Villes africaines : l’explosion de l’urbanisation
En 2050, l’Afrique verra sa population doubler pour atteindre 2,5 milliards de personnes. Les villes compteront 950 millions d’habitants supplémentaires. Devenue incontrôlable, l’explosion de l’urbanisation que connaît le continent devrait conduire chaque Etat africain à réagir, afin de repenser le développement et l’aménagement des villes. Cette urbanisation galopante invite aussi à repenser les modèles de développement économique, social et environnemental, ainsi que l’articulation entre les zones urbaines et les zones rurales.
Est-il possible, pour les gouvernements, mais aussi pour les villes- elles-mêmes, de rendre la ville africaine plus vivable et durable, mais aussi plus inclusive ? La question se pose pour les mégalopoles comme Lagos ou Kinshasa. Lagos, qui gagne un million d’habitants chaque année depuis dix ans, comptera plus de 20 millions d’habitants en 2030. Dans toutes les grandes capitales, comme Abidjan, le mètre carré devient rare et hors de prix. Cette question se pose aussi pour les bourgs ruraux qui se transforment en zones urbaines plus denses. Selon ONU-Habitat, l’absence d’une politique d’urbanisation formelle et planifiée doublée d’une offre insuffisante de logements se traduit par le développement des bidonvilles.
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Depuis 1990, la population des bidonvilles africains a plus que doublé, passant de 200 millions à 500 millions d’habitants. Dans de nombreux pays africains, parmi les plus pauvres et les plus instables, 80 % des citadins vivent dans des habitats précaires ou informels. Le développement et l’aménagement des villes reste l’un des grands défis que doivent relever des Etats qui, le plus souvent, n’ont pas les ressources financières suffisantes pour permettre l’accès à un logement décent à l’ensemble de la population et intégrer l’habitat informel à la ville. Sont en concurrence les Etats, dans l’obligation de lancer d’importants programmes de construction de logements sociaux, et un secteur privé à la recherche de rentabilité, la construction de logements dans les quartiers aisés offrant à ce secteur privé une bulle spéculative, ce qui accroît la ségrégation spatiale et renforce les inégalités.
Villes ivoiriennes : les enjeux de l’urbanisation
Ces dernières années, l’urbanisation de la Côte d’Ivoire s’est accélérée. Selon une étude de la Banque Mondiale, il existe trois types de villes ivoiriennes : 1) les grandes villes, qui, pour leur puissance économique et leur attractivité, sont des « connecteurs globaux », comme Abidjan, San Pedro et Yamoussoukro. Le Grand Abidjan concentre 20% de la population du pays, 80% des emplois formels et 90% des entreprises. 2) Les villes régionales, qui, pour leur fort potentiel de développement économique, sont des « connecteurs régionaux », comme Bouake et Korhogo. Ces « capitales » régionales sont situées sur des corridors de transports routiers et ferroviaires. 3) Les petites villes, qui, pour leur importance dans la production agricole, sont des « connecteurs locaux ».
Contrairement à ce que dit l’étude de la Banque Mondiale, les enjeux de l’urbanisation sont les mêmes pour les trois types de villes, car l’approche doit être globale. Si elle veut avancer sur les chemins de l’émergence et devenir, en 2030, un pays à revenu intermédiaire, la Côte d’Ivoire, doit bien gérer son urbanisation, ce qui signifie : a) planifier l’urbanisation de chaque ville b) relier les villes ivoiriennes entre elles c) connecter les zones urbaines au reste de l’Afrique, afin de rendre le pays plus dynamique, plus productif et plus compétitif. La Côte d’Ivoire ne peut être ni productive, ni compétitive, si les villes ne disposent pas des infrastructures nécessaires. Il est donc urgent de construire dans les villes qui sont des « connecteurs globaux et régionaux » des infrastructures modernes, de niveau international. Quant aux petites villes, qui sont des « connecteurs locaux » dans le secteur-clef de l’agriculture, la Banque Mondiale note, à juste titre, qu’elles manquent toujours d’infrastructures de base.
Vers une planification de l’urbanisation
Leur attractivité fait des zones urbaines des moteurs de croissance qui concentrent toutes les difficultés : financement des projets d’aménagements urbains, transport, logement, salubrité, protection de l’environnement, etc. Il existe une ségrégation spatiale doublée d’une ségrégation sociale. Ce sont les populations les plus pauvres, habitant dans les quartiers les plus populaires, comme Youpougon et Abobo à Abidjan, qui ne peuvent se rendre dans les zones d’activités professionnelles du Plateau, de Cocody ou de Treichville par manque de transports publics. Ce sont les étudiants qui doivent faire face à des coûts de transports élevés. Aujourd’hui, les embouteillages et l’augmentation du coût des transports empêchent la capitale économique ivoirienne d’être plus productive et compétitive. Toutes les villes ivoiriennes sont également confrontées à d’importantes difficultés environnementales (pollution, gestion des eaux usées, traitement des déchets). Mais, rien n’est possible sans une planification de l’urbanisation.
S’appuyer sur la « révolution numérique »
La « révolution numérique » offre des solutions novatrices dans la planification des aménagements urbains et la gestion de tous les services, tout en permettant aux villes ivoiriennes d’être plus productives, plus compétitives et plus inclusives, d’améliorer la qualité de vie des habitants et de mieux respecter l’environnement. L’utilisation des technologies numériques dans la planification, la construction et la gestion urbaines tend à se développer en Afrique. Le pouvoir politique (gouvernement, maires…) et les populations peuvent ainsi mieux contrôler la croissance des villes.
L’objectif partagé par le pouvoir politique et les habitants est de réduire la conflictualité entre l’urbanisation spontanée, anarchique, incontrôlée, et la nécessité d’encadrer la croissance urbaine. A l’évidence, la planification urbaine sert toujours un projet politique qui vise à améliorer l’attractivité des villes, afin d’attirer les investisseurs et les activités économiques et culturelles. Ce projet doit être inclusif, de façon à ce que cette attractivité ne se fasse pas au détriment de populations jugées indésirables. Toute planification urbaine doit éviter de mettre en œuvre des mécanismes d’exclusion.
Christian GAMBOTTI
Agrégé de l’Université,
Président du think tank Afrique & Partage
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains.