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    À propos du livre de Frédéric Lejeal, « Le Déclin franco-africain, l’impossible rupture avec le pacte colonial » : un livre utile ou inutile ?

    À propos du livre de Frédéric Lejeal, « Le Déclin franco-africain, l’impossible rupture avec le pacte colonial » : un livre utile ou inutile ?
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 7 minutes

    Frédéric Lejeal, l’ancien responsable de la Lettre du Continent, vient de publier, le 25 mars 2022, aux Editions de L’Harmattan, un essai dans lequel il se propose d’analyser, à la lumière du passé, les relations entre la France et l’Afrique : « Le Déclin franco-africain, l’impossible rupture avec le pacte colonial ».

    Le titre même du livre de Frédéric Lejeal montre que l’auteur reste prisonnier d’une grille de lecture qui lui fait croire que les relations entre la France et l’Afrique s’écrivent toujours à l’encre de la Françafrique de Foccart. Il en tire deux conclusions contradictoires : l’impossible rupture du pacte colonial et le déclin de l’influence de la France en Afrique. Lejeal fait alors le constat suivant : « En quelques années, nous sommes passés d’une entente cordiale à de l’incompréhension, puis de la défiance à un désamour. »

    Le livre de Lejeal semble ignorer que le monde a changé et que, dans un monde multipolaire où se dessinent de nouvelles rivalités, l’Afrique est devenue un formidable enjeu géopolitique, géoéconomique et géostratégique. Pour contredire l’hypothèse de travail de Lejeal, qui voit toujours dans l’Afrique un continent pauvre, oublié, avec une Afrique francophone obligée de s’accrocher au vieux pacte colonial pour survivre, il suffit de citer le livre de Jean-Michel Severino et Olivier Rey, paru en 2011, chez Odile Jacob, « Le Temps de l’Afrique ».

    Pour Severino et Rey, le temps de l’Afrique est arrivé. Là où Lejeal se contente de parler du déclin de l’influence française en Afrique, Severino et Rey voit une Afrique-puissance en train de naître et devenir le maître du jeu dans ses relations avec les anciennes puissances coloniales et ses nouveaux « amis ». Il n’y a pas de désintérêt de la France pour l’Afrique, ni de volonté de l’Afrique de rompre avec la France, même s’il existe, dans la zone d’influence francophone, des réactions d’hostilité à la présence française et, de façon plus générale, au rôle de l’Occident en Afrique.

    Ces réactions d’hostilité sont largement instrumentalisées par un pays comme la Russie qui n’hésite pas à financer en Centrafrique, au Mali, au Tchad et au Sénégal, des manifestations antifrançaises, à payer des journalistes pour écrire sur tous les supports des articles contre l’Occident et à mobiliser des activistes dont le rôle est de réactiver le discours anticolonialiste.

    Les limites du livre de Frédéric Lejeal

    Les limites du livre de Lejeal tiennent à sa dimension uniquement bilatérale, il feint d’ignorer que l’Afrique est entrée de plain-pied dans la mondialisation et qu’elle participe de plus en plus au commerce mondial. Là où Lejeal voit un déclin franco-africain qu’il met sur le compte de la persistance d’un rapport néocolonial que la France chercherait à imposer par une omniprésence militaire et le soutien à certains régimes, je vois l’entrée de l’Afrique sur un marché mondialisé dans lequel elle peut faire jouer la concurrence entre tous les Etats qui la courtisent.

    Autre ancien directeur de la Lettre du Continent, Antoine Glaser a publié, en 2014, un livre qui me semble plus pertinent, car il montre que « les dirigeants africains ont totalement inversé les rapports de dépendance : « AfricaFrance – Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu ». Glaser fait le constat suivant : l’Afrique est devenue le moteur de la croissance mondiale. Le monde entier trépigne dans la salle d’attente des dirigeants africains qui profitent de cette situation nouvelle pour diversifier leurs partenariats techniques et financiers et leurs alliances politiques. Riches de leur énorme potentiel de développement, les Etats africains affirment leur souveraineté en imposant leurs exigences à leurs interlocuteurs, notamment à la France.

