont-ils été atteints dans les pays en développement ? Malheureusement, non.
Conseiller à la Présidence de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie, Dieye Bachir, qui est présent au Forum Mondial de l’Eau, déclare : « Dans les pays en développement, notamment en Afrique subsaharienne, l’urgence est encore de relever tous les défis de l’accès à l’eau depuis les forages jusqu’à la distribution. Tout doit être fait pour éviter les pénuries d’eau en Afrique, lorsque l’on sait que les trois quarts des pays africains, quand les précipitations sont insuffisantes, sont sous la menace d’un manque d’eau. »
Le stress hydrique
J’ai publié, le 10 mai 2021, dans L’Intelligent d’Abidjan, au moment des coupures d’eau en Côte d’Ivoire, une Chronique intitulée « L’Afrique et l’eau : stress hydrique, pénurie et guerres de l’eau ». J’écrivais : « Selon une étude prospective réalisée par l’ONU, un tiers de la population mondiale sera concernée par le stress hydrique d’ici 2025. Les pays d’Afrique comptent parmi les pays les plus touchés. Par stress hydrique, il faut comprendre une situation critique que provoque une demande en eau supérieure aux ressources disponibles. Les grandes causes du stress hydrique, en Afrique comme partout sur la planète, sont les suivantes : augmentation de la population et urbanisation galopante, modification des modes de consommation en lien avec l’élévation des niveaux de vie, agriculture intensive (irrigation des cultures), dérèglement et réchauffement climatiques (sécheresses, canicules…), déforestation et désertification, évaporation de l’eau dans les pays arides, impacts sur la qualité de l’eau (pollution), insuffisances dans la production et la gestion de l’eau, etc.»
Je faisais référence à une interview accordée à la revue Géoéconomie (N° 68, pp 177 à 186, 2014), par Claude Jamati qui déclarait : « L’Afrique ne manque pas d’eau, mais plusieurs pays sont menacés de pénurie. (…) Si l’Afrique ne manque pas d’eau, le continent disposant d’importantes ressources, en revanche, il manque les infrastructures de distribution et d’assainissement qui permettraient aux populations d’accéder à l’eau potable. (…) Le défi est d’autant plus difficile à relever que la population urbaine s’accroît sans cesse. (…) Investissements insuffisants, mauvaises pratiques, désertification liée au changement climatique, « boum » démographique, besoins de plus en plus importants en eau pour l’industrie et l’agriculture : l’accès à l’eau potable est donc le grand défi africain. ».
Les guerres de l’eau
Selon Franck Galland, spécialiste des conflits hydriques, auteur de nombreux articles dans des revues de défense et de géopolitique et qui rappelle que les guerres de l’eau font plus de morts que le terrorisme, l’accès à l’eau induit de formidables enjeux géopolitiques. Le meilleur exemple de ces guerres de l’eau est aujourd’hui la question du partage des eaux du Nil entre les différents pays traversés par le fleuve, un partage qui est source de conflits entre l’Ethiopie et l’Egypte. Le Nil fournit à l’Egypte 85 % de l’eau dont elle a besoin. L’Ethiopie se prévaut du droit à puiser dans le Nil toute l’eau que nécessite son développement, au détriment des autres pays riverains du fleuve.
Frédéric Lasserre, directeur de l’Observatoire de recherches internationales sur l’eau de l’université de Laval au Québec, un des meilleurs géopoliticiens de l’eau, a publié, en 2009, un livre dont le titre résume ces enjeux : « Les Guerres de l’eau – L’Eau au cœur des conflits du XXIe siècle ». Frédéric Lasserre résume ainsi son livre : « Changements climatiques, pollution, surpopulation : aujourd’hui 1,7 milliard de personnes manquent d’eau douce. En 2025, elles seront 2,4 milliards. Déjà, des conflits éclatent à propos de l’eau. En Israël, la lutte pour le contrôle des eaux du Jourdain a été l’une des causes de la guerre des Six-Jours. À qui appartient le Nil ? Les États-Unis eux-mêmes, en situation de pénurie, lorgnent sur l’eau du Canada… Que se passera-t-il, lorsque, en certains points du globe, cette ressource indispensable à la vie s’épuisera ? Une chose est certaine : la rareté croissante de l’eau nous impose d’agir. Vite. »
En 2009, le réchauffement climatique et la désertification n’étaient pas encore perçu, dans l’imaginaire collectif et chez certains dirigeants, dans leur dimension tragique, ce qui a conduit à oublier la conclusion de Frédéric Lasserre : « Une chose est certaine : la rareté croissante de l’eau nous impose d’agir. Vite. » Le « Vite » a-t-il été entendu ? Sera-t-il mieux entendu lors de ce 9ème Forum Mondial de l’Eau ?
La conclusion de ma Chronique du 10 mai 2021 est toujours d’actualité. J’écrivais : « L’Afrique, si elle veut exploiter l’énorme potentiel de développement économique qui est le sien et vivre en paix, doit créer les conditions d’un meilleur accès à l’eau pour tous (populations et pays riverains des grands fleuves et des grands lacs). Or, le continent reste sous la menace du réchauffement climatique et de l’avancée des déserts dans la zone du Sahel et sa partie australe. Il convient de réaliser les infrastructures nécessaires et, à court terme, améliorer les réseaux existants et les solutions en matière de stockage. L’accès à l’eau est donc un défi permanent, les changements climatiques ne faisant qu’aggraver les différentes crises de l’eau : stress hydrique, pénurie, guerres de l’eau. »
Christian Gambotti
Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique. Contact : cg@afriquepartage.org