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    Profession Porte-parole du gouvernement ivoirien : révélations exclusives de Bruno Koné sur une tâche “ingrate”

    Profession Porte-parole du gouvernement ivoirien : révélations exclusives de Bruno Koné sur une tâche “ingrate”
    Publié le
    Par
    Charles Kouassi
    Lecture 13 minutes

    Porte-parole du gouvernement ivoirien depuis 6 ans, le ministre de l’économie numérique et de la Poste Koné Bruno, en exclusivité, fait partager à travers afrkipresse.fr son quotidien, tout en révélant des confidences.

    Vous êtes porte-parole du gouvernement depuis près de 6 ans pratiquement ! N’est-ce pas une rare longévité ? Dites-nous comment vous faites pour vous en sortir, pour avoir une telle longévité ?

    C’est vrai que cela n’est pas habituel. J’ignore s’il y’a un secret , mais pour moi , le porte-parole doit savoir s’effacer derrière le message qu’il a à passer. Quand on se contente de dire ce qu’on doit dire, sans chercher à se mettre en avant, évidemment, on commet très peu d’erreurs. Cela dit, je suis au service de l’État et tant que j’aurai la confiance de ceux qui m’ont nommé, je ferai ce que j’ai à faire.

    Le porte-parolat, on le sait, est un outil de Communication. Y’a-t-il une sorte de ‘’casting’’ qui se fait au sein du gouvernement pour le choix du porte-parole?

    La question devrait être posée à ceux qui ont décidé de ma nomination, particulièrement au Chef de l’Etat et aux Premiers Ministres successifs depuis 2011. Quant à moi,j’essaie de faire le mieux possible mon travail , celui de ministre en charge du développement de l’économie numérique en Côte d’Ivoire, mais également celui de porte-parole , celui qui transmet le message du gouvernement, celui qui parle au nom des autres. J’essaie de le transmettre de la meilleure façon afin qu’il soit le mieux possible entendu par l’ensemble des Ivoiriens. Pour l’anecdote, il faut savoir que je ne me sentais pas en mesure d’exercer efficacement cette fonction, ce que je m’étais permis d’indiquer au Premier Ministre de l’époque, Guillaume Soro. Quand ce dernier m’a répondu qu’il fallait que j’aille moi-même informer le Chef de l’Etat de mon refus, j’ai compris que je n’avais pas le choix (rires).

    Pourquoi vouliez-vous refuser cette nomination ?

    D’abord, parce que je n’avais pas une bonne opinion de certains des porte-paroles précédents, qui avaient été excessifs et dont les propos avaient contribué à aggraver la situation sociopolitique. Mais surtout parce que je ne me sens pas (y compris aujourd’hui), doté de qualités particulières en matière de communication. Je suis financier de formation et me voir attribuer un portefeuille aussi important et impactant que celui des TIC était à mes yeux un défi suffisant, au moins pour l’époque… (rires).

    Le choix ne relève-t-il pas avant tout, de la confiance entre le chef de l’État et vous ?

    Je pense qu’il y a une grande part de confiance parce qu’il s’agit d’une personne qui est appelée à prendre la parole au nom de l’ensemble du gouvernement, sur des sujets souvent complexes, sensibles politiquement ou socialement. C’est une personne qui peut, par un mot mal placé , engager le gouvernement et créer une situation de tension en interne ou avec un pays tiers. Donc, effectivement, le facteur confiance est ici primordial.

    En votre qualité de porte-parole du gouvernement, comment préparez-vous un conseil des ministres ? Comment suivez-vous les dossiers abordés par vos collègues ainsi que les vôtres ?

    Je dois dire qu’aujourd’hui, les choses ont beaucoup évolué. Il y a quelques années, tout reposait sur le porte-parole et ses collaborateurs qui, à partir des communications, des projets de loi ou de décrets devaient produire l’ensemble de la matière devant servir à la rédaction du communiqué. Aujourd’hui, une grande partie du travail est réalisée en amont par le Secrétariat Général du Gouvernement, ce qui facilite grandement le travail du porte-parole.

