Corinne Toka-Devilliers, descendante de peuples Kali’nas et Arawaks, mène depuis plusieurs années un combat pour rapatrier en Guyane les dépouilles de ses ancêtres, exhibés dans des “zoos humains” en France. En 1882 et 1892, 33 Amérindiens, dont 2 Arawaks, furent emmenés de force du village de Galibi (aujourd’hui au Suriname) par l’explorateur français François-Joseph Laveau pour être exposés dans le jardin d’acclimatation de Paris. Prétendant offrir de meilleures conditions de vie et un travail décent, Laveau avait convaincu les autorités locales de céder ces personnes, une promesse qui s’avéra trompeuse.
“Les Kali’nas et Arawaks pensaient voyager pour voir les ‘dieux des Blancs’ et travailler dans des conditions décentes. Ils se sont retrouvés exhibés comme des curiosités exotiques, sous une verrière, déshabillés et observés chaque jour,” explique Corinne Toka-Devilliers, bouleversée par l’histoire racontée par son grand-père, Alphonse Toka, lui-même descendant de Moliko, une jeune fille exhibée à 14 ans en 1892.
Un combat initié par la mémoire familiale
C’est en 2018 que Corinne décide d’agir après avoir visionné le documentaire Des Sauvages au cœur – Zoos humains de Pascal Blanchard et Bruno Pujebet. Touchée par le témoignage de sa grand-mère, elle crée en 2021 l’association Moliko Alet Po (signifiant “les descendants de Moliko”) pour rendre hommage à ses aïeux et faire connaître cette page sombre de l’histoire coloniale.
Des conditions inhumaines dans les zoos humains
Arrivés à Paris en février 1882, les Amérindiens sont exposés dans des conditions cruelles. “Placés sous une verrière chauffée, ils sont observés et mesurés par des scientifiques, forcés de danser et de tirer à l’arc chaque après-midi. En quelques mois, les conditions dégradantes de l’exposition les ont emportés : 8 d’entre eux, dont 6 Kali’nas, sont décédés,” précise-t-elle. Leurs ossements reposent aujourd’hui au musée de l’Homme à Paris, et Moliko Alet Po exige leur rapatriement pour des funérailles en terre d’origine.
Un mémorial pour la mémoire de ces ancêtres
Depuis 2021, l’association a réalisé plusieurs actions en Guyane et en France pour faire revivre la mémoire de ces victimes des “zoos humains”. En collaboration avec le musée du Quai Branly, elle a organisé des cérémonies culturelles et inauguré un mémorial en Guyane en août 2023, avec des représentations symboliques de deux femmes : l’une exhibée en 1882 et l’autre, Moliko en 1892 . Ces initiatives ont pour but de sensibiliser et de témoigner des atrocités subies.
Le chemin vers la réparation et la justice
Aujourd’hui, Corinne Toka-Devilliers a été entendue par des députés et sénateurs français, dont Christophe Marion, rapporteur du dossier. L’association demande que le retour des dépouilles soit intégralement financé par l’État français et réfléchit aux formes de réparation adéquates. “Nous n’avons pas encore défini si la réparation sera financière, ou sous la forme d’un musée commémoratif. Nous espérons que le soutien de la France permettra une réparation juste et respectueuse de notre histoire.”
Un combat pour honorer la mémoire des ancêtres
“L’association Moliko Alet Po est dédiée à la mémoire de nos ancêtres, exposés dans ces ‘zoos humains’ et à leur retour en terre natale,” conclut Corinne Toka-Devilliers. Ce combat, inscrit dans le devoir de mémoire, continue de rappeler la cruauté de l’histoire coloniale et l’importance de reconnaître et réparer ces injustices.
Propos recueillis par Alain Martial