    Frédéric Lejeal, publie un essai « Le Déclin franco-africain, l'impossible rupture avec le pacte colonial ».
    Première de couverture. Photo : Éditions L’Harmattan

    Lejeal, dans un entretien qu’il a accordé au Point Afrique, explique de la manière suivante ce néocolonialisme rampant que la France chercherait à préserver : « La France tente aujourd’hui de sauvegarder militairement ce qu’elle ne peut plus faire diplomatiquement ou économiquement faute de moyens. Le facteur militaire sert de paravent à une influence en déshérence. » Il accuse le Franc CFA (réformé en 2019), la francophonie et Barkhane, des charges symboliques fortes rejetées par une partie des opinions publiques, d’être les piliers de ce néocolonialisme rampant destiné à servir ses intérêts politiques. Cette analyse ignore l’arrivée en Afrique de nouvelles puissances (Turquie) et le retour des anciens « amis » de l’époque de la Guerre froide (Chine, Russie).

    La guerre en Ukraine, révélateur d’une Afrique qui défend ses intérêts

    Depuis longtemps, l’Afrique francophone ne regarde plus uniquement vers Paris. Ali Bongo a fait entrer le Gabon dans le Commonwealth. Les dirigeants africains, francophones ou non, se tournent vers la Chine, la Russie, le Maroc, la Turquie, l’Inde, les pays du Golfe, Israël, etc., pour répondre aux besoins du continent. L’Allemagne est devenue le premier exportateur européen en Afrique, alors que les parts de marché de la France en Afrique se situent désormais en deçà des 5 %. De son côté, la France a, depuis longtemps, cherché à élargir son rayon d’action au-delà de l’Afrique francophone, un axe privilégié par un Emmanuel Macron qui a parfaitement compris la mondialisation de l’Afrique.

    Frédéric Lejeal est obligé d’admettre que « cela ouvre sur de nouveaux débouchés économiques et des leviers diplomatiques non négligeables avec des puissances régionales. » La guerre en Ukraine a montré que l’Afrique est définitivement sortie de son tête-à-tête avec l’Occident et qu’elle veut faire entendre sa voix sur les grandes questions internationales. Lors du vote à l’ONU de la résolution qui condamnait l’invasion de l’Ukraine par la Russie, 17 pays africains, dont le Sénégal, se sont abstenus.

    Macky Sall, président en exercice de l’Union Africaine, s’est rendu à Sotchi pour rencontrer Poutine et défendre une position de non alignement. Précisant qu’à l’ONU, « malgré d’énormes pressions, la majorité des pays africains ont évité de condamner la Russie », affichant ainsi leur volonté de « neutralité ». De passage à Paris, après sa rencontre avec Poutine, parlant au nom de l’Union Africaine, Macky Sall a déclaré : « Nous ne sommes pas vraiment dans le débat de qui a tort, qui a raison. Nous voulons simplement avoir accès aux céréales et aux fertilisants. »

    L’Afrique peut-elle avancer d’un même pas sur les grandes questions internationales, lorsque ses intérêts sont en jeu ? L’Union Africaine le souhaite, alors que, ces dernières années, les dirigeants africains se sont toujours rendus en ordre dispersé aux Sommets mondiaux auxquels ils participaient. Lors de la COP 21, l’Afrique est arrivée en ordre dispersé, chaque Etat définissant dans son coin, ses engagements chiffrés et les transmettant à la France presque secrètement. Résultat : l’Afrique repart souvent les mains vides. La stratégie d’une Afrique parlant d’une seule voix face aux puissances étrangères permettrait au continent d’être mieux entendu. Ce n’est pas le choix qui avait été fait à la COP 21, c’est le choix qui a été fait par Macky Sall, lorsqu’il s’est rendu à Sotchi pour rencontrer Poutine.

    Le livre de Frédéric Lejeal est-il un livre utile ?

    L’historien René Raymond déclarait fort justement : « Comprendre son temps est impossible à qui ignore tout du passé. » En ce sens, le livre de Frédéric Lejeal est un livre utile. Mais, l’Afrique et la France sont déjà ailleurs, loin de ce bégaiement de l’Histoire que représente ce retour obsessionnel et idéologisé à une Françafrique qui n’existe plus, excepté dans l’esprit des activistes que cherchent à mobiliser des forces obscures. Il ne s’agit pas, pour l’Afrique, d’être pro-occidentale contre la Chine ou la Russie, ou pro-chinoise ou pro-russe contre l’Occident, mais d’être elle-même, indépendante et souveraine, ouverte sur le monde tout en préservant ses intérêts et son identité.

    Christian Gambotti – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique.

    Contact : cg@afriquepartage.org

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