    Toutefois, la touche finale est portée par le porte-parole, qui doit connaître et maitriser complètement les sujets qu’il présente , qui doit s’assurer que rien dans le communiqué ou le dans le point de presse d’après conseil ne soit susceptible de créer problème, dans la forme ou dans le fond. Le porte-parole se doit nécessairement d’être très attentif, aussi bien au cours du Conseil de gouvernement qu’au cours du Conseil des Ministres dont il doit saisir toutes les nuances, les questions, les réponses, les commentaires…C’est tout cela mis ensemble qui peut lui permettre de présenter de la meilleure façon les dossiers traités. Le porte-parole a à mon avis une autre contrainte, celle de simplifier la présentation des sujets, y compris les plus complexes, pour les rendre accessibles, aussi bien aux cadres, qu’aux jeunes, aux paysans, qu’aux analphabètes, etc. Et comme vous le savez, on ne peut présenter simplement un problème que lorsqu’on l’a soi-même bien compris et complètement intégré. Donc, le porte-parole a l’obligation de s’approprier, plus que les autres, les dossiers traités et présentés à la suite des réunions du Gouvernement.

    Est-ce à dire que contrairement à vos collègues, vous avez une pression supplémentaire avant et pendant un conseil des ministres ?

    Absolument ! Même s’il ne faut pas négliger le travail des collègues avant et après les conseils. Comme je l’indiquais déjà, la base est la bonne connaissance des dossiers et le porte-parole s’appuie sur les compétences techniques de ses collègues, qui, chacun maitrise mieux son département. Chaque conseil a besoin d’être soigneusement préparé mais en plus, le porte-parole se doit d’être très attentif pendant les réunions, notamment lors des échanges entre le Président, le Premier Ministre et les Ministres. Bien souvent, l’essentiel ressort là. Vous n’ignorez pas que certains non-dits ont un sens et que le diable peut être caché dans les détails…

    Vous avez tout à l’heure évoqué le mot ‘’difficulté’’ pour faire passer le message auprès de toutes les couches sociales. Dans la pratique, et vis-à-vis de l’opinion, est-ce un fardeau ou un sacerdoce d’être désigné comme porte-parole du gouvernement ?

    C’est une tâche difficile, stressante, pesante et j’ai coutume de dire, un peu ingrate. C’est beaucoup de travail, beaucoup d’implication personnelle. Quand tout se passe bien, personne ne fait attention aux efforts qui font que tout se passe bien. Tout le monde trouve d’ailleurs normal que les points de presse se tiennent sans anicroche, que les communiqués soient produits et publiés à bonnes date et heure… Mais au premier grain de sable, le porte-parole devient le bouc émissaire tout désigné, le parfait fusible. En effet, un loupé, un mot mal placé, une formule un peu malheureuse, ce qui peut arriver à tout le monde, peut avoir des conséquences inimaginables pour le porte-parole lui-même mais également pour l’équipe dont il porte la parole. Donc, effectivement, c’est beaucoup de pression , que personnellement je canalise avec un maximum de concentration, de sérieux, de rigueur et… d’effacement devant le message à passer. Si le porte-parole a d’autres ambitions que celle de réussir cette mission, le message peut être très vite dénaturé.

    Dites-nous, le choix des mots et du style que vous avez est-il lié à l’ambiance, à l’atmosphère au cours du conseil, ou bien c’est vous-même qui donnez le ton ?Car, une bonne partie de l’opinion publique nationale pense que vous y mettez un peu trop de sel ?

    Le porte-parole parle au nom du gouvernement. Le porte-parole ne décide pas pour le gouvernement qui a un Chef qui est le Premier Ministre, qui lui-même rend compte au Président de la République. Le porte-parole ne fait que rendre compte des décisions qui sont prises, de les expliquer, j’en conviens, avec ses mots à lui. En ce qui me concerne, j’essaie au contraire d’adopter la tonalité la plus neutre possible, de m’effacer devant le message à passer. Je m’efforce aussi de simplifier la présentation de certains sujets qui peuvent, au premier abord, paraitre complexes ou rébarbatifs. L’important, c’est le message, pas mon état d’esprit. Je pense aussi que le porte-parole se doit d’être un peu psychologue et observateur pour deviner à l’avance la réponse que pourrait donner le Président de la République ou le Premier Ministre à une question donnée, ou l’attitude qu’ils pourraient adopter face à une situation précise. En réalité, chaque mot, chaque posture tient compte de l’état d’esprit, réel ou supposé du Chef de l’Etat, du Premier Ministre ou du ministre concerné. Le porte-parole n’étant qu’un canal pour faire passer le message.

    Vous est-il arrivé qu’après lecture d’un communiqué, le Chef de l’État vous exprime sa désapprobation sur un point ? Si oui, racontez-nous cette anecdote ?

    (Rires) Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, quand tout se passe bien, il n’y a pas de feed-back…Par contre, des mots de désapprobation, non, pas à ma connaissance. Mais un recadrage sur un sujet donné, cela a dû arriver deux ou trois fois en cinq ans, ce qui est à mes yeux, est un bilan plutôt positif (rires).

    Et que vous a-t-il reproché exactement ?

    Ne comptez pas sur moi pour dévoiler les échanges que je peux avoir mes mandants, mais c’était en général pour préciser ou donner une information utile sur un sujet donné. Mais par contre, il est arrivé sur des sujets d’actualité que la position du Gouvernement, et non celle du Porte-parole, la nuance est de taille, ne soit pas comprise. Je le répète, le porte-parole ne travaille pas pour lui mais pour ses mandants, sa position personnelle importe peu. Son rôle, c’est d’expliquer, de justifier, voire de convaincre, dès lors qu’il s’agit d’une décision prise par le Gouvernement. Il est d’ailleurs arrivé que le porte-parole soit en désaccord avec des décisions prises, mais qu’il s’efforce ensuite de présenter de la meilleure façon face aux populations.

    Il n’est vraiment jamais arrivé que le Président n’apprécie pas une présentation ?

    Non, pas à ma connaissance. Il ne m’est jamais arrivé qu’un message passé ait été contraire à la vision du Chef d’Etat ou du Premier Ministre. Je m’efforce de penser comme eux le feraient , puis de dire avec mon style et avec mes mots. Franchement, j’apprécie la confiance dont m’honorent le Chef de L’Etat et le Premier Ministre, et j’essaie, à tout moment et en toutes circonstances, d’être à la hauteur de cette confiance.

    Avez-vous des anecdotes à raconter à nos lecteurs ?

    Certainement pas sur mes échanges avec mes mandants ou avec mes collègues ministres. Juste une peut-être , sur le tout premier conseil des ministres d’après crise, celui du 2 juin 2011. Je ne disposais, ni de bureaux, ni de collaborateurs à ce moment-là. J’ai rédigé le communiqué en m’inspirant d’un modèle ancien que j’avais réussi à avoir, et je l’ai imprimé au business center de l’hôtelPullman (ex Sofitel Plateau). J’ai ensuite pris rendez-vous avec le DG de la RTI (à l’époque, Brou Aka Pascal) et me suis rendu là-bas, dans des locaux qui portaient encore les stigmates de la crise, des locaux saccagés et méconnaissables. Il n’y avait pas de pupitre et nous avons dû superposer des tabourets pour me permettre de lire le communiqué. Par la suite, les enregistrements ont été délocalisés pendant plusieurs semaines chez TCI, à l’hôtel du Golf et à la RTI avant d’être réalisés dans mon bureau de l’immeuble Postel 2001. Ce furent des moments difficiles, mais dont je garde un bon souvenir, parce que nous venions de loin.

    Vous arrive-t-il, en dehors d’un Conseil des ministres, pde donner l’opinion du gouvernement sur un sujet précis ?

    Cela arrive tous les jours dans les rapports directs que nous avons avec la presse en dehors des conseils des ministres et des points de presse, qui sont les moments les plus médiatisés. Nous avons au quotidien des interactions avec la presse, qu’elle soit nationale ou internationale, nous sommes régulièrement contactés pour nous exprimer sur tel ou tel sujet. Et naturellement, la position que nous donnons étant celle du gouvernement, nous prenons la précaution d’aller à l’information, d’interroger le ministre concerné, voire de prendre conseil auprès du Chef de l’Etat ou du Premier Ministre. Là aussi, à ma connaissance, il n’y a jamais eu de problème.

    Le porte-parole du gouvernement fait-il aussi office de porte-parole du Chef de l’État, dans le cas où il n’y a pas de confusion entre les différents acteurs de l’exécutif, comme c’est le cas en ce moment ?

    Il faut savoir qu’en Côte d’Ivoire le régime politique est présidentiel. Donc, la fonction du Chef de l’Etatprime sur toutes les autres. Le chef du gouvernement rend compte au Chef de l’Etat. Donc, le porte-parole du gouvernement, celui qui porte la parole du gouvernement, porte indirectement celle du Chef de l’Etat. C’est pour cela qu’en toutes circonstances, nous sommes très attentifs à la position du Premier Ministre mais également à celle du Chef de l’Etat. Même si nous ne portons pas la dénomination de ‘’porte-parole du Chef de L’Etat’’, ou du ‘’Porte-parole du Président de la République’’, nous faisons en sorte chaque fois que nous communiquons, de tenir compte de sa vision, de son point de vue.

    Un porte-parole ne devrait-il pas parler et réagir sur tous les sujets qui préoccupent les Ivoiriens ?

    Mais c’est ce qu’il fait déjà aujourd’hui ! Le point de presse du Conseil des ministres n’est qu’un moment de l’activité du porte-parole. Celui-ci agit et s’exprime tous les jours en fonction des sollicitations des médias et del’actualité. Mais je me répète, le porte-parole n’est pas le Gouvernement, encore moins le Premier Ministre, et ses sorties doivent être opportunes avant tout. Je rappelle aussi que nous avons mis en place un espace de communication avec le grand public, dénommé ‘’Echanges avec le porte-parole’’. C’est un rendez-vous trimestriel de 2 à 3 heures au cours duquel nous échangeons à bâtons-rompus et sans faux-fuyants avec un échantillon d’une soixantaine de personnes, représentatives de la population ivoirienne. Deux éditions ont déjà eu lieu et c’est pour nous et pour ceux qui y pris part, un grand moment de satisfaction.

    Quel regard portez-vous sur la fonction de porte-parole en Afrique?

    Autour de nous il y a eu beaucoup de changements au cours de ces 5 années. Je note surtout des styles qui sont très différents, des porte-paroles très politiques, certains plus technocrates, d’autres qui sont de grands communicateurs, etc.

    Et vous vous situez de quel côté ?

    Difficile à dire ! Avant d’être ministre, je n’étais pas un acteur politique de premier plan. Donc, sans me singulariser, je dirai que je suis entré dans cette fonction sans à priori, avec le seul souci d’apaiser et d’être le plus constructif possible. Souvenez-vous de la complexité de la situation en juin 2011 et des priorités alors fixées par le Chef de l’Etat au Gouvernement ; Paix et sécurité, Réconciliation nationale, relance économique ! C’était un peu ma feuille de route et je savais que le choix porté sur ma personne pour être le porte-parole du gouvernement n’était pas hasardeux. J’avais à cœur et je crois que c’était une attente forte du Président de la République, de ne pas en rajouter à la complexité de la situation, d’expliquer objectivement le travail fait par le gouvernement et de mettre en avant un certain nombre de valeurs, la paix, le travail, la nation, etc, tout cela avec un style qui n’agresse pas, qui n’oppose pas un camp contre l’autre, qui promeut le concept de l’Ivoirien nouveau…

    Connaissez-vous des contacts avec des porte – parole de gouvernements de pays occidentaux tels que les Etats-Unis, le Royaume-Uni… qui avaient fait la une de l’actualité ?

    Nous avons très peu de contacts, mais je m’efforce de suivre certains d’entre eux. Nous notons les bonnes pratiques, surtout au plan de l’organisation de la communication gouvernementale. À chaque fois, je pense apprendre un peu plus, même si en la matière, nous traitons de sujets très spécifiques qui concernent un environnement national ou international particulier et qu’il y a peu de pertinence à copier ce qui est fait ailleurs…

    Claude Dassé

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